Plus je vais plus le manque d'unité de ce chapitre me dérange. La collocation me pose aussi quelques problèmes de vraisemblance, sans plus.
Ce tour de propriétaire est trop listé, il manque une tension sous-jacente. Sans véritable planification, c'était à prévoir.
Si j'accepte ta correction Katos il me faudrait enlever "sauvages dans leur coeur". L'autre solution serait de supprimer le premier "ils devinrent", reste à voir le cotexte. Je ne pense pas retoucher cette phrase.
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« Il faut la voir tondue ! »
Juicy roula aux pieds du crapaud, roula encore un peu plus loin les bras tendus puis au canapé elle se releva d’une pièce. À sa suite entra Rye, faussement épuisée, qui proposa de terminer la visite. Après quelques minutes passées en compagnie de la loutre, Bufo sentait ses tempes lui battre et la fatigue, qui n’était plus celle du décalage horaire, l’étourdir. Il accepta. Déjà Pearl s’était effacée au fond de la pièce et elle ne souffla un mot qu’à demi-voix, couverte par la déferlante de bonne humeur de sa comparse. Il venait seulement de rejoindre le corridor que dans son dos Juicy changeant de ton s’exclama : « Encore un garçon ?! Les filles, réagissez un peu ! » Et tout de suite plus bas, pour elle-même, elle mit le doigt à son museau et prit l’air songeur.
« Luck est encore sous la douche, c’est bizarre. »
La souris eut un sursaut. Elle se précipita après lui mais, en pleine course, un remord la prit de n’avoir pas parlé plus tôt et elle s’arrêta. La loutre connaissait cette scène, elle n’eut qu’à poser la question pour que Pearl aille se serrer contre elle. Juicy adorait quand sa comparse jouait la victime. « J’ai oublié de lui proposer ma chambre » et elle glissa sa tête dans le creux du bras. La plus jeune lui tapota la tête et dès que le sourire revint sur ce visage candide elle se jeta à pieds joints sur le canapé, lança un cri et se laissa tomber d’un coup sur les ressorts. Elle venait de remettre ses écouteurs.
Il n’y avait que quatre chambres. La première, qui terminait le couloir après le coude, était la plus grande et celle de Rye. Il eut le temps de la voir bien rangée, pleine de décorations exotiques et de plantes. Deux autres chambres avaient été aménagées après coup et de même taille, elles étaient à Pearl et à Luck. Chacune avait sa clé et bien qu’elle eût pu les ouvrir, elle ne le fit pas. La dernière chambre « eh bien… c’est un mystère ». Elle appartenait à Coal, le seul garçon du groupe, arrivé tardivement.
La porte était la plus proche de la cuisine. Elle frappa pour qu’il ouvre mais ses appels restèrent vains. Coal affalé sur le matelas, la tête en arrière, ne prêtait attention qu’à son vieil écran, seule lumière dans la pièce. Il n’y avait guère entre les deux murs que l’espace de la porte. Ses habits roulés sous le matelas, à part la petite table qui supportait la télé, il y avait un amas de déchets, de bouteilles vides, un peu de crasse, des boîtes empilées, des piles et les boîtes de jeu éparses sur les branchements. Il jouait sur le dos, manette en main, même lorsque Rye tenta d’ouvrir la porte. Le matelas bloquait. La chambre sentait fort le renfermé, la sueur moite, le son grésillant résonnait jusqu’au plafond.
Elle referma la porte, dépitée. Depuis son arrivée Coal n’avait causé que des problèmes mais, d’une certaine manière, ils ne voulaient plus s’en passer. Aussi, il était le seul à vouloir occuper cette chambre ou, du moins, cette pièce. Bufo ne sut pas comment le dire d’autre. « Avec le salon, ça ne fait que cinq. » Il manquait une pièce pour un locataire, lui en l’occurrence. Et malgré sa nature il n’espérait pas dormir à la cave de l’immeuble. Rye le détrompa, la colocation avait déjà résolu ce détail. Pearl allait quitter sa chambre pour le salon, ils mettraient une cloison au besoin.
