Erreur
Erreur
Derniers sujets discutés:


Dernières news :
Derniers articles :
Dernières vidéos :
Pages: 1 [2] 3 4 5
[Terminé] The chao's theory
Re : The chao's theory
« Répondre #15 le: Mars 06, 2010, 02:27:50 am »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
La suite, évidemment.

****

Bientôt le bus amena avec lui d’autres préoccupations. Une remarque entre eux suffit à ranimer leurs visages, un poids invisible s’estompa, ils montèrent ensemble salués par le conducteur, ils l’écoutèrent aussi jacasser. Bufo avait la main à son abonnement, il n’eut pas à le montrer. Le conducteur venait de l’appeler par son prénom, un grand rire lui découvrit les dents, agita sa crinière, il leur fit signe de s’asseoir. Dix ou douze personnes se répartissaient les sièges, vieux ou jeunes, occupés à leurs affaires, à ne rien faire sinon regarder la route. L’étudiante tendit la tête en quête d’une connaissance, sûre d’avoir reconnu quelqu’un, elle ne montra rien de sa déception. Comme ils quittaient l’avenue du lien Bufo remarqua enfin qu’il avait oublié son cartable.

Sa première réaction devant la même entrée de l’administration, à présent que plus de gens la fréquentaient, devant l’immensité des lieux il arrivait les mains vides, il gonfla son goitre d’une longue inspiration.

« Tu vas t’en sortir. »

La gazelle le tira par la main sous le tunnel, jusqu’à l’avoir traversé, le lâcha ensuite en lui désignant sa faculté. Leurs chemins se séparèrent là. Il la regarda s’éloigner parmi les sentiers, sa silhouette s’effacer derrière quelque arbre, reparaître plus loin, disparaître encore, pour de bon. Derrière le grand panneau d’accueil à la lettrine dorée se trouvait un plan, presque deux cents lieux listés de couleurs différentes déferlèrent sur lui. Des ombres tirées au sol coloraient l’herbe, ses yeux suivirent la courbe des jardins de fleurs, leurs pétales scintillants sous les gouttelettes. Il lui restait du temps, assez pour s’asseoir aux bancs autour de la fontaine centrale, au plus près de ses chutes et de ses bassins.

De loin en loin les étudiants passaient sans le remarquer. Ceux-là vaquaient à leurs problèmes, tous chargés d’histoires que le crapaud pouvait lire dans leur démarche, dans leurs regards, aux objets qu’ils portaient, au fait, simplement, qu’ils se trouvaient là, au cœur de la cité universitaire. Il savait déjà, par les canaux chargés d’écume, mieux qu’avec aucun plan à quelle faculté appartenait chaque bâtiment. Le grondement des chutes, leur fracas, l’écoulement des bassins, la fraîcheur insoupçonnable au pied de cette fontaine lui rendaient son assurance, il se rappelait dans la multitude de tous ces détails, dans les passés enfouis ce qui l’avait conduit jusque là, quel but le poussait en avant.

Il allait se lever quand une pensée le traversa. Rye avait étudié là, quelque part. Alors l’histoire morcelée se focalisa, il distingua l’année telle qu’elle avait pu la vivre, elle assise dans les amphithéâtres, elle entre amies devant les entrées, elle encore en train d’attendre, à la porte d’un cours, quand personne ne venait. La gazelle couchée les bras ouverts, dans la neige. Il chassa cette dernière image parce qu’un étudiant à proximité avait attiré son attention, d’au moins deux ans son aîné, dont le pas hésitait. Ses lunettes ne lui servaient à rien, il les secouait à trois doigts, les retira à l’approche de la fontaine. La peau avait pris un aspect fripé. Leurs visages se croisèrent. Son gant droit, élimé, serrait ses doigts.

« C’est où le cours de Frédéric ? »

Bufo toujours assis sentit son sourire s’élargir. « Tu as de quoi écrire ? » Leurs deux mains se serrèrent.

« Conclu. »

Huit ou neuf personnes qu’il avait croisées portaient déjà son nom, probablement plus d’un million de par le monde mais son entourage avait tenu à l’appeler Shell. « Pourquoi Shell et pas Cartridge ? Franchement… » Le crapaud avait dû lui épeler le sien, ils l’avaient prononcé tout au long du trajet, encore en entrant, jusqu’à ce que les vitrines du bâtiment d’histoire leur coupe le souffle. Un fourmillement d’impatience les saisit, l’envie d’explorer la multitude des artefacts exposés, qui n’étaient qu’une fraction des connaissances que possédait l’université, rien en comparaison des archives de Spagonia. La pièce maîtresse s’élevait copie de fresque de la tour Paltopec au sanctuaire du ciel. Ils croyaient toucher l’histoire en touchant la vitre.

