Bonjour, bonsoir à tous,

je me permets ce post afin de solliciter votre participation à ce nouveau projet qui m'est cher. En effet, après de nombreuses années d'errance littéraire, j'ai enfin trouvé le nouveau roman auquel m'atteler. Je sais que cette section n'est pas à proprement parler réservée à ce type d'œuvre (via son appellation "Fanfics"), surtout si elle ne concerne en rien l'univers du hérisson, mais force est de constater que le noyau dur de lecteurs se situe ici, et je tombe sous le choc du nombre hallucinant de lectures accordées à mon précédent effort, Ash Kaiser, alors que je n'ai rien mis à jour depouis janvier. Je compte donc sur votre compréhension, et espère que vous pourrez apprécier le prologue de ma nouvelle œuvre, Walt & Val. J'attends si possible un maximum de retours écrits, positifs comme négatifs, de commentaires prompts à faire évoluer mon style et permettre à mon bébé de franchir qui sait, les portes de l'édition...

Pour pallier au nombre limité de 20 000 caractères, je coupe le prologue en deux parties. La seconde sera éditée dans le commentaire suivant.

Enjoy ^^



Le vent du Nord s’abattant sur les Collines, en fait plier les herbages, qui semblent danser, dans tous les sens, comme possédés. Le tapis de verdure chancelle, dans la pluie des feuilles arrachées à leurs charmes par le souffle violent, il perd de sa beauté, de sa superbe, tandis que les houppiers malmenés par les brises automnales se balancent, leurs mille années ballotées par l’épaisse masse nuageuse gris noir qui recouvre le ciel. On entend tonner au loin, et la bourrasque redouble d’intensité. L’air se fait plus lourd, déjà les moucherons se regroupent, déchirant le vide dans un fol tourbillon, signe indubitable d’un orage qui approche.

Merde. Quelle journée pourrie pour assassiner un Chef déchu.

Surgissant des branchages, Harendil se pose sur le sol avec une souplesse que seul le sang pur des Elfes saurait donner. Ses bottes de cuir couleur de jade amortissent la hauteur dans d’aléatoires volutes de poussière.
- Je ne vois rien, Ash.
- La route est libre, alors ?
- Oui. C’est bien ce qui m’inquiète.
Ash pose un œil perplexe sur son camarade. Il lui semble avoir perçu de l’hésitation dans la voix du Guerrier. Ce n’est pas son genre, pas du tout même. Commencerait-il à s’inquiéter ?
Le mercenaire détourne le regard pour fixer les cieux, qui s’assombrissent à une vitesse défiant toute logique humaine.

Par Gaia… cette quête a l’air corsée, certes… mais nous ne sommes pas des amateurs. Depuis le temps que nous parcourons le Royaume tous les trois…
- J’ai trouvé quelques plantes… cela nous sera sans doute utile.

BROUFF !!

Haku apparaît dans une orgie de runes et de symboles luminescents. La téléportation fait danser les pans de sa robe pourpre.
- Qu’est-ce ? demande Harendil, un brin moqueur. De l’herbe à tisane ?
- Des baies de Heimer, ainsi que quelques branches de saule sec.
- Saule et Heimer ? répète Ash. Une onction de grand soin ?
- On ne sait jamais.

Eh bien… si même le Mage le plus puissant de la Province se met à douter…

- Avec tous les Soins dont nous disposons dans notre inventaire ?
- On ne sait pas de quoi ce Kelberg est capable…
Ash hausse les épaules.
- Cette supposée invincibilité, ces pouvoirs sans équivalent… ce ne sont rien d’autre que des rumeurs, des légendes !
- Les légendes se forgent, Mercenaire, elles se basent bien sur quelque-chose…
- Ce sont des on-dits ! Des ragots ramenés dans les tavernes, répandus par des paysans peureux, terrifiés à l’idée de manquer de respect à un ancien Chevalier…
Le Mercenaire se tourne vers l’Elfe.
- Messire Harendil… avez-vous déjà vu, ou ne serait-ce qu’aperçu, Khaos, Dieu des Ténèbres et de la Mort ??
L’intéressé baisse le regard.
- Non… bien sûr que non…
- De ce fait, nous n’avons aucune preuve de son existence. Cette histoire de… passation de Magie Noire n’est que billevesée…
Il empoigne fermement le pommeau de l’épée pendant à sa ceinture.
- En tout cas, je n’ai pas traversé le Royaume de Haven pour tergiverser sous un arbre !
Ash tourne les talons, entame la traversée des plaines qui s’étendent à l’infini devant lui. Le Mage se presse au sommet de la butte.
- Ash ? Où allez-vous ?
- Chercher Kelberg. C’est pour ça que je suis venu. Et je ne ferai PAS demi-tour…
- Ouais bah sauf que moi, j’ai cours, demain…
- Ouais, mec, moi aussi… il est déjà vingt-et-une heures…

Devant l’écran de son ordinateur, Walter peste.

- C’est une blague ?
- On avait dit neuf heures, mec… on remet ça demain.

L’annonce dans son micro-casque tombe comme un couperet. Masquant tant bien que mal sa déception, il acquiesce.
- Très bien…

D’une tape sur son clavier, il fait apparaître le menu de pause. Derrière, dans la Plaine où il lui adressait la parole il y a encore quelques secondes, Haku disparaît. Sa silhouette se noircit, et arbore désormais un inévitable Hors ligne.
- A demain, Walter.
- Mouais…

Walter met plusieurs options en surbrillance, clique ici et là. Sous l’arbre, Harendil s’évapore à son tour, et son personnage revêt le même habit de tristesse. Une fenêtre surgit soudain, délivrant sous ses jolies enluminures pixellisées une terrible question.