Elle parlait encore mais Bufo avait tourné la tête quand la porte de la salle de bain s’était ouverte. Luck sortit la serviette de bain en toge sur son corps, aussi sombre qu’à son souvenir. Elle eut pour eux un regard agressif, elle marqua un temps d’arrêt. Sa chevelure libérée se déversait en cascades. Son poil de cendre, plus vif encore après la douche, avait frémi dans un nouveau sursaut de colère. Son museau se fronçait. Bufo balbutia une salutation trop pauvre que la louve rendit dans un grognement avant de passer entre eux pour s’enfermer derrière la porte de sa chambre. Il avait eu le temps d’apercevoir, à son passage, ses pattes nues et sa queue rêche que la serviette aplatissait en partie.
« C’est… mieux ? »
« Flatte sa cuisine, un peu, et ça ira. »
Ils réglèrent encore quelques détails puis la gazelle s’éclipsa le temps d’aller chercher Pearl. Elle s’était penchée par la porte du salon pour l’appeler et à cette posture, au bruit qu’elle fit, à la réponse empressée qui succéda, Bufo trouva enfin quelle était l’histoire exacte de cet appartement. Il engloba tour à tour toutes les pièces et sut que, quand dans une semaine il y reviendrait pour ses études, il se sentirait chez lui. Déjà Pearl s’était immiscée dans le corridor, en présence de Bufo elle le pria d’accepter sa chambre. Même sans qu’il y tienne, Rye voulait la lui montrer.
Ce n’était pas une bien grande pièce mais malgré le grand lit à ressorts, malgré la commode et la petite table, malgré l’étroit bureau et les innombrables posters qui couvraient les murs, il fut frappé par la place qui restait, où ils se tenaient à trois sans effort. Elle lui demanda innocemment si la chambre lui plaisait, surprise qu’il admire son aménagement. Il passait en revue, comme hypnotisé, tous les posters de paysages, d’animaux, toute une faune et toute une flore pêle-mêle avec des groupies et des dessins d’enfance. Pearl heureuse qu’ils lui plaisent lui montra son préféré, vers le fond à hauteur du coussin, qui représentait le héros de tous. « Ce n’est pas lui » souffla Bufo, sans même y penser. Elle crut que c’était une contrefaçon mais il corrigea, « ce n’est pas Sonic » et cette fois la souris se sentit désemparée. Son regard se fit suppliant auprès de Rye.
Il s’agissait bien de lui mais même s’il se plia à leur volonté combinée, et fit mine d’approuver, le crapaud garda ses deux pupilles de braise baissées.
Rien à ce qu’il savait ne justifiait vraiment sa réaction. Il avait seulement suivi sa conscience et sa conscience lui avait fait dire cela, sans qu’il se sente le besoin de le justifier ou de le défendre. Bufo se montra plus vivant après cela, malgré la fatigue qui lui pesait. Saluer tout le monde ne lui sembla pas nécessaire. Après avoir assuré qu’il serait des leurs le crapaud rejoignit l’entrée. Du palier il regarda encore ce corridor blanc comme les façades de sa mémoire, et chaleureux désormais, où il voudrait revenir. Le visage de cette gazelle qui lui souhaitait bon retour, la beauté de son trait, la bonté de son sourire, s’imprima dans sa mémoire. Il partit avec ce poids.
Quand le crapaud fut partit Rye soupira. À nouveau désoeuvrée au milieu de ses vacances elle retourna se coucher dans sa chambre. Il y avait mille choses à faire qu’elle ne faisait pas. Étalée sur son drap la gazelle écouta par sa porte ouverte les faibles rumeurs de l’appartement. Elle entendait seulement les rumeurs de musique qui perçaient du salon, parce que la porte était également ouverte, et presque inaudible la rumeur des jeux vidéo de Coal.
