Contenu mature.
Et tout ça sans protection. Quelle image tu donnes… Attention les enfants, ne faites pas pareil !La voix de son démon partit dans un petit rire grassement ironique. Hunter prit alors peu à peu conscience de ce qu’il venait de faire. Il se redressa lentement.
- Dé… Désolé !... S’exclama-t-il, encore essoufflé.
Elle partit dans un rire libérateur.
- Pas besoin ! C’est plus judicieux d’en arriver là avant de manger au contraire. On se sent moins lourd !
- Non, je… Je n’aurais pas dû…
Elle le regarda dans la pénombre, un léger sourire flottant sur ses lèvres.
- Ne t’inquiète pas, je prends mes précautions. Je n’ai pas envie de ça, je suis trop jeune, et puis… Je cherche encore la bonne personne. Ce n’est pas toi, pas vrai ?
Il baissa légèrement les yeux. Elle balaya affectueusement les cheveux qui lui retombaient devant le visage.
- Je l’ai bien vu pendant qu’on discutait. C’est comme si tu étais… Happé par une autre histoire, un tourbillon d’autrefois. Comme si tu gardais une blessure secrète.
Encore une fois, il garda le silence. Gêné. Elle lui caressa la joue.
- On a tous souffert, Hunter, un jour ou l’autre. Tous. Sans rien avoir demandé. Mais il faut passer à autre chose, au bout d’un moment. Tu sais…
Elle se permit de l’embrasser avec légèreté, une dernière fois.
- Le monde ne va pas s’arrêter parce que tu souffres. Les aiguilles tournent. Et s’il y a un temps pour pleurer, il y en a un autre pour se relever.
- Je dois y aller. Désolé.
- Ne t’excuse pas, idiot…, murmura-t-elle alors qu’il se retirait lentement.
Il attrapa les mouchoirs sur la table de chevet. En silence, il remonta ensuite son pantalon et chercha son maillot dans la pénombre, qu’il trouva au pied du lit. Il se rhabilla en hâte.
Alors qu’il allait s’éloigner, elle lui attrapa la main d’un geste rapide. Il se raidit.
- Dis-toi qu’on a simplement passé un bon moment ensemble, coupé de tout. Ca n’engage absolument à rien.
Alors qu’il amorçait un mouvement de fuite, elle raffermit sa prise.
- Je crois que nous ne nous reverrons plus. Je ne sais toujours pas qui tu es, ni où tu vas, mais j’aimerais que tu gardes quelque chose de ce qu’il s’est passé ce soir. Souviens-toi qu’il est toujours utile de prendre du recul sur les événements, et qu’il est parfois bon d’oublier tout ce qui est extérieur à soi pour ne profiter que d’un moment de répit dans le présent. Sans ça, tu ne survivras pas à cette vie si difficile, Hunter…
Elle relâcha sa main. Il resta immobile quelques secondes.
- Je… Merci. Je m’en souviendrai.
Et il la quitta définitivement sur ces mots. Il attrapa son vêtement sur le porte-manteau, et referma la porte d’entrée sans bruit derrière lui. Alors qu’il enfilait son manteau sur ses épaules en descendant les escaliers, la sonnerie de son téléphone le sortit de sa torpeur.
- Hunter ? C’est toi ?
- … Qui est-ce ?
- Viktor. Tu te souviens de moi, au moins ?
- Ah, oui. C’est toi qui m’as amené à l’hôpital, c’est ça ? Demanda Hunter en sortant de l’immeuble, ses paroles se diluant dans une buée opaque.
- J’suis passé à l’hôpital, y m’ont dit que tu t’étais tiré dans l’après-midi, résuma son compagnon d’une voix bourrue. Heureusement que j’avais chopé ton numéro de portable ! Tu te trouves où, là ?
Hunter avisa le panneau de la rue juste devant lui. Avant de raccrocher, Viktor lui donna rendez-vous sur la place centrale de la ville, sans omettre de lui fournir assez d’explications sur le chemin à prendre.
Après la conversation, le jeune homme laissa tomber son portable dans la poche de son manteau avant d’y engoncer ses mains gelées, puis il se mit en route.
Au-dessus de lui, un quart de lune rouge brillait timidement derrière les nuages qui passaient devant elle.
