Voilà la suite.
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Chapitre 15
Arisie
Au matin, personne ne voulait se lever, pourtant, Blaze essayait de les faire bouger. C’était sans grand espoir. Elle les hélait, cherchait à les motiver, les secouait, les poussait en dehors de leurs duvets, mais eux restaient figés, se laissaient rouler comme des limaces, et si elle ne s’occupait plus d’un, celui-ci se rendormait. Elle commençait à être en colère et faillit mettre le feu à la tente, mais elle n’en fit rien, et au lieu de cela, elle jeta tout le monde dehors, plus ou moins doucement, démonta et rangea la tente toute seule, avant de distribuer cris et coups de pieds à chacun, qui se fichaient d’être relativement mal installés parmi les pierres. Blaze regarda en direction de l’horizon et constata qu’une ligne blanche partant de la côte s’y perdait. Ce pont de givre était ce dont elle avait entendu parler. Elle savait que ce n’était pas une légende. Personne ne lui avait parlé de la route de glace et de ses dangers, mais de ce miracle-là, si. C’était l’un des mystères de Kazan. En toute période de l’année, le pont tenait, insensible à la chaleur, alors que tout autour, la mer restait sous forme liquide et jamais gelée. D’après les scientifiques, une ligne d’éther presque uniformément de Feu traversait l’endroit où se tenait le pont, et que c’était pour ça que la glace y subsistait. C’était assez étrange d’imaginer que c’était autour de l’éther de Feu que se formait le plus facilement la glace… Mais à ça aussi les scientifiques y avaient apporté une explication. L’éther de Feu aspirait toute la chaleur en ses abords, et alors il ne restait plus que le froid.
Assez contemplé cette ligne gelée. Blaze se remit en devoir de réveiller les brahmiens. Ses résultats furent concluants au bout de trois quarts d’heure… Et alors que sa motivation faiblissait, elle sentit une pointe de volonté jaillir en voyant Grinat s’agiter. Elle devint imbuvable, et son rehaussement d’efforts vint à bout de la rébellion. Sylphide fut le seul insuccès de la princesse et demeura irréveillable… jusqu’à que les trois autres brahmiens s’emmêlent. Une fois tout le monde sur pieds et nourris, la chatte montra aux autres la bande gelée qui traversait la mer. Tous sans exceptions furent mécontents d’apprendre que la chaleur de Grinat et Blaze serait une fois de plus proscrite. Leur moral tomba encore plus bas quand la princesse signala que tomber dans l’eau serait certainement mortel… Elle raconta ce qu’on lui avait appris sur l’hydrocution, détaillant le choc que provoquait l’échange thermique trop intense sur les infortunés… Après quelques mises en garde et un bilan des affaires en leur possession, Blaze fit son premier pas sur la langue blanche. Elle mit son poids sur le pied qui était engagé, et aussitôt elle commença à faire le grand écart. Elle rétablit vertigineusement la distance en abandonnant la prise sur la terre ferme. Elle glissa un moment sur sa jambe encore en contact avec le sol puis joignit la seconde à la première. Elle fit un demi-tour tandis qu’elle continuait d’avancer mais plus lentement. Quand elle s’arrêta, elle avait fait dix mètres sans efforts… Les autres attendirent le verdict. Blaze haussa les épaules.
« Ca glisse… »
Remarque cultissime et tellement pertinente… Grinat qui avait acquis dans leur aventure un certain courage fut la seconde à s’avancer. Ayant vu l’exemple de Blaze, elle ne fit pas la même erreur qu’elle et décrocha aussitôt son pied, tout en donnant une poussée initiale qui lui donna une certaine accélération. Sûre d’elle, elle regarda son pied filer en ligne droite, très satisfaite. Cependant, un cri lui fit lever la tête. Elle hurla à son tour en voyant Blaze arriver à toute vitesse… Enfin non, c’était le contraire, Blaze ne bougeant pas. Le choc était inévitable. Grinat percuta Blaze… Les trois brahmiens encore sur la berge retinrent leur souffle en voyant les deux détentrices du feu collées l’une à l’autre… L’une apparaissant comme un bulldozer… Et l’autre comme un frêle arbre ballotté par une tempête. Ils furent en extase devant les bras gigotants de la princesse qui sous le choc avait pris encore plus de vitesse que Grinat… Et tout ça en marche arrière !