Elle repensa à la manière dont le crapaud l’avait dévisagée. Elle ferma les yeux pour se l’imaginer, puis se mit à rire. Ses études duraient depuis un an, les connaissances ne manquaient pas mais ce soir, même en y réfléchissant bien, il n’y avait personne avec qui passer sa soirée. Sa tête se lova à l’angle du coude, elle se tourna tout à fait pour regarder sur sa table de nuit les photographies de son passé. Ces présences-là étaient tout ce qu’elle pouvait secrètement désirer.
« Il est parti ? » Demanda Juicy en se retournant une quarantième fois. Pearl à moitié effacée par l’encadrement de la porte fit signe que c’était le cas. Alors la loutre s’étira jusqu’à sentir l’effort de ses articulations, elle força encore puis se lassa. Son amie était passée de la porte à la baie vitrée. Elle regardait au-dessus des toits les arcs-en-ciel, sans se rendre compte que Juicy lui parlait. Avant qu’elle ne comprenne l’une roulait sur l’autre pour l’obliger à jouer. Sur le coup les écouteurs avaient été débranchés et la musique, presque trop féminine, se mit à crier dans la radio. Toutes deux riaient, l’une un peu, l’autre franchement.
Les oreilles de Pearl se dressèrent au petit bruit contre la baie vitrée. Elle se dégagea, se releva et dans une précipitation maladroite elle ouvrit l’une des fenêtres basculantes. Flak lui tomba entre les bras dans un petit cri de joie. Il était trempe assez pour que de grosses gouttes s’écrasent sur le tapis mais la petite ne songeait à rien de cela. Elle le fit tourner autour d’elle comme une enfant et revint avec lui près de son amie. « Il faut le rendre à madame Betty. » Celle-ci plongée sur l’écran de son portable répondit un « ouais, peut-être » désintéressé. Pearl put l’entendre encore depuis le corridor s’exclamer sur le tout et rien des internautes, et le cliquetis pressé du clavier quand elle ricanait. Elle ne s’en préoccupait plus mais, prudente, sur la pointe des pieds se glissait vers la porte d’entrée.
Un pas prudent l’amena sur le palier. Flak entre ses mains s’agitait pour bondir en direction de la porte voisine mais elle le retint et du doigt lui fit signe d’être discret. Elle se colla contre le mur pour progresser, une fois à la porte, frappa le plus silencieusement possible. Il n’y eut aucun bruit. Pearl insista, plus fort, puis plus fort encore avant que la voisine ne lui ouvre. Son doigt refit le signe d’être discret puis elle tendit Flak qui d’un saut alla se coller contre madame Betty. Aucune scène ne pouvait lui faire plus plaisir. Mais un bruit les surprit au rez-de-chaussée, une porte s’était ouverte et des pas résonnaient dans les escaliers.
La porte de l’appartement claqua.
La souris derrière entendit les pas s’arrêter juste devant, piétiner un peu puis quelqu’un frappa. Elle recula de quelques pas, de quelques pas encore quand les coups reprirent. Son visage exprimait un peu de frayeur. Juicy cria d’aller ouvrir et bientôt Rye parut au coude du corridor. Ce fut elle qui alla ouvrir mais avant qu’elle n’atteigne la poignée la souris s’était jetée pour la retenir, d’une voix effrayée elle lui fit le récit chaotique de son expédition et la supplia de ne rien dire à la gérante. Alors depuis le palier Bufo se contenta de dire « c’est moi. » Il ne comprit pas pourquoi Pearl s’élança une fois la porte ouverte pour l’enlacer.
Adossée au mur, les bras croisés, l’étudiante s’enquit : « Un problème ? »
« Une étourderie. »
Il avait perdu son billet de train, celui qui devait lui permettre de rentrer. Sans doute durant la visite celui-ci lui avait-il échappé, du moins c’était son espoir. Cette histoire attira aussitôt l’écolière qui, dans un grand cri, se laissa tomber par la porte du salon sur le sol. Elle se mit à renifler les alentours à quatre pattes jusqu’aux portes des chambres, jusqu’à celle de Luck qui s’ouvrit. La louve trouva juste à dire « encore là ? » Le mot siffla entre ses crocs et quand les autres lui proposèrent de chercher avec eux, évitant l’enlacement de l’écolière elle s’en retourna dans sa chambre. Le claquement de la porte jeta un froid.