Presque au fond de l’aile, éclairée par deux côtés s’ouvrait la petite salle de cours où une trentaine d’étudiants causaient déjà dans l’effervescence, presque tous à leur premier jour comme à leur première rencontre, qui se liaient d’amitié. Le professeur une panthère noire s’affairait dos à sa classe. Le pelage luisait au soleil, la barbe d’or, il n’avait pas trente ans. Deux toutes petites incisives dépassaient de ses lèvres. Shell lui donna un coup d’épaule, désignant le professeur : « Vise l’assistant ! » Sans conscience de son erreur avisa une place libre, toutes lui convenaient, ils se retrouvèrent au second rang sans personne devant eux, à attendre que le cours commence.

Beaucoup d’étudiants apportaient leurs ordinateurs, branchés aux prises ils les gardaient éteints, certains seulement l’écran entrouvert. Shell, lui, montra sa plume d’oie en manière de trésor avant de sortir les stylos. Le jaguar ses doigts en coque tapa sur le banc pour obtenir de l’attention. Son accent du sud trahi entre deux mots ne déplut pas à Bufo.

Ni la présentation ni rien n’eut lieu, le professeur Frédéric enclencha immédiatement une image sur l’écran, demanda à sa classe ce que c’était. Ils découvraient une plaque murale, de granit, taillée au burin d’une multitude de traits en séquences étagées, sans logique apparente. À part ces traits, tous de même longueur, il n’y avait rien. Une main audacieuse rompit le silence, quelqu’un proposa un langage. « Nous sommes en histoire, pas en littérature. » Il rabroua une autre proposition du même calme simulé qui déstabilisait la classe. Tous se regardaient préférant éviter le professeur, ils murmuraient entre eux, ne réagissaient plus. Le jaguar nota à peine, au second rang, l’étudiant qui dessinait.

Bufo leva la main. « C’est un plan. » Il sentit le besoin de combler les secondes qui suivirent, de n’importe quel mot, mais se retint. Enfin une voix enrouée d’agacement :
« Devant mon bureau après le cours. »

Ces mots tombaient à peine que déchargé de quelque tâche incompréhensible le professeur Frédéric changea de ton et d’attitude, d’une manière plus dégagée, plus amicale, présenta enfin son cours. Un crépitement de claviers salua l’ouverture et Bufo, entraîné comme les autres, oublia ce qui venait de se produire pour noter le flot d’informations. Il laissa les mots désordonnés s’accumuler sous son dessin, releva parfois la tête, ne remarqua pas son voisin qui tentait de l’interrompre. Très vite les feuilles volantes passèrent entre les rangs, un affolement de première heure raidit les doigts, ils fatiguaient. Le professeur n’accorda aucune pause. À chaque fois que, forcé, il posait une question de circonstance, tout de suite le jaguar se tournait vers le second rang si bien qu’arrivé à terme Shell trouva là une sérieuse raison de se plaindre. Il n’avait presque rien noté. Comme ils se levaient prêts à partir, tout de suite « on va boire un verre ? » Mais le professeur, sur le point de sortir avant même sa classe, glissa au crapaud la cote de son bureau. Ils se séparèrent là.

La cote était inutile, l’étudiant n’eut qu’à suivre le professeur parfois forcé d’accélérer le pas, à la limite de courir, pour se retrouver dehors, dévaler le sentier d’un bâtiment à l’autre. Il crut manquer de souffle à l’entrée de l’institut d’archéologie, il faillit jurer quand le jaguar gravit les escaliers. Trois étages plus haut ils traversaient une passerelle vitrée, débouchaient dans un étroit couloir que les vitres serrées au plafond éclairaient. Comme ils s’avançaient le crapaud crut respirer la poussière accumulée, les meubles vieillissaient, le lieu parut de plus en plus abandonné. Enfin la porte isolée du bureau se présenta tout au fond.

Dedans deux bureaux l’un contre l’autre occupaient presque toute la pièce, autrement limitée par toutes les étagères remplies de classeurs, d’ouvrages, de cartons empilés, au fond un tableau noir. Il resta sur le pas, se racla le goitre. Une odeur de macération flottait depuis des jours, peut-être les livres eux-mêmes. Les feuillets encombraient le plancher, un tapis décoloré. Sur la porte en toutes lettres s’étalait le nom du professeur. La plaque avait été posée sur une autre, plus ancienne.