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Abandonner quête ?

Il fixe le cadre clignotant sur Oui, en secouant la tête dans un dépit profond. Avant d’accepter d’un geste rageur de l’index.
- C’est chiant…

Walter ôte son casque, qu’il lance en se laissant retomber contre le dossier de son siège. L’objet rebondit contre le mur sous les douces envolées cuivrées de l’écran d’accueil du jeu. L’imposant guerrier sous le titre, posant fièrement l’arme à la main, semble le narguer, son regard, vif et décidé, est un véritable crève-cœur pour le joueur délaissé.
- Sauf que moi j’ai cours demain… qu’est-ce qu’il faut pas entendre…

La souris glisse sur le tapis. Et un clic plus tard, Legend of Heroes disparaît.

- Et ça se prétend pro… ça me dégoûte.
Le garçon se repousse du bureau des deux bras. La chaise roule sur le plancher.

Son regard noir croise le petit miroir rectangulaire posé près de l’ordinateur. Fixant son reflet, il se fige.

Toujours les mêmes joues rondes d’enfant de treize ans un peu trop rond pour s’apprécier.
 Toujours les cheveux mi-longs châtain qui lui valent des surnoms débiles depuis le début de sa scolarité.
Toujours cette légère cicatrice au-dessus de sa lèvre supérieure, vestige d’un violent accrochage au collège un jour de malchance.
Et toujours cet air sombre, expression vide qui accueille toute sa colère et sa frustration…

~

Dans le coin droit de son écran, l’horloge indique vingt-et-une heures sept. Son estomac se manifeste alors bruyamment.
- Ah ouais, j’ai pas mangé, moi…
Derrière la fenêtre à sa gauche,  le ciel prend de vilaines teintes grises. Walter soupire à la vue des masses nuageuses qui s’amoncellent au-dessus de lui, assombrissant petit à petit la pièce pourtant pourvue  de deux larges vitres.
- Saleté de temps.
Il s’étire lentement, joue de son dos et de ses coudes dans un craquement malsain qui lui arrache un sourire. Suite à quoi, il se lève, et quitte sa chambre.

Les sons de la télé du salon lui parviennent tandis qu’il arpente le couloir de l’étage. Walter descend l’escalier aux marches de chêne d’un pas doux, puis avance, brisant le craquement du vieux bois en sifflotant une mélodie qu’un jeu vidéo souvent parcouru a imprimé dans son esprit. Passée l’arche séparant l’entrée de la pièce de vie, il marche en direction de la cuisine, à sa gauche. Les premières gouttes de l’orage qui fouettent les carreaux du rez-de-chaussée accompagnent sa traversée. Au fond, une voix grave s’élève, grognant des parasites que la météo inflige à la réception satellite. L’ado ricane.

Le crépitement des halogènes déchire le calme de la maison. Une vive lumière envahit la pièce, et découvre les meubles et les bibelots. Un imposant frigo américain gris métallisé trône fièrement près de l’entrée, avec à ses côtés une gazinière dans un état impeccable, et un four, dont la porte entrouverte l’attire automatiquement. La tirant vers lui d’un geste précis trahissant son habitude, il y découvre des restes de pizzas encore tièdes.  Il s’en empare en soupirant à nouveau.

La grille du four  rejoint l’inox de la table dans un léger tintement. Il reste une part de Quatre Fromages, et une demi-pizza de Saumon-Mozzarelle, qui lui arrache une grimace de dégoût.
Walter fixe le demi-cercle de croûte vert et rose. Oter le poisson serait trop long. Et puis avec la chance qu’il a, il aura imprégné la pâte. Il saisit donc le reste de Saumon-Mozza, qu’il remet négligemment où il l’a trouvé, avant de croquer dans la part fromagère.
- Bon appétit…
Une nouvelle salve énervée surgit du salon. Son père a l’air particulièrement agacé, il serait de bon ton de remonter avant qu’ils ne se croisent. Evidemment, la punition de Walter est injuste- c’est vrai de nos jours, qui arrive à l’heure pour le repas ?- et l’envoyer dans sa chambre est un peu extrême. Mais le jeune garçon sait que s’il est attrapé dans la cuisine, il sera reparti pour une énième engueulade. Et s’il pouvait éviter…


~


La porte de la chambre claque et le coupe définitivement des bruits du dessous. Du seuil, il se dirige droit vers le bureau, se laisse tomber dans son fauteuil en saisissant sa souris d’un geste dont la fluidité trahit l’habitude. Le pointeur sur l’écran cliquète dans le grondement de l’averse qui frappe ses carreaux, il navigue dans une multitude de dossiers et de sous-dossiers jusqu’à atteindre son objectif. Orage ou pas, il est des rituels qu’on ne se refuse pas.

Une fois lancée, comme chaque soir, la playlist de ses musiques de jeux préférées, il rejoint le lit, où il s’écroule, sur le dos. Sitôt posé, il replie ses bras sous sa tête, et fixe les lattes du plafond, où ondulent les formes multicolores de l’écran de veille. Walter se laisse rapidement happer par la danse désordonnée des effets sur le bois.