Après cinq minutes Bufo proposa d’abandonner. Il avait jeté un coup d’œil partout où il était passé, surtout dans le couloir mais sans rien trouver. Juicy ressortit de sous le coussin du canapé, déplacé d’un mètre dans le salon. Tour à tour les autres locataires admirent n’avoir rien trouvé. Elles insistèrent en cœur pour continuer et devant le regard mouillé de la petite, la sentant prête de pleurer s’ils ne retrouvaient pas ce billet, leur obligé abdiqua. Il y eut un cri de plaisir depuis le salon et durant une demi-heure encore, tournant en rond tour à tour dans toutes les pièces, ils se heurtèrent à la même absence de résultat.
« J’abandonne ! » Lança Juicy en s’abattant sur la table de la cuisine. Tous réunis là se joignirent à son avis et à la surprise, mitigée, de Bufo la souris toute petite dans son coin ne versa pas de larmes. Il apprenait déjà à la connaître. L’argent lui manquait pour acheter un autre billet, il se refusait à emprunter. Pearl lui proposa son téléphone pour appeler chez lui. Elles le laissèrent dans la cuisine et entre elles, à messe basse, discutèrent d’une éventualité, presque certaine, où il devrait rester.
Une minute après Bufo vint rendre le téléphone. Sa mère lui enverrait ses affaires par la poste. « Je vais dormir à la cuisine. » C’était ce que sa conscience lui dictait de faire et quoique les autres lui dissent il s’y tint. Alors que le soir n’était pas encore tombé, le dîner restait à faire et déjà il aurait voulu pouvoir dormir. Elles le laissèrent couché sur le banc de la cuisine pour s’en retourner chacune de son côté. Rye, en passant, alla frapper à la porte de la louve. Elle dit simplement « Bufo va rester ce soir. » Ces mots-là restèrent gravés quelque part, comme dans l’air, comme dans les murs ou imbibant le bois, ces mots ce soir-là ne partiraient pas.
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Journal :Les premiers paragraphes ont été réécrits trois fois, un problème de transition jusqu’au bus. La solution est apparue au moment de motiver le trajet, d’où l’épisode où il voit le héros planétaire.
Cette difficulté a donné ma ligne de conduite pour toutes les difficultés à venir. En cas de problème chercher à motiver le passage ou revenir plus tôt et reformuler dans une nouvelle direction.
La description de Rye dans les escaliers a peu changé. La grande évolution est le « trait gracile » qui sert surtout à excuser une liste, une facilité. C’est néanmoins le meilleur moyen que j’aie trouvé pour lui donner corps.
Mon coup de génie a été de me décider à abandonner la focalisation interne et à m’autoriser des coups d’œil. Je parle de la scène de la douche avec Luck. Leur relation est ambiguë et beaucoup d’actions sont inexplicables sans toute une série d’indices. Elle est peut-être, ainsi, moins caricaturale.
Il était prévu au départ que Pearl, rencontrée en dernier, parle à Bufo seule à seul dans sa chambre. Ce passage immotivé a été abandonné. J’ai également abandonné le sentiment de rejet social de Bufo, trop difficile à mettre en scène.
Une difficulté s’est présentée après la visite. Flak a motivé l’entrée dans l’immeuble, je l’ai complété avec la voisine. J’ai donc réutilisé cet élément en le liant à Pearl, qui est typiquement la princesse mystique. Cela m’a permis de déclencher le retour programmé de Bufo.
Je ne suis pas mais pas du tout content de la manière dont ce chapitre se conclut. Il m’a fallu d’ailleurs réécrire les dernières phrases. La recherche du billet est creuse, les comportements trop vite brossés. Juicy est un casse-tête à mettre en œuvre.