Enfin le jaguar revint à son étudiant, le fit reculer dans le couloir, lui tendit un billet de train.

« Départ le huit à la première heure direction la bordure tiède puis régional jusqu’aux grottes de cristal, Ninja te prendra là-bas. Je compte sur toi. »

Pour toute explication le professeur ne montra qu’un sourire mordant, presque malsain, fait d’une vexation accumulée durant des mois, cet agacement qui avait percé en début de cours, éclaté à la réponse de Bufo, qui trouvait là son exutoire. Il ressemblait à ces fauves acculés n’ayant plus rien à perdre. À force d’insistance les raisons vinrent, parcellaires. Le siège vide du second banc, dans la pièce, appartenait à Mirror. Alors qu’en moyenne les professeurs disposaient de deux à trois assistants, Mirror était le seul. Leurs obligations les retenaient à la cité universitaire, loin du projet de recherche mené au cap glacial. Alors le jaguar avait décidé d’engager un étudiant, n’importe lequel, afin de l’envoyer là-bas.
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #16 le: Mars 13, 2010, 06:33:36 am »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
Presque oublié...

****

En quelques mots plus autoritaires que raisonnables, par une audace que le crapaud n’avait jamais rencontrée auparavant, il se retrouva dos au mur à se chercher des excuses aussitôt balayées, il s’enfonçait. Le billet avait changé de main, le tenir scellait la discussion. Un premier gain dans sa décision fut de pouvoir appeler son professeur Field. « Tu regrettes déjà, pas vrai ? » Il dut avouer que oui. « Ne regrette rien. Jamais. » Ces mots bien moins que la face sévère du jaguar résumaient toutes les luttes menées, lesquelles pesaient désormais sur les épaules de l’étudiant. Ils se séparaient, en repartant dans le couloir, sa main passait sur les pustules de son bras, sur sa peau calleuse, il prit pleinement conscience d’avoir accepté quelque chose sans comprendre exactement quoi.

Dehors la première rafale le réveilla. Il leva la tête, là-haut les arcs-en-ciel irradiaient de beauté, le plus grand touchait les deux pointes de la cité. Une voix en écho lui répéta de ne rien regretter, si près du gouffre, le cœur incertain, de tenir tête.

« Tête en l’air avec ça ! » La voix brusque le prit sur le fait. Il tordit le cou, se tourna maladroit, l’entrée de l’institut plongeait dans les ombrages. Shell le rejoignait, le temps qui avait pu s’écouler entre la fin des cours et cet instant s’effaça. Son camarade venait récupérer le stylo qu’il avait oublié de lui rendre, à peine cela fait à nouveau il lui proposa d’aller boire tous les deux, n’importe où, à la première buvette qui se présenterait, à une table, il avait devant lui l’après-midi complet. Comme réponse le visage de Bufo se voila, s’alourdit de tous les doutes qui le rongeaient, qui l’empêchaient d’accepter. Il baissa le cou, bafouilla quelques mots. Son camarade lui tapa dans le dos, lui lança un encouragement avant de le laisser à ses problèmes, bien décidé à ce qu’un jour ils aient ce verre quelque part, en manière de promesse.

Il regarda la tortue s’éloigner, dans un geste de la main, à l’angle du bâtiment d’histoire s’évanouir emporté par d’autres chemins. Aussitôt le regret lui vint d’avoir décliné l’invitation, un mauvais goût dans le goitre. Des pensées confuses pesaient sur ses tempes, trop de préoccupations pour pouvoir rien faire, les questions s’enchaînèrent jusqu’à le faire tituber, la coïncidence de tous ces événements menaçait ses jambes de se dérober. L’université rieuse plus tôt lui apparut étrangère, il cherchait Rye du regard, le bâtiment qui pouvait l’abriter.

Son téléphone ne répondait pas, elle lisait en bibliothèque, prise d’une bonne habitude, il ne pouvait pas l’atteindre. Midi avait passé, la faim dans son ventre noué se faisait plus insistante, il jugea la tâche de la retrouver trop grande, tapa un bref message pour le répondeur avec l’intention de rentrer. Un vent plus fort ondulait sur l’herbe, brassait les feuillages, dans les passages étroits sifflait. Il alla le long des cercles des facultés, de fontaine en fontaine, suivant les canaux, les rigoles, son chemin croisa le bâtiment des dortoirs aux portes bondées d’adolescents. Il pressa l’allure en quête d’un visage familier, d’une gazelle à la sortie de ces perrons larges, ses yeux graciles à une fenêtre, il traversa la place.