Il fait encore plus ou moins clair, dehors, le printemps vit ses derniers jours, imposant au village de Nacquat une étouffante fin de journée, chaude et humide, dont le ciel déchaîné assombrit les espoirs. Espoir d’un lendemain sec, sans averses ; espoir d’un lendemain, sans contrôle, sans interro surprise ; espoir d’un lendemain, sans ce crétin de Benjamin Durteaux…

Sans quitter le plafond des yeux, Walter tend le bras pour attraper le Rubik’s Cube posé sur sa table de chevet, près de la photo d’une fille aux cheveux ondulés bruns, dans un carde aux enluminures dorées. Il se met machinalement à le manipuler, sans même prendre la peine d’y apposer le regard. Juste pour sentir les parois coulissant sous ses vifs mouvements, les rotations, aléatoires, les faces se formant, se déformant… cela le détend.

Du moins… ne l’énerve pas davantage.

Ce Benjamin- Big Ben, comme on l’appelle- est une véritable plaie. N’importe quel gamin normalement constitué ne se vanterait pas d’avoir redoublé tant de fois, un tel record de bêtise suffirait à lui clouer le bec… seulement, avantage accordé à l’âge, Big Ben est plus grand et plus costaud que tous les autres. Sa seule force… c’est sa force. Plus encore que les pizzas Saumon-Mozza, ce que Walter déteste le plus au monde, c’est ce genre de pseudo-caïds…

Et il reste encore cinq jours de cours avant les vacances d’été.

Merde. C’est long une semaine.

Walter lève le Cube pour le placer sous ses yeux. Une rapide inspection lui permet de constater qu’il n’a complété aucune face.
- Pff…
Le jouet rejoint le bout du lit. Tout en ôtant son t-shirt à l’effigie d’un héros de manga, il retire ses baskets en s’aidant de ses orteils. Puis il lève le bassin pour enlever son jean, et plie les genoux pour quitter ses chaussettes. Le linge s’amoncelle sur le plancher.

Allongé sur le dos, en caleçon, Walter fixe le ciel sombre à travers la fenêtre à sa gauche, donnant sur la rue d’où montent avec régularité les bruits de moteur. Il tend les bras et les jambes pour se coucher en croix.

Je sais pas ce qui m’attend demain, mais si c’est aussi pourri qu’aujourd’hui… c’est même pas la peine.


~


Walter est déjà réveillé depuis une bonne heure lorsque l’alarme beugle sur sa table de chevet. Il a déjà enfilé son pull vert à poche ventrale, son jean et ses baskets blanches. Il quitte son bureau sur son fauteuil à roulettes afin de l’éteindre d’un coup vif, puis retourne à l’organisation de son lecteur MP3.  Le ciel s’est enfin calmé après avoir craché de violentes pluies toute la nuit, et il ne reste plus ce matin qu’un épais tapis de nuages gris et d’innombrables flaques d’eau. Triste tableau pour un mois de juin…

Mais l’ado n’est pas à l’observation du paysage, il s’intéresse moins à la fenêtre de sa chambre qu’à celle de son lecteur, sur l’écran parsemé d’icônes de jeux vidéo. Il déplace dans le dossier attribué au petit rectangle de plastique fiché dans la tour sous son bureau, toutes les musiques et chansons qu’il prendra plaisir à écouter dans la journée. Des sons pratiquement tous issus de sa saga préférée, Ash Kaiser. Alors qu’une jauge se remplissant sur son écran indique une copie en cours, Walter se laisse tomber dans son fauteuil.  Et levant les bras pour les croiser derrière sa tête, pose un regard admiratif sur sa collection.

Ash Kaiser est un personnage de romans dont Walter est devenu dingue alors qu’il n’avait que trois ans. Ce mercenaire du Moyen-âge vivant des aventures incroyables mêlées de duels à l’épée, d’arts martiaux et de monstres terrifiants, était rapidement devenu son idole, puis son modèle. Un jeune homme aux longs cheveux couleur azur, bâti comme un athlète aux muscles saillants, doté d’une épée à lame recourbée taillée dans le plus pur des saphirs, capable des acrobaties les plus impressionnantes et maîtrisant tous les sports de combat. Un héros, un vrai, bien loin certes, de la bedaine et de la maladresse de l’adolescent.

En plus, Maman veut pas que je me teigne les cheveux en bleu…

Walter est fan du personnage, un fan inconditionnel dont la collection habille l’entièreté du mur de son bureau : l’intégralité des romans parus depuis mille-neuf-cent-quatre-vingt-cinq ; les adaptations en jeux vidéo, même celles sorties sur d’antiques consoles vendues bien avant sa naissance ; les films, sur des DVD achetés le jour de leur sortie et usés par des visionnages répétés, ainsi que les tickets de ciné des séances, en jour un, il va de soi ; les affiches punaisées avec une symétrie digne d’un maniaque ; et tout ce que les magasins ont pu un jour offrir en dérivés- des cartes postales, des stylos, des sacs, même des choses d’un âge révolu dont Walter ignore l’utilité, tels des « pogs » et des « pin’s »…
Mais surtout Kyanite.

Kyanite est l’épée fétiche d’Ash Kaiser, une arme effilée comme un rasoir et capable de trancher la pierre, le m étal des armures, une merveille, un diamant bleu… Quand l’auteur a décidé il y deux ans de commercialiser des dagues collector à l’effigie de Kyanite, Walter s’est rué dans la boutique de goodies de Neuve-Liesse pour acheter son exemplaire. Un objet inaccessible pour son budget de collégien, mais qu’une avance sur argent de poche et une série de corvées fixées par le père ont rendu possible. Alors oui, c’était rageant de désherber et d’essuyer la vaisselle- mais quel bonheur ensuite, de poser ses yeux sur la pureté de l’artefact…
Un bonheur encore intact ce matin, comblant son regard d’étoiles scintillantes.