*****
***
Le véhicule s’arrêta à la lisière de la forêt, ses puissants phares illuminant violemment les arbres qui s’étendaient à perte de vue. A l’intérieur de l’habitacle, un silence pesant s’installa pendant plusieurs secondes. Les trois passagers fixaient gravement ce qu’ils avaient en face d’eux.
- Je vais descendre, dit alors Sephyra, brisant le silence.
- Je…, hésita Donf en gardant la main sur le levier de vitesse. J’aimerais garder cette voiture. Ne pas l’abandonner là.
La roussette porta sur lui un regard peiné. Evidemment… C’était le dernier cadeau de son beau-frère. Elle était d’autant plus triste qu’elle se rendait bien compte que son acolyte faisait un effort pour ne pas craquer une nouvelle fois. Son bras seul tremblait.
- Oui, je comprends, murmura-t-elle. J’avancerai devant, tu n’auras qu’à rouler doucement derrière moi. J’ouvrirai juste le chemin.
Le jeune homme hocha la tête. La roussette ne put s’empêcher de lui masser gentiment et rapidement l’épaule d’un geste affectueux.
Ils firent comme prévu pendant un long moment, pénétrant de plus en plus profondément au cœur de la dense forêt d’Anethie. La morsure du froid presque hivernal au-dehors n’était rien pour Sephyra, comparé à la peur qui lui nouait littéralement les entrailles. Elle se sentait sur le point de défaillir à chaque pas. Son cœur lui remontait au bord des lèvres et fur et à mesure qu’elle avançait. Elle éprouvait une furieuse envie de détaler en arrière. Quelle allait être la réaction de son clan, pour le retour de leur Reine ? Et surtout, est-ce qu’Athem l’aurait vraiment attendue pendant tout ce temps passé loin de lui ?
Sephyra posa une main au niveau de son cœur en fermant un instant les yeux. Elle n’avait aucune raison de s’en faire pour autant. Là-bas l’attendait son clan. Sa fraternité, sa famille. Son amour.
Un mouvement dans les arbres la fit soudain s’arrêter. Elle leva son bras gauche. Le lourd véhicule derrière elle s’immobilisa à son geste. Elle guetta la nuit perforée des puissants phares, les sens aux aguets. Alors qu’elle allait reprendre sa marche, se disant que ses appréhensions lui jouaient des tours, elle fut immobilisée par la lame d’une lance qui pointa sur sa gorge. Ils étaient apparus soudainement, sans aucun bruit. Sephyra releva lentement les yeux tout en levant ses bras. Ils étaient quatre à l’entourer, armes levées. Elle ne pouvait le voir, mais derrière elle, cinq autres encerclaient la voiture.
Des loups. Les membres du clan d’Anethie.
- Vous êtes sur un territoire interdit d’accès et délimité par les lois du cadastre, déclama sévèrement celui qui lui faisait face. Je vais vous demander de faire immédiatement demi-tour et de retourner sur vos pas.
- Allons bon, riposta la roussette en soupirant. Je ne me suis quand même pas tapée toute la route pour rebrousser chemin sans même avoir revu mon village.
- Je vous demande pardon ? Demanda le loup en haussant un sourcil.
Sephyra le transperça du regard.
- Allez réveiller votre roi. Dites-lui que sa femme est revenue.
A ces mots, les membres du clan se regardèrent. Sa phrase eut l’effet inverse de ce qu’elle comptait : les gardes semblèrent encore plus méfiants.
- Déclamez votre identité, ordonna le même loup.
La roussette ferma un instant les yeux en soupirant une nouvelle fois, puis fixa le garde sans sourciller.
- Je suis Cae-La Sephyra. Et votre Reine est de retour.
Ils durent patienter plusieurs dizaines de minutes, dans le froid. Les membres du clan avaient obligé Donf et Lena à sortir du véhicule. Malgré le peu de vêtements qu’ils portaient – surtout tribaux -, les loups ne semblaient pas souffrir du froid. Contrairement à Sephyra et ses deux acolytes qui, en plus de voir leur appréhension grandir de minute en minute, commençaient sérieusement à geler sur place. Alors qu’elle se demandait combien de temps encore il faudrait pour qu’ils terminent tous en statut de décoration pour l’entrée du domaine, des ombres sortirent soudainement d’entre les arbres pour s’avancer vers eux. Lorsqu’elle s’approcha, l’une des silhouettes fut familière à Sephyra. L’inconnue, quand elle fut assez proche, s’immobilisa alors, son museau trahissant sa grande surprise.