Après sept secondes de torture, Blaze récupéra son assiette, ce qu’elle devait à ses instincts de félin. Fière de son équilibre, elle fit un tour et demi sur elle-même alors qu’elle restait rapide, puis une fois qu’elle tourna le dos à la berge, elle se mit à patiner, redonnant des coups de jus à sa vitesse. Grinat elle-même avait du mal à ne pas se faire distancer. Les deux détentrices n’apparurent bientôt que comme des taches colorées, puis Blaze disparut de leur vue, et ils ne virent qu’un point rouge bordeaux allant de paire avec le pelage de l’hérissonne. Sylphide suivit bientôt le mouvement, de manière plus calme au départ, puis Windy enchaîna, mains dans les poches… Ce qu’elle regretta bientôt alors qu’elle bascula sur la gauche. Elle tangua un moment avant de parvenir à se rétablir de justesse.
Karim lui n’était pas très chaud… Dans les deux sens du terme. Il déglutit en voyant le chemin de glace, toujours lisse, malgré le passage violent des quatre hybrides. Il se retourna, respira à fond, tandis qu’il regardait le paysage qu’ils allaient abandonner. Le ciel étant d’un bleu uniforme, la vision qu’il avait de la montagne était magnifique. On ne pouvait pas deviner qu’ils y avaient vécu un enfer en l’apercevant ainsi. Les galets sombres couraient jusqu’au larges roches brunes et pointues qui composaient la montagne. Des veinures blanches apparaissaient dans le minéral, au fur et à mesure que le regard de l’échidné montait. Les tracés frais étaient de plus en plus nombreux, formant des couches à certains endroits faisant penser à de la crème… Puis on voyait les pics de la montagne qui rejoignaient le ciel, presque entièrement couverts de neige, dents de requins qui contrastaient avec le bleu pur de l’infini plafond.
Karim se détourna et se concentra à nouveau sur le pont. La matière n’était pas naturelle du tout… Il posa un pied et se garda de faire la même erreur que Blaze. Il n’était pas pressé… Marcher serait moins dangereux que patiner comme les autres fous. Il était d’autant plus lent qu’il devait redoubler de vigilance pour être certain de ne pas glisser. Il lui avait fallu peu de temps pour être entrainé dans un patinage incontrôlé, ce qui l’avait réchauffé tellement il avait eu peur… Quand il parvint à s’arrêter, il s’accroupit pour reprendre son souffle. Il remarqua rapidement des picotements dans ses jambes. Ses doigts de pieds devenaient rapidement froids. Il comprenait que l’aspect mystique du pont avait des inconvénients… Comme geler ceux qui s’y arrêtaient trop longtemps ! Après un certain temps, la marche lui paraissait trop fatigante, et il semblait que son corps s’alourdissait. Encore un aspect dangereux de la route. Il commença à se laisser glisser petit à petit, pour finalement trouver une allure qui lui convenait… Pas trop dangereuse, qui lui donnait une sensation de sécurité.
Par ailleurs, Blaze fonçait tout droit et le plus difficile pour elle était d’empêcher son excitation l’enflammer… Et donc faire fondre le passage, qui se regèlerait autour d’elle alors qu’elle tomberait. Grinat suivait derrière et se faisait toujours distancer un peu plus. Elle avait la volonté de rattraper la chatte, mais ça ne suffisait pas. Pourtant, elle était déjà assez rapide, et sa vitesse dépassait largement celle de Sylphide et Windy… Mais en rapprochant notre œil d’eux, ça se comprenait… Les deux brahmiens étaient en train de faire les fous, et c’était d’ailleurs assez sympa de voir la renarde retrouver l’air enjoué qu’elle avait eu lors de leur période estudiantine. Ils enchainaient les acrobaties, faisant des pirouettes dangereuses, Sylphide parvint même à tenir en équilibre sur la courbure de l’épine la plus haute de son crâne… Il faillit tomber à l’eau en voulant montrer qu’il était « même cap’ de faire la toupie ! beuh ! ». Ce qui s’était conclu sur un « pov’ nouille » d’une sagesse extrême. Après ça, ils s’arrêtèrent de faire les idiots, jusqu’à que Windy ait une nouvelle idée.