Porté par la passion qu’il porte pour cet objet, il se lève pour l’empoigner avec le plus grand soin. Le saisissant par le pommeau afin de l’extraire du cadre en forme d’écu où il siège à la verticale, il le porte à son visage et bientôt, l’azur du métal luisant se mêle au bleu de ses iris. Walter se sent aussitôt transporté dans les plaines du Royaume de Haven, traquant les bandits, récoltant les trésors, affrontant les dragons et les zombies… Reculant du bureau pour faire quelques moulinets, il part, dans les bois de Lagonia, dans les Monts de Kjeldor, ces lieux fabuleux qui ont bercé son enfance. Dans l’air qui s’engouffre par sa fenêtre entrouverte, il peut sentir les parfums d’herbe tondue dont les brins coupés ont mûri au soleil de la veille, l’eau de pluie chargée de la terre retournée par l’orage ou par l’écorce des charmes du jardin fouetté toute la nuit… Autant d’arômes de nature qui lui donnent l’impression d’effleurer les grilles de Haven…
Avant que cet impossible ailleurs ne lui rappelle son horrible quotidien.

Son regard se vide, il repose la dague tandis que le sourire dessiné par de tendres images se mue en une grimace de dégoût.
Il hait ce collège.
Il hait cette euphorie d’un été qui approche, qui libèrera tous ses camarades mais qui le contraindra, lui, aux milles tâches imposées par ses parents.
Il hait cette vie.
Et surtout, il hait Benjamin Durteaux.



Quel dommage que sa mère lui ait interdit d’utiliser la dague à l’école…

[...]
Le bus de sept heures vingt-cinq quitte l’arrêt du bas de la rue dans un bruissement léger. Walter avance dans l’allée centrale, ses écouteurs sur les oreilles, jusqu’à la banquette du fond. Son regard est fixe, à la fois rivé sur son siège et perdu dans son imaginaire que nourrissent les mélodies de son MP3. Il ne parcourt pas les nombreux visages de collégiens passagers comme lui, mais il peut le jurer, il sent leurs regards moqueurs posés sur lui. D’un geste machinal, il bascule son sac devant lui afin de s’asseoir sur le tissu bleu roy poussiéreux. Dans le car, on parle, on rit, on partage. Il glisse jusqu’à la vitre, à laquelle il s’accoude, noyant ses dernières onces d’attention dans les gouttes de pluie qui filent le long des carreaux.

Dans le bus qui l’amène au Collège, il s’abandonne. Il perd son regard dans les maisons qui défilent. Le trajet est le même, depuis trois longues années, et bientôt le panneau d’entrée de Rentes-le-Manoir apparaît. Son reflet se mêle alors à la foule compacte arpentant les trottoirs du village ouest de la presqu’île, son visage se dilue  dans cette masse d’inconnus qui vont au boulot, faire leurs courses…
Dans l’enchaînement de personnes sans nom, il repère un garçon, sensiblement du même âge que lui, avançant parmi les autres avec un air jovial lui déchirant le visage. Il tient la main d’une jeune fille qui est sans nul doute sa petite amie. Les deux semblent heureux.

Walter lâche une grimace.
Sans même le connaître, il déteste ce gosse.

Et ce dégoût soudain mais commun, lui donne une fugace inspiration. Il ouvre son sac posé sur le siège à ses côtés, y plonge la main pour en extirper un petit carnet bleu à la couverture fort abîmée qu’il garde précieusement, dans une poche cachée sous la doublure du bagage. L’ouvrant d’une main, saisissant un stylo de l’autre, il se fige, un instant.
Il se perd dans ses pensées, ferme les yeux une seconde.
Puis couche ses idées sur le papier.

Mon reflet se perd dans les maisons qui défilent
Et je sens ma motivation qui glisse et file
Dominé par ces tours que l’autobus dépasse
Je m’enfonce un peu plus dans cette anxieuse impasse.

Après avoir relu une dernière fois ses vers, comptant les pieds en levant le doigt dans le vide, il remet le carnet dans sa cachette, l’air satisfait. Si tout se passe comme prévu, ce recueil qu’il est en train d’écrire sera le livre le plus épique jamais rédigé.
- Ouais… épique.
Il deviendra célèbre, riche même, et tous ces imbéciles qui se moquent continuellement de lui tomberont à ses pieds. Il deviendra une légende, dont on parlera longtemps après sa mort, un exemple pour les jeunes, un héros pour les grands.

Parti dans ses rêveries, il ose afficher un sourire.
Qu’une hideuse façade grise et verte efface aussitôt.

Le bus freine doucement, avant de se stopper dans un sursaut. Les enfants présents dans le car bondé s’emparent de leurs affaires dans un brouhaha qui masque sans peine le bruissement hydraulique de l’ouverture de la porte.
- Collège du Rentois, arrêt.
Walter se lève en maugréant.
- C’est marqué en grand sur la façade, faudrait être con pour le rater…

A peine levé, un violent coup dans l’épaule le renvoie dans sa banquette. Un jeune garçon, casquette vissée sur le crâne, le dépasse sans lui adresser un regard.
- Dégage bouboule, tu gênes.
Walter se redresse, ronge sa colère dans un habituel soupir.