- Luna… ? Questionna la roussette en fixant la louve dont le corps était recouvert de tatouages tribaux.
La dénommée Luna s’approcha alors. Les gardes s’esquivèrent sur son chemin.
- Luna, ça fait tellement longt…
Sephyra ne put terminer sa phrase. La louve venait de lui asséner un coup de poing en plein museau. Un coup d’une réelle puissance. La roussette accusa le coup et se frictionna la mâchoire d’une main en se relevant lentement.
- Je savais que nous n’étions pas de très bonnes amies, mais à ce point…
- Comment oses-tu…
Sephyra haussa un sourcil. Le ton de Luna n’était même pas froid : il était viscéralement haineux, empli d’une rage sourde.
- Comment oses-tu te montrer ainsi à mes yeux ?! S’exclama Luna en empoignant la roussette par le col.
- Que ça ne te plaise ou non, je suis de retour. Et si tu ne me relâches pas, tu auras bientôt à payer pour ce que tu fais, Luna.
Elles se fusillèrent du regard pendant de longues secondes.
- Relâche-moi immédiatement, assomma la roussette en pesant chacun de ses mots. Et amène-moi à notre Roi.
Sur ces paroles, le museau de Luna passa de la colère à l’incompréhension. Puis il redevint impassible. Elle relâcha sa Reine et jeta un regard à ses gardes avant de faire un geste du bras. Les loups reprirent leur lance à leurs côtés. Elle reposa son regard ferme dans celui de Sephyra.
- Vous avez tous entendu. Nous devons obéir à notre Reine, messieurs. Escortons-les jusqu’au palais.
Elle passa la première. Les gardes se mirent en position et encadrèrent les trois visiteurs, puis ils entamèrent la marche vers le village bien caché au cœur de la forêt.
- Je m’attendais à un meilleur accueil, vu ton soi-disant rang…, ne put se permettre de dire Lena sans le moins du monde se sentir obligée d’être discrète.
- Dis…, murmura Donf en s’avançant quant à lui vers Sephyra. On n’aura pas de problèmes, pas vrai ?
- Une fois que nous serons en présence du Roi, non, le rassura la roussette sans le regarder.
Enfin, je l’espère…Ils marchèrent ainsi une bonne demi-heure. La lumière des phares baissa progressivement au fil de leur marche, et Donf et Lena finirent par ne plus rien voir du tout dans la forêt. Heureusement, ils n’eurent pas à marcher à l’aveuglette bien longtemps. Apparurent bientôt d’entre les arbres des halos rouges, signes des braseros du village qui brûlaient pendant la nuit.
Ils atteignirent bien vite une petite clairière au cœur-même de la forêt. Là prenait place le village dit d’Anethie, le village des membres du clan. Composé d’une allée centrée délimitée par les braseros, il se terminait au bout par une petite habitation en pierre. Le palais. Hormis cette construction, toutes les autres habitations étaient des petites huttes, entrelacées par des branchages et recouvertes de feuilles d’arbres. En fait, les huttes qui se dressaient-là n’étaient que celles des « commerçants », bien qu’aucun système monétaire ne régisse la petite communauté. Les véritables habitations des villageois se situaient dans les arbres mêmes, et étaient donc pour le moins invisibles de nuit pour les deux nouveaux-venus qui y mettaient les pieds pour la première fois.
Le petit groupe longea donc l’allée centrale, Luna en tête. Celle-ci se stoppa devant les marches du petit et modeste palais, qu’encadrait derrière un énorme pan naturel de roche.
On doit être au fond de la forêt. Si je me souviens bien, derrière cette falaise… C’est l’océan, se dit Donf en se rappelant ses anciens cours de géographie.
Luna se retourna face à ses convives, croisant les mains dans son dos.
- Nous y sommes.
Il y eut un léger flottement durant lequel le bruit des flammèches léchant leur brasero rythmait le silence de la nuit.