« Et si on faisait des zigzags ?
- Comment ça des zigzags ? »
En se retournant, Sylphide vit Windy qui était en train d’occuper toute l’étroitesse du pont en passant au ras des bords, tout en avançant. Tout ça grâce à un dandinement de fesses astucieux. Sylphide sourit, enthousiasmé par l’idée, se détourna et imita Windy… Puis se mit à lever les bras en rythme… Bientôt imité par la renarde. Avec un synchronisme parfait, les deux idiots de service se mirent à chanter le générique d’une émission de gym tonique…
« Toutouyoutou ! Toutouyoutou ! Touyou touyou touyou toutoutouyoutou ! »
Après quelques tours du refrain, Sylphide prit une accélération en ligne droite, et quand il fut à bonne distance de Windy, il se mit à gueuler.
« Cent dix-huit ! »
La renarde se mit à patiner à son tour en ligne droite et vociféra encore plus fort après avoir mit ses mains en porte-voix.
« Deux cents dix-huit ! »
Ce à quoi comme la logique le voulait, Sylphide répondit après avoir prit une pause trop classe, style beau gosse, kwa !
« Cent dix-huit deux cent-dix huit ! »
Et alors Windy reprit son dandinement des fesses qui inspirait une classe monstrueuse.
« Cent dix-huit ! Deux cent dix-huit ! Cent dix-huiteuh, deux-cent dix-huit ! »
Elle claqua des doigts, Sylphide se remit dans le bon sens puis tous deux reprirent en cœur leur chorégraphie rythmée par leurs toutouyoutous…
Plus loin, Karim ayant entendu le délire continuait de patiner à son rythme mais en fredonnant la mélodie du générique… Plusieurs heures plus tard, les deux imbéciles n’étaient toujours pas lassés de leur délire, mais lui, si, et surtout il avait faim. Résultat des courses, il s’était mis à accélérer sans même se rendre compte qu’il maîtrisait parfaitement sa trajectoire malgré la vitesse. Il comprit qu’il avait accéléré un peu trop fort quand il fut soudainement en vue de Windy et qu’il se rapprochait dangereusement vite. Il ne pouvait pas ralentir, mais il pouvait crier. Ce qu’il fit.
« Windy ! Grouille ! Je te fonce dessus ! »
Elle se retourna, manqua de se rétamer de cette manière, puis cria à son tour.
« Sylphide ! Grouille ! Y a Karim qui me fonce dessus ! »
Et elle accéléra. Sylphide se retourna... Et hurla.
« Personne ! Grouille ! Y a Karim qui fonce sur Windy qui me fonce dessus ! »
A son tour il appuya sur un champignon imaginaire. Soulagé, il parla.
« Merci personne. »
Une heure plus tard, Blaze était arrivée. En patineuse aguerrie, elle se présenta de profil, ses chaussures firent étinceler la glace tandis qu’un crissement rappelant celui d’ongles forçant sur un tableau se fit entendre. Regardant droit devant elle, la princesse nota immédiatement l’absence de neige. Le sable se souleva sur son passage en arrivant, mais comme elle se présenta bien, elle ne fut pas ensevelie, et elle souleva juste des nuages dorés qui recouvrèrent le chemin qu’elle avait tracé. Elle se retourna et regarda fièrement la route. Mais sa poussée d’orgueil fut vaincue par son impatience, alors que cinq minutes après, personne n’était arrivé. Cinq minutes plus tard encore, elle s’assit, regardant d’un air las la sortie de la route de glace. Une nouvelle poignée de minutes écoulées et sur son visage était collé un masque de colère. Les cinq minutes suivantes, le sable autour d’elle tourbillonnait et son image était devenue floue alors que la chaleur autour d’elle était devenue insupportable pour toute personne normalement constituée. Et Blaze était rouge, littéralement ! Encore cinq minutes, et de l’incarnation de rage pure, il ne restait plus qu’une boule violette, compacte, dont le dos bougeait dans un rythme lent et régulier. La belle sur la plage dormante ?
