Bon, postons.
JOUR 8
03:14
Hmmm ... Je crois que je me suis endormi devant la fenêtre. Mais j'ai un sommeil de plomb, d'habitude. Bah, peut-être que dormir debout ça aide à ne pas dormir trop longtemps.
Je vois encore un peu flou. Mais mes oreilles sont bien ouvertes. Et la fenêtre est entrouverte.
En face de ma chambre, il y a un arbre. Il est grand, bourré de feuilles bien vertes et de branches épaisses comme mes bras. On ne voit pas ce qu'il y a derrière le feuillage.
Ce soir, il n'y a pas de vent. Mais pourtant, les feuilles bruissent ... Etrange.
Et tout à coup, un homme monte dans l'arbre. Agile. Souple. J'entends un échange murmuré discrètement dans le silence de la nuit, sans toutefois pouvoir entendre ce qui se dit. Quelques instants plus tard, un autre homme descend, pas très doué pour l'escalade, on dirait.
Il y a donc deux hommes.
Mais ... qu'est-ce qu'ils foutent là ?
Question conne, réponse conne : ils espionnent quelqu'un. Mais qui ?
Question conne numéro deux. Moi. Le gars ne m'avait sans doute pas vu. Du noir sur du noir ...
Sans bruit, me fondant dans l'ombre, j'enfile ma bonne vieille veste en cuir noir, mais je n'ai pas de pantalon noir qui va avec. Je n'ai qu'un pantalon blanc ... Tant pis, on fera avec.
Je prends les clés de la moto, mon casque, je l'enfile et je descends discrètement les escaliers. Il est temps de voir qui sont ces types.
03:17
« Je sais rien ! Je sais rien ! »
Moins fort, abruti. Pour la peine, t'as gagné un coup de boule. Tiens. Et si t'es pas content, je te refile aussi mon genou dans le ventre. Et re-tiens.
« Me prends pas pour un con. Pour qui tu bosses ?
- J'en sais rien ! »
Je crois que je lui ai pété deux dents. M'enfin, pas moyen de voir, avec cette cagoule. D'ailleurs, je me fous de voir son visage. Ce que je veux, c'est des renseignements.
« Et à qui tu files tes rapports ? Hein ? Connard, réponds ! »
Je crois qu'il fonctionne au ralenti. Merde, j'aurais pas du frapper aussi fort ... Mais il semble reprendre son souffle.
Tout ce que j'ai pu obtenir de lui avant qu'il ne s'évanouisse, c'est l'endroit où il déposait ses rapports. Une boîte aux lettres dans un quartier chaud.
J'abandonne le pauvre type dans une ruelle un quartier plus loin. Puis je prends la moto. Direction le quartier chaud.
03:31
Bon, pour une fois, j'ai conduit prudemment. J'ai même respecté les limitations de vitesse.
Je vois la boîte aux lettres. Là. Pas loin de l'entrée d'une maison étrange aux volets clos. Je cherche un endroit où me dissimuler. On peut dire que j'ai le choix : quatre ruelles sombres longent chaque façade de la maison. Celle de la boîte aux lettres, celle de derrière, une de chaque côté. Chance, les deux ruelles latérales sont en fait des culs-de-sac. Ça m'évitera de me faire prendre par-derrière, et puis, si j'ai besoin de fuir, suffira de démolir le mur.
Heureusement que j'ai laissé la moto dans un quartier plus tranquille. Vu le nombre de types louches qui passent par ici, j'aurais pu me la faire piquer. Et puis le type qui viendrait chercher le rapport aurait reconnu la bécane.
Normalement, dans cette boîte, il devrait y avoir le rapport de l'homme qui s'est fait relever. De toute façon, quelqu'un sera forcé de venir faire une vérification.
03:56
C'est au moins la dixième prostituée qui passe devant moi avec un client sans me voir. Au fond de la ruelle, ils ont l'air de bien s'amuser, mais moi, ça me dégoûte.
04:12
Le prochain qui a envie de se faire une pute, qu'il aille ailleurs, sinon je l'encastre dans le mur.
04:43
Au moment où je commence à fermer les yeux, mon homme arrive. Pas très grand, entièrement vêtu de noir, pas moyen de voir son visage. Même ses yeux me sont invisibles, par un procédé que je ne connais pas.
L'inconnu semble méfiant. Il regarde plusieurs fois à gauche, à droite, derrière ... Mais il ne semble pas me voir, reculé dans l'ombre. Faut dire, ya que ma tête qui dépasse. Je me suis servi d'un dépôt de cagettes pour me dissimuler. C'était sûrement pas une bonne idée, faudrait que je prenne une douche après ça ... Si je suis encore en vie. Le type devant porte un katana.