- Eh bien, qu’attends-tu ? S’impatienta Sephyra. Va réveiller Athem, dis-lui que je suis là !
- Je ne peux pas.
- Qu’est-ce que tu racontes… Luna, tu es la mieux placée pour savoir de quoi nous parlons. Va le réveiller immédiatement. Il ne t’en voudra pas pour ça et tu le sais très bien.
- Je ne peux pas.
- Enfin explique-toi ! S’exclama alors Sephyra en perdant son calme, son cœur tambourinant dans sa poitrine.
- Le Roi est parti.
Il y eut du mouvement parmi les gardes. Le museau de Luna ne trahissait aucune émotion. Elle restait droite et fixait Sephyra dans les yeux. Celle-ci se sentit décontenancée. Et surtout…
Un peur significative s’alluma en elle, tordant un peu plus son estomac.
- Comment ça, il est parti… ? Demanda-t-elle d’une voix mal assurée.
Luna ne répondit pas.
- Explique-moi Luna. Où est-il parti ? Depuis combien de temps… ? Insista la roussette, ses lèvres dessinant un sourire mal assuré.
- Athem n’est plus là. Il n’est plus parmi nous, Sephyra.
Son sourire s’évapora peu à peu. Son cœur remonta. Elle fixa Luna en y cherchant une réponse, et la trouva dans son impassibilité, sans pour autant y croire. Elle se dirigea alors à gauche, quittant soudainement le groupe. Un garde fit mine de se dresser sur son chemin, mais sur un geste de Luna, il reprit sa position.
Le regard de Donf passa de la silhouette de Sephyra qui s’éloignait à Luna. Il voulut alors suivre son amie, mais cette fois, la louve n’empêcha pas le garde de l’interrompre.
- Où va-t-elle ? Laissez-moi l’accompagner ! S’indigna le jeune homme en fixant la gardienne du clan.
Celle-ci jeta un coup d’œil vers le chemin qu’avait pris la roussette.
- C’est à elle de prendre seule la responsabilité de ses choix. Et personne ne peut l’accompagner sur le chemin qu’elle a décidé d’arpenter dans sa triste solitude.
Donf haussa un sourcil réprobateur, avant de mettre un lien sur ce qui venait de se passer. Les retrouvailles entre la louve et la roussette, ces paroles, et ce départ…
Lena ferma les yeux, le visage ravagé par la peine.
Donf ouvrit la bouche avant de la refermer. Il fixa de nouveau Luna, le regard sévère.
- Laissez-nous la rejoindre, implora-t-il d’une voix ferme.
Sephyra se tenait debout et fixait sans mot dire ce qu’elle avait à ses pieds, sans un geste, le regard vitreux, les bras reposant mollement à ses côtés. Sur une croix en bois était gravé le nom qu’elle avait chéri. Elle pouvait presque voir ce qui s’était passé. Après son départ, il avait tenté de garder son rôle. Mais le temps passant, et elle ne revenant pas à ses côtés, il perdait pied. Régner seul n’avait plus aucun sens. Vivre sans elle ne valait rien.
Il n’avait plus la force de combattre. Il s’était progressivement renfermé sur lui. Il avait fini par ne plus quitter leur chambre, restant alité matin et soir, ne quittant pas ce refuge où se trouvait encore son odeur, sa présence qui lui manquait par-dessus-tout. Il finit par ne plus se nourrir.
Et il finit par expirer.
Sephyra resta immobile, le cœur asséché dans sa poitrine. Il ne battait plus, maintenant. Il était vide. Même pas empli de tristesse, de ressentiment. Vide, tout simplement. Tout ça…
Pour en arriver là. A être droite et vivante face à cette croix qui surplombait et signait la fin de tout sens, de tout espoir de continuer.
Sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte, son regard glissa sur la tombe d’à côté, plus petite. Sur la croix était marqué un autre nom qu’elle lut machinalement. Et qui résonna dans l’écho de sa mémoire brouillée par les machinations.
« Chut, chut… »
Athem prit le bambin dans ses bras pour le consoler de ses pleurs qui n’en finissaient plus.Son ventre se tordit d’horreur. Ses yeux s’écarquillèrent sous la violence des souvenirs qui lui revenaient. Elle émit une longue plainte de tristesse.
Le loup caressa le museau de son enfant qui rit doucement.
