- Plus personne ne va sortir d'ici sans mon autorisation, déclara alors Shutarô, en saisissant doucement Candice par le bras dès qu'elle fut à portée. Alidann, tu n'as pas à t'en faire, je te traiterai enfin comme mon digne fils à partir de maintenant. Kerem, je te vois bien m'aider à fabriquer d'autres Rouages, et pourquoi pas leur servir de dîner?... Ah non, ça, c'est le rôle de ce pauvre Laurier... Et de ce cher Adrian tant que j'y serai! Ca l'apprendra à ne compter que sur son pouvoir!
Sans qu'il le voie, Candice serra les dents, et son poing se crispa légèrement.
- Et toi Thélia Emilen, lança Adrian en brandissant le flacon rempli du Quatrem dans sa main valide, tu seras la première patiente à qui je tenterai une injection de Tetrix! Nous verrons bien si votre force de caractère suffira à lutter contre ce poison...
Shutarô lâcha Candice et leva son menton avec sa main pour la forcer à le regarder.
- Quant à toi ma chère Candice, tu vas bientôt connaître la vraie raison de ta venue au monde, lui dit-il avec un regard plein de tendresse.
En bas de l'estrade, Alidann fit un pas en avant, grognant de rage. A nouveau, l'envie lui vint de bondir sur l'estrade pour aller achever son père. Mais sous les ordres de son amie, il savait qu'il ne pouvait pas le faire. Mais qu'allait-il se passer alors? Candice ne pouvait se résoudre à un tel sort, c'était tout simplement impossible!
- Shutarô... souffla alors Candice sans cesser de le regarder. Si le Quatrem m'est nocif... il pourrait sauver les malades du Tetrix, n'est-ce pas?...
Le scientifique agita son flacon dans sa main libre avec un petit sourire.
- C'est exact.
- C'est tout ce que j'avais besoin de savoir.
L'instant d'après, Shutarô sentit sa main violemment fouettée et il lâcha le flacon qui retomba vers l'entrée de la salle. Vif, Kerem le rattrapa de justesse. Candice recula de deux pas et agita ses piques autour d'elle tandis que le scientifique lui jetait un regard plein de haine.
- Comment as-tu osé... maugréa-t-il. Si tu tentes quoi que ce soit, nous sommes tous condamnés! Utilise encore une seule fois ton Esprim, et additionné à celui de ta mère qu'elle rejette inconsciemment, nous mourrons tous!!
C'est à ce moment-là qu'Alidann commença à remarquer qu'il ne sentait pas très bien. Un faible mal de tête était en train de se manifester sans qu'il l'ait senti venir. C'était donc à cause de la puissance dégagée par Serena?
Il tourna la tête vers Kerem et Thélia, qui semblaient souffrir encore plus que lui. Kerem, serrant nerveusement le flacon dans sa main, avait déjà posé un genou à terre.
Alidann regarda à nouveau vers Candice et Shutarô, serrant les dents sous la douleur grandissante. Ils devaient vite partir d'ici, tous. Sinon, ils s'évanouiraient puis mourraient sans même s'en rendre compte. Adrian n'en aurait plus pour longtemps non plus si jamais ils restaient là...
C'est alors que Candice jeta un regard à Alidann et s'exclama :
- Partez vite d'ici, je vais condamner cet endroit!!
- N'espère même pas tenter quoi que ce soit contre moi! rugit Shutarô en plongeant sa main dans la poche de sa blouse.
Il en sortit un second flacon rempli du Quatrem. Candice avait à peine eu le temps de se maudire pour sa naïveté qu'il l'avait ouvert, et alors qu'elle commençait à trembler de tout son corps rien qu'à l'odeur de cette substance, Shutarô la saisit au cou de sa main valide et la poussa violemment contre le tube de Serena. Candice poussa un gémissement de douleur, plaquée contre la paroi de verre. Shutarô lui serrait lentement la gorge en gardant le Quatrem juste sous son nez ; et elle commença à se sentir de plus en plus mal.
- CANDICE !! hurla Alidann.