Le conte indiquait que pour réveiller pareille princesse, il fallait être une charmante hérissonne, charger comme un boulet de canon, et ne pas penser à se placer de manière à freiner pour mieux arriver. But de la manœuvre ? Se déséquilibrer à cause d’une différence d’adhérence entre sable et glace mystique, pour enchainer un vol plané en cloche, pour atterrir la tête la première, pour soulever un tsunami ensablé, et finalité… Pour réveiller d’une manière raffinée mais franche, une Blaze toute aussi raffinée et franche. Et comme le monde est bien fait, Grinat était enfouie profondément sous les grains, au lieu d’être exposée à Blaze qui fit un carnage en surface... Finalement, Grinat se dépêtra, et il n’y eut aucunes effusions de sang… Les deux filles allèrent se poser et attendirent. Dommage que le soleil hivernal ne les réchauffait pas. Mais au moins, ce n’était plus de la neige qu’ils avaient sous leurs pieds… Les deux détentrices du feu furent réveillées deux heures plus tard par les cris enthousiastes de Windy.
« Regardez ! Y a du sable partout ! Un désert ! C’est toujours mieux que de la neige, non ?
- Windy… C’est une plage, fit placidement Karim. »
Ils arrivaient à toute vitesse, même si ce n’était pas comparable au déboulement de l’hérissonne. Sylphide réagit, en voyant le sol arriver, de la bonne manière. Il se plaça sur le côté pour parvenir à déraper sur le sable… Mais c’était sans compter que les deux idiots derrière, eux, ne comprenaient pas que le hérisson n’était pas en train de se la jouer mais de vouloir ralentir. Windy, abrutit finie cria après lui.
« Faut arriver super vite, plie les genoux au lieu de faire l’idiot ! »
Sylphide fut heurté de plein fouet par une renarde qui venait de se positionner comme un œuf… Un peu à la manière des skieurs… Il hurla alors qu’ils accéléraient, se retrouvèrent en l’air… Puis atterrirent la tête la première dans le sable. Le hérisson eut le souffle coupé par le poids de la renarde renforcé par la quantité de sable qui l’écrasait… Il crut exploser quand un second choc vint l’écraser plus profondément dans le sable. Karim… L’échidné s’assit sur le derrière de la renarde, K.O., qui était elle-même étendue de tout son long sur un Sylphide contorsionné… Karim mit sa main en visière puis sourit en apercevant Grinat et Blaze. Ces dernières le regardaient comme s’il était un attardé mental. Elles n’étaient pas loin d’avoir raison… Cependant, elles étaient elles-mêmes un peu folles. Karim quitta son siège improvisé pour venir au devant d’elles. Sylphide se débattit jusqu’à finir par chasser Windy de son dos. Il prit une grande goulée d’air une fois à l’air libre. Il sentit les brûlures dans ses poumons se calmer. Une seconde inspiration le revivifia assez pour réactiver les fonctions de son cerveau. Première urgence… Il était plein de sable. Il s’épousseta. Deuxième urgence… Nan, y avait pas de deuxième urgence.
« Et Windy ? demanda Grinat. »
Ah mais si ! Deuxième urgence : ressortir Windy avant qu’elle meurt étouffée. Il trouva deux membres, et tira dessus. Pensant que c’était les bras, il s’attendait à voir sortir la tête… Mais il constata plutôt qu’il tenait la chose à l’envers. Il fit un bruit avec sa bouche qui à s’y méprendre ressemblait à un pet, mais traduisait son indifférence. Il plaça les deux jambes de la renarde sur les épaules et la remorqua hors du sable. Une fois sur le sable sec, Sylphide arrivait enfin à marcher sans s’enfoncer dans le sable. Ses empreintes de chaussure et la trace que laissait le menton de Windy témoignaient du passage des deux brahmiens. Un quart d’heure après l’incident, le groupe des cinq était en fin rassemblé… Mais par pour le meilleur, puisque Karim fit un malheur, répondant aux besoins criants de son estomac. Il fut décidé qu’ils s’arrêteraient pour manger. La plage était immense… Tellement grande qu’ils n’en voyaient d’ailleurs pas le bout. Elle continuait même dans les terres ! Blaze, en parfaite guide touristique (nda : de toute façon, depuis les tous premiers chapitres c’est son rôle…) fit la présentation des lieux tandis que tout le monde se rassasiait.