« Toi et moi on doit encore attendre un peu, pas vrai ? Ta maman va bientôt revenir, j’en suis certain. »« Je suis désolé, votre Majesté. Il est mort. La maladie l’a terrassé. J’ai été incapable d’y remédier… »Elle tomba à genoux, ses jambes se dérobant. Sa gorge était nouée. Elle suffoquait en gémissant. Ses larmes n’en finissaient plus. Elle hurla.
« Athem, je t’en prie, il faut que tu sortes de cette chambre… Notre peuple attend d’avoir un souverain à sa tête. Tu dois tenir ce rôle ! Je t’en supplie… »« Qu’on me ramène mon enfant et ma femme… »
« Il délire. Sa température ne fait qu’augmenter d’heure en heure. »
« Mon fils me succédera, vous verrez… »
« Que pouvons-nous faire, docteur ? »
« Rien, j’en ai bien peur… »
« Vous savez comment il s’appelle ? Son nom… C’est… »Jaël.Son corps tressauta. Elle ne parvenait plus à respirer.
- Elle a une crise ! Aidez-moi, il faut l’allonger, vite !
Lena la prit contre elle. Elle hoquetait sans parvenir à reprendre son souffle. Sa gorge était bloquée. Ce n’était pas possible. Ca ne pouvait être réel. Pas lui. Elle n’aurait pas pu oublier.
- Putain non, Sephyra, me fait pas ça !
Ses bras battaient l’air. Ses mains s’accrochaient dans le vide. Donf les attrapa et les retint contre lui. Lena la serra contre elle, ne pouvant s’empêcher de prendre peur et de laisser ses larmes couler. La roussette s’étranglait toute seule.
- Me laisse pas Sephyra, me laisse pas comme ça, me fait pas ça, tiens bon…
Elle finit par ne plus trouver de voix pour crier. Alors elle pleura, longuement, avant de sentir son esprit s’effilocher dans le creux de la nuit.
Cette nuit-là également, il la retrouva dans la chambre. Occupée à fixer cette petite chose qui faisait partie d’elle.
- Athem…, murmura-t-elle.
Une éternité passa avant et après ses paroles qu’il retiendra jusqu’à la fin.
- Je vais partir.
Il s’était déjà douté que quelque chose allait devoir survenir pour enrayer cette situation. Il s’était déjà préparé à toute éventualité. Mais se préparer n’empêchait pas la douleur d’être présente et bien réelle.
- Quand ça ?
- Ce matin, très tôt. Dans quelques heures. Avant le réveil même des plus matinaux. Je ne veux pas d’une quelconque cérémonie.
Il l’avait regardée rassembler quelques maigres affaires, juste le strict nécessaire. Puis elle s’était à nouveau recueillie dans la petite chambre. Il l’attendait à la grande porte du palais. Elle s’avança jusqu’à lui, puis resta à ses côtés. Dans le ciel, la nuit n’était pas encore tout à fait partie, mais le jour se faisait encore tarder. C’était une heure où le monde existait mais où l’on avait l’impression de ne pas en faire partie. Un instant d’éternité, quelque part entre deux dualités. Ni totalement clair, ni complètement obscur. Il la prit contre lui. Elle se laissa faire.
- Dis-moi ce que je peux faire pour t’aider, Sephyra.
- Attendez-moi tous les deux, quoi qu’il arrive, murmura-t-elle. Attendez-moi jusqu’au bout de la nuit s’il le faut, quitte à veiller chaque soir dans l’espoir d’apercevoir ma silhouette. Je reviendrai vite.
Il lui caressa les cheveux. Lui dit à l’oreille qu’il l’aimait. Elle ne reprit pas. Elle se dégagea doucement, le regarda une dernière fois dans les yeux, puis fit volte-face et descendit les quelques marches avant de s’éloigner par la place centrale du petit village. Un jour tombe, un autre se lève ;
Le printemps va s’évanouir ;
Chaque fleur que le vent enlève
Nous dit : « Hâtez-vous d’en jouir. »
Et puisqu’il faut qu’elles périssent,
Qu’elles périssent sans retour ;
Que les roses ne se flétrissent
Que sous les lèvres de l’Amour.« La branche d’amandier », Lamartine