Le jeune homme n'attendit pas et se précipita sur l'estrade à son tour. Mais à peine l'avait-il escaladée que son père le prévint :
- Mon fils, si tu fais encore un pas, je lui fais avaler ça et tu vas perdre la fille que tu aimes.
Alidann resta muet et immobile. Etait-ce à cause de la menace en elle-même, ou à cause de cette déclaration subite? Il se surprit à se demander si son père n'avait pas raison. Il ne s'était jamais posé la question car peu lui importait, mais au fond... que ressentait-il exactement?
C'est alors que son regard croisa celui de Candice. Comme si le temps venait de s'arrêter autour d'eux, ils se dévisagèrent pendant un moment qui leur parut infiniment long. Comme si rien qu'avec cet échange visuel, ils se disaient tout ce qu'ils n'avaient jamais oser s'avouer, et franchissaient enfin ce fossé qui demeurait entre eux deux depuis trop longtemps. Sauf que cette fois, le fossé en question était matériel. Une seule chose, ou plutôt une seule personne les empêchait d'être réunis vraiment.
Isaac Shutarô.
Candice ferma les yeux avec un sourire, sentant cette main pleine de rage palpiter contre sa gorge.
Sans qu'elle s'en rende compte, une larme coula sur sa joue.
- Tu as besoin de moi pour bâtir ton monde idéal... souffla alors la hérissonne au scientifique.
Celui-ci la regarda avec étonnement, et serra encore plus fort le Quatrem dans sa main gauche. La hérissonne décocha un sourire gêné et le regarda dans les yeux :
- Donc en gros, si je meurs, tes plans tombent à l'eau ; c'est ça ?
Un pique se réveilla soudain et fonça à toute vitesse contre la paroi du tube de Serena, éclatant une petite partie de celui-ci. Le liquide verdâtre qu'il contenait commença à faire pression sur la vitre brisée, et Shutarô s'éloigna à grands pas avec un grognement. Candice se tourna vers sa mère qui voyait sa prison fondre lentement, et le liquide qui l'entourait commença à s'échapper de tous les côtés. A l'entrée de la salle, Kerem et Thélia prirent Adrian et le corps de Laurier, et commencèrent à sortir.
- Vite, Alidann!! cria Kerem, luttant contre son mal de tête grandissant.
Les morceaux de verre se craquelaient puis explosaient les uns après les autres. Tous s'éloignèrent rapidement de cet étrange liquide, sauf Candice. Les pieds dedans, elle s'avança vers sa mère, qui était enfin en train de retrouver l'air libre. La hérissonne avança une main timide vers le visage de sa mère et lui effleura la joue tendrement.
- Je suis rentrée... souffla-t-elle, deux larmes de joie comme de tristesse coulant sur ses joues.
Un coup de feu à sa droite. Elle le bloqua avec un pique sans même réfléchir, ignorant la douleur. Un second, qui fut paré à nouveau. Puis elle entendit des cris de lutte sur le côté de l'estrade ; certainement Alidann qui s'était enfin jeté sur son père.
Mais elle était de retour chez elle. Le temps n'existait plus.
... Pas cette fois non plus, on dirait... Candice releva la tête, et vit tous ces fils reliés à sa mère. Elle n'était à présent retenue que par ces câbles étranges qui l'encerclaient de tous les côtés.
...Mais en fin de compte, je me demande si tuer le Quatrem, puis mourir face à lui, était le véritable sens de ma vie. Alidann flanqua un nouveau coup de poing à son père, puis l'envoya à terre avec un coup de pied dans l'estomac. Le scientifique tomba à genoux, suffoquant. Alidann continua d'ignorer les appels de Kerem et Thélia ; et il ignorait de même son mal de tête grandissant qui lui faisait peu à peu perdre l'esprit.
C'est vrai, après tout... Je suis née ainsi. Le Tetrix, c'est moi. Et pourtant... c'est toi aussi, non? Candice regarda de nouveau sa mère. Il lui sembla que des larmes commençaient à embuer ses yeux clos.
Ah... non. C'est moi qui pleure cette fois. La jeune hérissonne sécha ses larmes avec un sourire triste. Puis elle regarda le visage paisible de sa mère avec tendresse.