Il s’engage dans l’allée centrale, se dirige vers la sortie d’un pas mou.
- Allez gamin, lance le conducteur, dont la main tapote nerveusement sur le levier d’ouverture-fermeture. On se presse !
Le garçon ignore les paroles.
- Ouais… bonne journée à vous aussi.



Sitôt le pied posé sur le bitume, c’est une véritable procédure qui se met en marche.

D’abord, il sangle correctement son sac sur son dos, mais sans attacher les ceintures du torse et du bassin. Ainsi, s’il est saisi par son cartable, il aura le temps de se dégager pour anticiper la bagarre.
Ensuite, il passe son lecteur MP3 de la poche de son pull à celle de son jean. Ainsi, s’il est poursuivi ou qu’il doit inopinément se mettre à courir, il ne perdra pas son seul allié dans cet enfer quotidien.
Et finalement, tout en rejoignant lentement la cour avant du bâtiment, il observe avec attention le moindre élève posté entre lui et la grille d’entrée. Il ne connaît pas tout le monde, mais il sait qui éviter. Benjamin Durteaux est reconnaissable entre mille, mais il a toujours su rallier à sa maléfique cause d’autres garçons d’autres classes. Comme un Général du Chaos renouvelant sans arrêt son armée personnelle, le danger à chaque coin de couloir.

Quel dommage qu’on soit pas dans Legend of Heroes… Avec mon level et mon équipement de malade, il verrait rien venir le gros Ben…

Rassuré par son analyse infructueuse  mais toujours sur ses gardes, il tranche la foule, les mains enfoncées dans les poches de son pull. Autour de lui, tout le monde parle, mais il n’entend rien. On discute, on rigole, entre amis. Mais tout cela disparaît sous les douces mélodies de ses jeux préférés.
Walter n’a pas d’ami avec qui discuter, rigoler.
Il est seul.
Alors autant agrémenter ses journées avec de la musique de qualité.

Le jeune garçon passe la grille de métal blanc dans un soulagement intérieur. La bonne nouvelle, c’est que Benjamin ne l’a pas abordé devant tout ce monde.

C’est déjà assez dur d’échapper à sa soif de baston, si on peut éviter au passage de s’afficher devant tout le bahut…

Devant lui, une large allée s’étend sur une trentaine de mètres avant de tourner à l’équerre à droite, pour mener dans la Cour d’où se font déjà entendre les cris des collégiens. Le pas tranquille mais l’esprit alerte, Walter marche entre les vitres des salles de cours du bâtiment qu’il longe, et les voitures du personnel garées en épi. Tentant de se mêler à un flot bien plus éclaté qu’à l’extérieur de l’enceinte, il hausse les épaules.

Bientôt les vacances d’été… bientôt finies, ces conneries…

Dépassé par un élève qui le bouscule sans ménagement ni excuse, il quitte ses pensées pour poser un œil aigri sur l’entrée de la Cour qui se profile. Comme chaque matin depuis plusieurs années, tout cela lui tape sur les nerfs avant même qu’il n’ait fait un pas dans le Collège.
Plus que quelques mètres, et…

Allez… on y va.

Serrant les poings dans ses poches tout en s’encourageant à voix basse, il pénètre dans la Cour, une large zone carrée d’une cinquantaine de mètres de long, coincée entre trois bâtiments identiques formant un U de forme et de hauteur similaire, et accueillant en ses nombreuses salles le Français, les Langues, l’Histoire-Géo et les Arts. Les vitres sont hautes et de bois verni couleur jade, il y a ça et là des lampadaires formés de fines tubulures aluminées et surplombées d’un globe de verre terni par le temps, et une poignée de bancs en métal peints en blanc tous occupés par de pseudos chefs de clan. Ce plongeon soudain dans la folle ambiance de l’établissement lui arrache un frisson d’angoisse. Près des vitres, sous le préau au fond, au pied des portes d’entrée, il y a tant d’élèves, tant d’élèves…

Tant d’ennemis potentiels…

- Walter ?
L’appel le prend tant au dépourvu qu’il se retourne en sursautant. Dans une lente volte-face, il remarque quelques rires narquois et réflexions le concernant, mais il n’en tient pas compte. Il se concentre sur la fille postée face à lui, qui ne semble même pas surprise de cette lourde réaction.

- Oui ?
- J’ai un truc à te dire, tu as une minute ?

L’ado fronce les sourcils. Cette question n’est pas claire. On cherche soit à le distraire, soit à l’emmener dans un coin isolé. Dans les deux cas, on cherche à lui nuire.
Devant lui, la jeune fille, une jolie blonde avec les mains enfoncées dans les poches de sa veste à capuche rouge, efface le sourire que le sursaut de son camarade a dessiné sur son visage. Elle semble perdre patience.

Mathilde… elle n’est pas du genre à trainer avec Durteaux… elle n’est pas du genre à chercher les ennuis, de toute façon…

Il lance un rapide coup d’œil à gauche, à droite.

Je peux lui faire confiance.

- Oui, oui, bien sûr…
- Cool.
Mathilde arbore à nouveau son sourire.
- Sarah sait que tu as des sentiments pour elle.

Walter écarquille les yeux, recule d’un pas. Piqué au vif par cet aveu qu’il n’aurait jamais imaginé, il sent le rouge lui prendre le visage.

- Je, je…
- Eh ! s’exclame Mathilde. T’inquiète pas, c’est pas un souci ! Parce qu’elle m’a demandé de te dire que tu lui plaisais aussi…
- C’est vrai ??