Bon, quand faut y aller, faut y aller ...
Je m'approche sans bruit de l'inconnu au katana, mais pas assez discrètement, semble-t-il. Il se retourne soudainement et tente de me trancher la gorge avec son jouet.
« 'ttention, ça coupe. »
Je pouvais pas dire autre chose ? Mais passons.
« Allons à l'essentiel. Qui es-tu ? Que me veux-tu ? C'est toi qui t'attaques à mon entourage ? Je sais au moins que tu veux faire ressurgir les Katanas de l'ombre. »
En silence, l'autre tente une nouvelle fois de me découper. Sans succès. Je reste hors de portée de la lame. J'ai déjà combattu ce genre d'arme ... Enfin, mon corps, oui. Je me demande si mon esprit était encore présent à ce moment-là ...
Ça m'apprendra à penser pendant un combat. Ma veste est déchirée, maintenant ... Et puis, ya un truc louche qui coule en-dessous. Mon sang.
Espérons que l'autre n'ait pas enduit sa lame de poison ... Je trouve qu'elle luit un peu trop, malgré la faible luminosité ...
Esquive, encore et encore ... Je ne peux rien faire sans objet pour me défendre. Je sais pas, moi, n'importe quoi ! Un poteau, un morceau de macchabée ... Et puis merde, fait chier. Tant pis si ça fait mal.
Je tente une attaque. Pas si mal, si on oublie la longue estafilade qui court maintenant le long de mon flanc gauche. Ça picote un peu ... Mais bon, maintenant que j'ai un côté blessé, autant s'en servir jusqu'au bout.
J'enchaîne attaque sur attaque du poing gauche. Un peu répétitif. L'autre, en face, comprend vite que je ne veux pas être blessé de partout, et agit en conséquence : il change rapidement l'angle de son attaque, et esquive de plus en plus mes coups.
Je suis à présent ouvert en plusieurs endroit, comprenant le visage et le haut du corps. Bizarrement, mes jambes n'ont rien. Et je crois que c'est tant mieux pour moi. Je vais enfin pouvoir jouer sérieusement ...
Ça picote toujours. La plupart des plaies ont arrêté de saigner ... Je suppose que je dois remercier mes parents pour ça. Cette cicatrice qui ne s'efface pas. D'ici demain ou après-demain, toute trace du combat aura disparu sur mon corps. Sauf si je suis mort. Mais cette zébrure d'argent restera toujours présente, indélébile sur cette peau noire.
Je philosophe ... C'est bien beau, mais ça m'a valu une nouvelle coupure au-dessus de l'œil. Manquait plus que ça. Mon arcade a pété. Ça va mettre un peu plus de temps à arrêter de couler, et j'ai maintenant un œil que je dois maintenir fermé.
Il est temps de déployer mon jeu de jambes, on dirait.
Dans cette allée, j'ai assez peu d'ouvertures. L'autre, par contre, ne semble pas gêné par l'exiguïté de l'endroit. Pourtant sa lame n'est pas si courte. Mais passons.
J'ai l'impression que mes bras sont de plomb. C'est un peu con de dire ça, quand on porte des gants à quarante kilos pièce en entrainement ... Mais je me sens faible. J'ai peut-être perdu un peu trop de temps. Ce qui m'étonne le plus, c'est qu'avec tout ce sang, le démon ne se soit pas réveillé.
Je lève le bras, donc. Lentement. Ça tire de partout. Certaines plaies se rouvrent. Mais pourtant, je dois le faire.
Je pointe mon adversaire du doigt.
« Lâche. Si je ne peux pas te tuer, au moins pourrais-je t'humilier. »
Je m'élance vers lui, poing en avant. Je le vois brandir son katana pour m'empaler, mais c'est trop tard. Je vais trop vite pour m'arrêter.
Je puise dans mes dernières forces. Et, au moment où mon ventre devait entrer en contact avec le métal froid pointé vers moi, mon pied dévie l'objet de mort. Peu après, mon autre pied entre en contact avec le visage l'autre. Et à partir de maintenant, je vais te faire vivre l'enfer.
Je mitraille l'autre de coups de pied. Je lui rends coup pour coup. Ventre, bras, visage. Encore. Encore. Encore. Mange ... Gauche. Droite. Gauche.
Je m'effondre. Je n'en peux plus. J'ai à peine tenu dix secondes, mais je crois que c'est largement suffisant. L'autre aussi est HS. Il est debout, haletant. Il semble me toiser du regard. Mais c'est un regard qui m'est caché.