J'ai trouvé un autre moyen de donner un sens à mon existence... Alors attends-moi, maman. Alidann commençait à perdre ses forces. Il n'avait même plus le courage de continuer à frapper son père qui, au sol, gémissait de douleur. Candice regarda le jeune garçon et envoya ses piques vers lui, le saisit de tous côtés puis le souleva délicatement du sol grâce à la force que lui procurait son Esprim. Surpris, coincé dans les airs, Alidann regarda son amie à son tour en appelant son nom à tue-tête.
Tu veux que je rentre, c'est ça? Candice décocha un sourire, et recula de quelques pas pour se placer au bord de l'estrade, puis alla déposer doucement Alidann à l'entrée de la salle.
Pas cette fois, mon coeur. Les hurlements d'Alidann se perdirent dans un néant dont plus personne n'avait conscience. Une confusion sans pareille. Les machines se détraquaient les unes après les autres, le tube brisé de Serena émettait des signaux de tous les côtés, et l'Esprim continuait de rugir, inlassablement, tandis que Shutarô de traînait jusqu'à Candice en gémissant. Il ne pouvait pas échouer si près du but. Il pouvait encore se relever, convaincre Candice, et atteindre son rêve, enfin...
Un pique lui transperça alors le dos, coupant court à son existence, figeant ses yeux surpris dans le néant, sans plus de bavure.
Candice se concentra et fit rugir son énergie partout alentour. Ses piques allèrent tous frapper le mur derrière le tube de Serena, provoquant un grondement sourd qui se répercuta dans toute la zone. Les parois des murs commencèrent à grincer. L'Esprim exerçait déjà son emprise mortelle sur toute la pièce. Elle était condamnée.
La hérissonne laissa s'échapper une nouvelle larme. Thélia tira sans plus attendre Alidann en arrière. Et la salle commençait déjà à s'effondrer.
C'est avant que l'entrée ne se bouche définitivement, que la mobienne se retourna une dernière fois, et que son regard croisa celui de son ami. Elle lui sourit avec une rare tristesse, et une affection qu'elle n'avait plus peur de cacher. Incapable de lui rendre les mêmes sentiments d'un simple regard, Alidann rassembla ce qu'il lui restait de voix, de coeur et de courage pour lui hurler à quel point il tenait à elle.
Et lui supplier une dernière fois de rentrer.
Les blocs de pierre et les parois d'acier s'effondrèrent partout dans la salle. La poussière eut tôt fait d'aveugler tous les regards, et le vacarme, d'éteindre toutes les voix. Les rambardes d'acier soutenant le plafond commencèrent elles aussi à chuter en entraînant des réseaux entiers de câbles et de tuyaux de canalisations, qui versèrent leur contenu parmi l'avalanche mortelle. Les fondations s'écroulèrent alors sur elles-mêmes en bouchant le moindre accès, et étouffant les derniers cris d'une vie déchirée.
Candice ferma les yeux.
***
*****
***
Le fermier, mangouste brune au physique altéré par l'âge, avança calmement dans son champ en sifflotant, puis posa son râteau dans une étendue de terre déjà toute retournée. Il aperçut alors, à quelques mètres devant, la silhouette du jeune garçon qu'il avait recruté, et l'appela avec un sourire :
- Eh, mon gars! Tu fais des heures supplémentaires maintenant? Héhé, c'est sympa de te rendre aussi utile, j'apprécie!
Le jeune homme, vêtu d'un pantacourt noir et d'un haut blanc sans manches un peu abîmé, se retourna vers le propriétaire des lieux en s'épongeant le font avec son bras, cessant un moment de retourner la terre fraîche. Il lui décocha un sourire. Toujours le même, en réalité. Un sourire déchiré cachant mal la peine profonde qui devait lui labourer le coeur. Son jeune visage, depuis que le fermier l'avait recruté, n'avait toujours exprimé que cette même mélancolie.
- Tu devrais prendre un petit rafraîchissement au moins, tu vas mourir sous une chaleur pareille! lui dit la mangouste en s'avançant vers lui, puis en lui tendant une bouteille d'eau.
Le jeune homme la saisit avec un grand sourire de remerciement.