La spontanéité de la question du garçon semble surprendre sa camarade, qui hausse les sourcils en ricanant.
- Bah oui, ça arrive, Walter !
- Wow, euh… wow.

Le jeune garçon tombe des nues, ses yeux s’ouvrent encore plus grand. Pour une surprise… Sarah Comtesse est une des plus belles filles de l’école, son amour secret depuis le début de sa scolarité, une fille qui ne lui a jamais adressé un regard mais qui attira toujours le sien, sa princesse, sa reine à lui…

On dirait que l’année se termine mieux qu’elle n’a commencé.

- Elle m’a aussi demandé de te dire qu’elle t’attendait dans le couloir de la Salle de Musique.
Un sourire se dessine sur son visage animé d’un soudain enthousiasme.
- On dirait qu’il va se passer quelque-chose de chaud…

Walter fronce les sourcils. Le bâtiment sera désert, le professeur de Musique n’arrivant qu’à midi tous les jeudis. Ca ressemble de plus en plus à un rencard…

- Et elle m’a dit qu’elle avait hâte d’y être, qu’elle attend ça depuis longtemps…
- Wow, et bien, euh…

L’ado bafouille, balbutie quelques mots, mais ne parvient pas à sortir une seule phrase. Mathilde lui pince amicalement la joue.
- Allez… assure, champion !

La jeune fille tourne les talons et s’éloigne en lâchant un clin d’œil. Derrière Walter,  la sonnerie retentit, et dans un même mouvement, tout le monde se dirige vers son entrée de Salle. Porté par une crainte inédite, et par une sensation de puissance encore jamais ressentie en ces murs, il se dirige d’un pas sûr vers le fond de la Cour, direction le Bâtiment A. Il en est convaincu, un cap important est en train de se dessiner…

[...]
La porte coupe-feu se referme dans un grincement qui déchire le calme de l’immeuble. Walter avance lentement dans le couloir qui s’offre à lui, chacun de ces pas arrachant au carrelage blanc nervuré de rouge un couinement aigu. Pour la discrétion, il repassera ; mais cela n’a aucune importance, il sait qu’on l’attend.

Il avance, faisant abstraction du monde extérieur, des cris de l’autre côté des vitres, dans la Cour deux étages plus bas, de l’interdiction de pénétrer dans les bâtiments en dehors des heures de cours, sans autorisation des professeurs. Il avance, poussé par une excitation mêlée d’une douce appréhension, une peur de l’inconnu censée précéder s’il ne se trompe pas, à un bonheur absolu.
Et enfin, au détour d’un virage à l’équerre, elle apparaît.

Sa vision est un choc sans équivalent.

Sarah est adossée au mur, posée contre la laine de verre couleur saumon, dans une petite veste noire, les bras croisés sur son maillot blanc au col arrondi laissant deviner l’orée d’une poitrine d’adolescente, ses jambes moulées dans un jean slim bleu du plus bel effet. Elle arbore la même chevelure ondulée brune, la même queue de cheval malmenée par les frisottis, retombant nonchalamment sur son épaule gauche…
Et ce sourire, ligne de désir tracée d’une pommette à l’autre, sublimée par le rose brillant d’un gloss à l’arôme fruité.

Il a beau l’admirer chaque jour, sa beauté le transperce à nouveau.

- Je pensais que tu n’oserais pas venir…
- Je n’aurais jamais imaginé être aussi excité de monter en Musique…

Sarah laisse échapper un rictus. L’approche d’un succès inévitable conforte Walter dans une plaisante confiance. Il se sent plus grand, plus fort. L’idée de quitter son statut de boulet asocial lui donne littéralement des ailes.

La collégienne quitte sa pose, le rejoint dans un déhanché suggestif qui arrache au garçon un frisson.
Elle se colle à lui, place ses bras autour de son cou. Walter est dès lors assailli par une tempête de sensations.
Il sent la chaleur traverser la veste et le pull pour irradier ses épaules.
Il sent la framboise envahir ses narines et accélérer son cœur.
Il sent comme une puissance indescriptible, impalpable, comme une hypnose lorsqu’elle plonge son regard dans le sien.
Il sent sa force se dissiper, s’évanouir, fondre comme glace au soleil de ses iris couleur noisette.

A cet instant, tout disparaît. Le couloir n’existe plus, les murs, cette armoire non loin n’existent plus.
Il n’y a plus qu’elle et lui.

Sarah se décale pour coller ses lèvres aux oreilles de son camarade.
- Tu permets que je te fasse un cadeau, Walter ?
Les susurres de la fille de ses rêves le font opiner du chef telle une marionnette.
- Tout ce que tu veux, Sarah…

La seconde qui s’ensuit lui fait aussitôt regretter sa réponse.

L’embrassade devient une étreinte dont il ne parvient pas à se dégager à temps. Dans un geste fluide et réfléchi, Sarah lance son genou en avant dans l’entrejambe de Walter. Ce dernier se cambre, tombe sur ses rotules dans une bruyante expiration.  Il rejoint le carrelage en maugréant.

- C’était encore plus simple que j’aurais imaginé…

Walter relève la tête, Sarah s’éloigne dans le mur d’eau qui recouvre ses yeux à cet instant. Ses cinq sens lui sont revenus à la vitesse de l’éclair, et les prémices d’un baiser de framboise ont laissé la place à un goût cuivré dans sa bouche. Faisant fi de la douleur qui lui déchire le bas-ventre, il se remet sur pieds.