Lentement, il s'avance vers la boîte aux lettres en boitant. Il l'ouvre, prend une feuille, et la referme. Il s'en va en marchant. Je ne peux même pas le retenir.
« Non ...
- Pitoyable. Je pensais que tu pourrais t'en sortir seul. Mais maintenant, il est trop tard. Ne compte pas sur moi. Même si tout ce sang m'attire énormément, le combat, lui, est terminé. »
J'avais presque oublié ce que ça faisait de mener un combat seul.
Une feuille tâchée de sang volette doucement vers moi. Je l'attrape avec difficulté. Dessus, il y a écrit : Tu as presque réussi à m'humilier. Bravo. Mais ce combat n'était pas équitable. La prochaine fois, je veux que nous nous battions à armes égales. Je ne suis pas un lâche.
Et, plus bas : tu paieras.
C'est une écriture de femme.
05:40
J'ai réussi à me traîner jusqu'à la moto, puis jusqu'à la maison. Je ne tiens plus debout. Certaines de mes plaies ne saignent plus, mais aucune n'est complètement soignée. Je dois avoir perdu pas mal de sang.
J'entre avec peine dans l'appartement. Je m'effondre dans le couloir.
05:43
Un hurlement me déchire les tympans. Je ne sais pas qui c'est. Je ne vois plus clair. Mais ce parfum, je le reconnaîtrais entre tous ... Je souris.
« Tu ... ne m'en veux pas ... hein ?
- Ne parle pas. »
Cette voix est si douce ... Elle m'apaise. Je ferme les paupières.
« Non ... Reste avec moi, reste avec moi !
- Je ... Veux juste prendre ... un peu de repos. »
Je n'entends plus rien. Je ne vois plus rien. Je ne sens plus rien.
Fly, veille sur moi ...
19:12
J'ai mal.
Même ouvrir les yeux provoque une douleur.
Où suis-je ?
Ah. Je reconnais la couleur des murs. Il paraît qu'ils sont de la même couleur que ma peau. Ou bien est-ce l'inverse ?
C'est donc du noir ? Ou est-ce du blanc ?
Je ne sais pas ... Je n'ai pas envie de réfléchir. Je ne peux pas réfléchir.
19:23
« Comment te sens-tu ?
Aussi bien que si je m'étais fait écraser par un camion. »
J'ai mal de partout. Je tente à nouveau d'ouvrir les yeux.
« Tu es si belle ... »
J'aime ce visage. C'est toute ma vie. J'y tiens plus que tout. Ce que j'ai subi n'est rien, comparé à ce qui se passerait s'il arrivait malheur à ces yeux d'un vert si profond, à ces lèvres si douces.
Je tente de me redresser. Impossible. Les draps sont rouges. Rouges de sang.
Elle détourne les yeux. Pourquoi me cacher un tel spectacle ?
« Arrête de dire n'importe quoi. »
Lentement, je trouve la force de lever une main. Je touche ce visage. Je le caresse. Ah, si je pouvais l'embrasser ...
« Ne pleure pas. »
J'essuie ses larmes. Elle se laisse attirer contre moi, et, enfin, ses lèvres entrent en contact avec les miennes.
« Tant que tu vivras, je vivrai. Je t'aime. »
Mes larmes se mêlent aux siennes. Mais ce ne sont pas des larmes de tristesse ou de douleur : ce sont des larmes de joie. Nous sommes tous les deux en vie. Je vais m'en sortir. Tout ira bien ...
Je m'endors, le sourire aux lèvres.
22:01
La première chose que je vois est une dread d'un roux ardent qui tombe sur deux paupières closes. Je sens un contact chaud sur tout mon corps. Toute cette chaleur m'a fait du bien. Merci, Fly.
Je la laisse à ses songes, et, doucement, je me retire de son étreinte. Je ne cesserai jamais de le dire : elle est si belle quand elle dort ...
Mon estomac gargouille. Je me rends tout à coup compte que j'ai vraiment, vraiment faim.
J'arrive à marcher jusqu'à la cuisine sans trop de problèmes. J'ai l'impression que le processus de guérison s'est bien lancé. En tout cas, je ne saigne plus, et j'ai de moins en moins de mal pour bouger.
22:07
Je mange.
22:09
Où est le sel ?
22:10
Et le poivre ?
22:13
Un peu de Despé pour faire passer tout ça ...
22:16
Je retourne dans la chambre. Elle dort dans le creux que j'ai laissé, au milieu de la chaleur de mon corps et du sang séché. Bah.
Je prends place à côté d'elle. Morphée m'appelle.