- A ce rythme là, on va avoir de belles plantations et largement de quoi passer l'hiver au chaud! C'est une chance qu'il fasse si beau ces jours-ci... Un petit sourire aux lèvres, le fermier regarda le jeune homme se désaltérer. Ce dernier avait les cheveux en bataille, d'un brun sombre chatoyant sous le soleil, et des yeux vert sombre qui semblaient vides, éteints. Avait-elle toujours été là, cette étrange lueur qui s'y peignait néanmoins? Mais il n'y avait pas que cette faible et mystérieuse lueur qui l'intriguait. Aussi, sa recrue ne lui avait jamais dit un seul mot. Etait-il muet? Maintes fois, il lui avait posé la question. Le jeune homme s'était toujours contenté d'un sourire attristé en guise de réponse.
Le garçon rendit la bouteille à son propriétaire avec un nouveau sourire. C'était encore une chaude journée d'été qui inondait l'archipel d'Helena de lumière ; une lumière tranquille et sa chaleur bienveillante qui annonçaient l'avenue d'un nouveau départ. La vieille mangouste leva alors les yeux en direction de la montagne au centre de l'île. S'y dressait un imposant laboratoire blanc, désaffecté depuis maintenant quelques temps.
- J'ai jamais trop compris ce qu'il s'était passé là-haut, confia alors le mobien à son jeune ami. Mais toi, tu en viens n'est-ce pas, Alidann?
Le jeune homme ne répondit pas et leva ses yeux sur le laboratoire à son tour. Il le contempla longuement, perdu dans ses pensées. Oui, il l'avait connu. Il y avait déjà longtemps.
- C'était bizarre, ils ont tous quitté l'établissement d'un coup après nous avoir confié le vaccin contre cette épidémie. C'est génial qu'ils l'aient enfin mis au point, mais quand même, c'était pas une raison pour déserter! Enfin, ce qui est fait est fait, hein. Ils avaient peut-être plus de boulot qui les attendaient à Station Square.
Alidann baissa les yeux. Pour sûr, ses adieux avec Kerem et Thélia avaient été rapides. Adrian était reparti à la capitale comme une furie, vexé de n'avoir rien pu faire pour s'attirer tous les mérites, finalement. Le jeune informaticien avait longuement insisté pour inciter le fils de Shutarô à repartir sur le continent avec eux. Mais pour Alidann, ce n'était vraiment pas envisageable. Il ne pouvait pas la laisser seule.
Il ferma les yeux en pensant à Candice. Tous les accès au laboratoire avaient été condamnés, et pas plus de recherches n'avaient été faites. Les derniers Rouages que Shutarô gardait secrètement enfermés dans ses souterrains avaient dû finir par mourir de faim. Et l'histoire du laboratoire d'Helena s'était tue sans faire plus de vagues...
- Eh mon garçon, je vais prendre la relève si tu veux, déclara le fermier. Va te reposer un peu à l'ombre, tu l'as bien mérité.
La voyez-vous encore, cette lueur?...
Alidann se retourna en décochant un dernier sourire, une larme glissant sur sa joue foncée par le soleil.
Oui... je me demande si on la voit encore.
Cette lueur de tristesse.
RemerciementsEh bien, une fois de plus, c'est une fiction qui s'achève! Mille mercis à tous ceux qui m'ont soutenue, car je pense que c'était là ma dernière histoire. Enfin, maintenant, qui sait de quoi demain sera fait...
Un grand merci à :
Capita
Shadtty
shadow/ombre
Miko
Sonic vs Knuckles
Naomi
Hunter
jumi 67
Bledengor
Yohvui
Kouratine the echidna
Maëva
Yoshimini
Vanille
Moona-chan
Ma Cyber-jumelle de la mort qui plane sur l'axe de rotation Paris-Toulouse avec un angle de cinq Pi radian
Donfy (Blackdoom)
... Et Hawk, en mode lecteur final! XD
Et la mention spéciale est attribuée à
Capita et
Donfy, pour m'avoir critiquée encore plus que les autres et pour avoir deviné mes stratagèmes divers avec une aisance peu commune!
A bientôt sur le forum, sur DeviantArt, ou aux Irls! =3