- Putain, c’est quoi ton problème ??
- T’as vraiment cru que j’étais amoureuse d’un truc comme toi ?
- Un « non » aurait largement suffi…

La collégienne sort un smartphone de sa poche, semble se délecter de son acte.
- En tout cas, Mathilde a fait un super boulot…

Le faciès de Walter se décompose, le dépit lui arrache une grimace. Elle avait l’air si sympa… One peut donc faire confiance à personne ici.
Et la seconde sonnerie qui retentit à cet instant, annonçant le début des cours, marque d’une mélodie âpre cette vilaine révélation.

- Oh… tu boudes, bouboule ? Tu vas pleurer ?

Walter se redresse, tournant le peu de fierté qui lui reste en aplomb.
- Si on m’avait dit que t’étais aussi casse-couilles…
- Tu te marreras moins dans une minute.
Elle détourne le regard.
- Il est à toi.

Walter fronce les sourcils.
Et sa perplexité se change en horreur lorsqu’il aperçoit une silhouette surgir de derrière l’armoire.
Une grande, large silhouette.
LA silhouette qu’il souhaitait éviter.
- Salut, bouboule.

Un garçon costaud,  au moins une tête plus haute que lui, dont le maillot moule un corps bien trop développé pour un collégien ; un crâne aux cheveux très courts, avec une cicatrice près de l’arcade droite, vestige d’une altercation avec un lycéen l’an dernier ; des avant-bras comme des jambes, musclés du coude au poignet ; un short qui laisse apparaître des mollets de catcheurs, et une paire de chaussures à bout renforcé, idéales pour « botter des culs ».

Benjamin Durteaux avance vers lui en ricanant, préparant déjà ses poings dans un craquement sinistre.
- Je t’avais promis une branlée, bouboule. Tu croyais que je t’avais oublié ?
- Je l’espérais, oui…
Sarah ricane à son tour.
- Je sens qu’on va se marrer.
Walter lui adresse son regard le plus noir, tout en luttant pour retenir ses larmes.
- Toi, tu me le paieras.

Il reste droit, tentant d’ignorer les tremblements que la peur lui inflige. Dans un essai vain de tenir tête à sa brute, il se met à réfléchir. Il sait que le temps lui est compté.

Un grincement à sa droite attire son attention. Reculant lentement jusqu’au coin du mur, il aperçoit trois garçons arpentant le couloir qui l’a mené ici. Deux jeunes d’apparence assez musclés, l’un aux cheveux courts et l’autre arborant une queue en épi sur le sommet de son crâne, se ressemblant comme deux gouttes d’eau, et entourant un jeune homme au visage caché par la capuche d’un sweat noir comme les Ténèbres.

Thomas Fantassin et les jumeaux Willander, qui avancent vers Walter d’un air satisfait qui le conforte dans l’idée que tout était manigancé, et lui arrachent un nouveau vacillement d’effroi.

Trois amis de Benjamin.

- Ah… génial.
- Voilà tes potes, lance Sarah en rangeant son smartphone dans son jean.
- T’as besoin de renforts maintenant ?

Le cran de Walter arrache un haussement de sourcils au costaud.
- J’ai pas besoin de renforts…  j’ai envie de public.

Le jeune homme ravale sa salive. La situation devient critique.

Ma seule issue, c’est la porte coupe-feu. Le couloir mène dans un cul-de-sac, et la Salle de Musique est fermée…  Et ma seule aide, c’est… mon sac à dos.

L’idée est aussi géniale que folle. Mais qui ne tente rien n’a rien…
Alors dans un sursaut de fierté, il ôte son cartable.

- Désolé Ben à ordures, mais j’ai mieux à faire que de participer à ta fête de la saucisse ! Je te laisse à ta petite sauterie entre mecs !

La face de Benjamin se pare d’une déplaisante surprise. Aussitôt Walter part dans un sprint qui prend ses cinq ennemis de court, en direction de la porte coupe-feu. Etonnés eux aussi, les trois ados se placent en une ligne occupant la largeur du couloir. Mais c’était sans compter sur le plan d’un collégien désespéré.

A leur contact, Walter saisit son sac et le lance de toutes ses forces au visage du collégien du centre. L’attaque est si brève que l’infortuné ne peut stopper le projectile de cuir qui l’arrache littéralement du sol. Sans ralentir, Walter bondit et se faufile entre les deux compères médusés, non sans leur asséner une gifle au passage de ses deux bras tendus. Une fois le carrelage rejoint, il reprend sa fulgurante échappée, abandonnant son cartable à un funeste destin avant de passer la porte d’un saut.



Jamais aucun élève de ce collège n’avait parcouru si vite les marches de cet escalier, avalées quatre à quatre dans l’espoir de rejoindre la Cour et les salvateurs professeurs. Walter bondit à vive allure, priant à chaque réception pour ne pas se briser les chevilles. Cette course est longue à en mourir, et lui donne l’impression de redescendre l’Empire State Building tout entier. Mais enfin, il pose le pied sur le seuil du rez-de-chaussée, et lance la main sur la poignée de la porte.

Avant qu’un choc violent ne l’envoie contre le mur dans un claquement assourdissant.

Complètement sonné par l’impact, Walter ne sait réagir tandis qu’une main l’empoigne pour le tirer vers le haut. Il secoue vivement la tête pour retrouver ses esprits, mais lorsqu’il arrive à la conclusion qu’un sixième gars l’attendait en bas, il est trop tard.
Benjamin vient de le rattraper.

- T’as perdu un truc, Ben ?
- Ouais… un peu de temps.

La main qu’il abat sur le visage de Walter fait plus de bruit que de mal. Cette petite claque est certainement plus humiliante que douloureuse, et charge ses yeux de nouvelles perles de sel. Il l’abat une seconde fois, dans un revers plus blessant pour l’esprit que le corps.
- Ca, c’est pour mes potes…

Walter se débat, mais la poigne de Benjamin est plus forte. Ses trois amis du deuxième étage le rejoignent tranquillement, et malgré la situation, le jeune homme ne peut réprimer un sourire à la vue du nez ensanglanté de Thomas.
- Mon pote pisse le sang, c’est pas bien, bouboule…
- Que veux-tu, le poids des études…

Une nouvelle gifle lui fouette le visage, mettant un terme à sa verve.  Ash Kaiser ne lui a pas appris à se battre, si l’on excepte ces cours de karaté qu’il suit depuis plusieurs années maintenant, mais il lui a au moins enseigné quelques réparties cinglantes.
Qui ne suffiront malheureusement pas pour prendre l’avantage sur Durteaux aujourd’hui.

- C’est moi ou il fait chaud ici ?
La question lancée par la brute ravit autant ses sbires qu’elle ne tétanise le jeune homme. Les six collégiens présents dans ce hall savent exactement à quoi il fait allusion.
Sarah sort à nouveau son téléphone.
- Facebook direct, les gars…

Walter tente une ultime offensive mais l’étreinte le plaque contre un mur. Alors que les mains de Benjamin se lancent à l’assaut de son pull, Walter lâche un cri, qu’un des comparses étouffe de sa main une fois le vêtement ôté. Sans qu’il puisse agir, impuissant face à la pression des quatre garçons, et malgré sa colère grandissant à la vue de son amour de collège braquant sur lui un smartphone en mode vidéo, il se retrouve en maillot et en caleçon en une poignée de secondes.

Parvenant au terme d’un effort surhumain à dégager une jambe, il la lance devant lui afin de s’échapper. Retrouvant une soudaine aise, il se rue vers la porte lorsqu’il sent qu’on le retient par le col. Se libérant en enlevant son t-shirt dans une rotation hasardeuse, il fuit, ouvrant la porte en s’écrasant sur la poignée, avant de se jeter à l’extérieur. Il la referme alors d’un geste rageur, la claquant dans un bruit lourd qui se répercute dans le silence monacal de la Cour.
La peur et l’adrénaline le font respirer bruyamment, il a les yeux et les poumons en feu. Il fixe ses agresseurs de l’autre côté de la vitre, remonter les escaliers en riant comme des forcenés. Le hall se vide petit à petit, il prend conscience qu’il vient d’échapper au pire.
Alors il prend une seconde pour respirer.

Seconde pendant laquelle il se rend compte qu’il est en sous-vêtements, à l’extérieur.

Son sang se fige dans ses veines, ses yeux s’écarquillent dans une terreur sans nom, tandis qu’il tourne lentement la tête vers la Cour.


Plus de trois cent élèves, rangés, éberlués, les yeux rivés sur lui dans un silence malsain.


Walter sent presque le sol se dérober sous ses pas, l’avaler dans une incommensurable honte. Il sent son corps nu bouillir du rouge de l’humiliation, trembler de tous ses membres.

Alors une voix se fait entendre, depuis les hauteurs du bâtiment des Arts, et une série d’objets rejoignant les airs attire les curiosités.

- Eh bouboule ! C’est les soldes !

Des vêtements, jetés du deuxième étage par une fenêtre.
Ses vêtements.

Aussitôt, le collège part dans un éclat de rire général, attisé par ce surnom hideux que scandent la brute et ses gars.

BOU-BOULE ! BOU-BOULE !

Walter baisse la tête, laisse les larmes ravager ses joues dans une plainte que couvrent les cris des jeunes ados, tous alliés derrière Benjamin et son plan inhumain.

BOU-BOULE ! BOU-BOULE !

Il rejoint lentement le centre de la Cour, terrassé par une gène qui secoue son corps entier, des pleurs qui ne veulent plus s’arrêter.

BOU-BOULE ! BOU-BOULE !

Il se penche pour ramasser ses affaires, il sent le regard de tous ces gens posés sur lui, s’attarder sur chacun  de ses kilos superflus ; il entend les moqueries, sur son physique, sur son état ; il entend les rires, les invectives, il imagine Sarah, sa Sarah, qui filme en éclatant de joie…

BOU-BOULE ! BOU-BOULE !

Et tandis qu’il saisit d’une main tremblotante ses effets au cœur de la Cour, croulant sous les flots de railleries comme son visage sous des torrents de larmes,  Walter se met à espérer que sa vie prenne fin, maintenant.

Je connais pas Ash Kaiser, mais sinon j'aime bien :) Juste attention, tu as utilisé de manière assez rapproché l'expression "qui trahit ses habitudes" dans la première partie, ça fait un peu redondant je trouve ;) Ah, et j'ai pas trop compris le "BROUFF!" tout au début, c'est pour indiquer un bruit ?

Sinon j'aime bien l'écriture :) Curieux de voir ce qu'il va arriver ensuite... Pauvre Walter tout de même :/
Perso, j'avais senti le piège arriver tout de suite, mais c'est assez violent là quand même :p