Au lointain le réseau ferroviaire laissa glisser un train, sans bruit, sur les pylônes suspendus, que le crapaud regarda. Son téléphone en main aucune réponse ne venait, l’impatience prenait le dessus le bus tardait, il cala la tête contre la bulle de verre, les doigts se serrèrent sur son billet de train. Les yeux ouverts, ses pupilles jaunes s’étaient rétrécies en un point lointain, il chassait tous les doutes, toutes les peurs qui l’assaillaient, ne pensait plus qu’à sa chambre, ne pensait plus qu’à son amie injoignable, voulait s’inquiéter pour elle. Alors quand les portes du véhicule s’ouvrirent pris d’un état second il monta détaché de tout ce qui l’entourait, trop préoccupé lui-même pour rien montrer, les portes se refermèrent, l’emportèrent avec elles.

Le conducteur, toujours le même, avait remarqué son billet. Il s’ébroua la crinière, fit une remarque mais Bufo n’écoutait plus rien, ne se rendit pas compte qu’il était le seul passager, durant une demi-heure, il monologua.

L’instant d’avant, à l’université, la chaîne des événements l’avaient perdu. L’instant d’après le crapaud retrouvait le corridor silencieux de l’appartement. Tout ce qu’il laissait en arrière, ses devoirs ses rêves sa volonté, ce qu’il aurait pu faire ce qui l’attendait, restèrent dans l’escalier. Il trouva les lieux vides, désertés, seul le couloir l’accueillait qui lui parut trop étroit. Tous les autres dehors vivaient d’une certaine manière, lui, à bout de force, titubait jusqu’à sa chambre. Là près du sommier sans plus rien faire, ses notes de cours allèrent s’étaler, il cessa de lutter contre ses craintes, les genoux lâchèrent tout à fait, il ne vit plus que le plafond sans être sûr de savoir s’il avait atterri sur le lit ou bien par terre.

Il gémit : « Mais qu’est-ce que j’ai fait. » Quelques secondes puis : « C’est loin en plus, le cap glacial. » Le reste fut un murmure incompréhensible.

Ce qu’il avait réussi à oublier tout ce temps avec tant de soin lui revint trop brutalement, lui rappela à quel point il était effrayé. Il suait. Refuser étrangement, à force de revenir comme l’action la plus évidente, lui paraissait de moins en moins possible. Les doutes, les peurs, la panique ne se bousculaient plus pour savoir ce qu’il devait faire, mais face à ce qu’il allait faire. Son regard tangua vers le long billet de bleu clair, à destination du cap glacial, un aller simple. Rien ne l’attendait là-bas qu’il connaisse, rien au bout du monde qu’il puisse désirer. Les souvenirs de l’université se bousculaient dans sa tête, les vitrines au rez-de-chaussée, et dans le bâtiment d’en face, le contact râpeux, et glacial, du mur dans cette fin de couloir contre lequel son dos s’était tout entier plaqué.

Grâce au temps écoulé par la porte, depuis la fenêtre, par grands rais que les arcs-en-ciel teintaient, le plafond cessa de lui tourner, il prit du recul. Il dit « j’irai », il répéta quelque chose de semblable qui ne le convainquit pas plus, ses préoccupations à force de s’éloigner libérèrent sa poitrine. Alors son ventre gargouilla du même bruit que de l’eau bouillonnante, ses craintes rejetés à la mémoire, pour plus tard, malgré un léger mal de crâne Bufo rejeta sa couverture, abandonna son lit et l’odeur de bois cendrée, pour la cuisine. Ce pas franchi plus rien, à cet instant et à cet instant seul, il le pensait, ne pouvait plus l’effrayer.

Venant de la cuisine un grondement l’inquiéta, il s’effraya devant le réfrigérateur entrouvert, les glaçons qui fondaient, une flaque sur les catelles. Sur le coup tous les graves problèmes qui pouvaient le poursuivre encore se figèrent, lui-même ne songea plus qu’aux gestes les plus triviaux. À peine la porte refermée accroupi sur le sol il se mettait en devoir d’éponger, il grommelait, imaginait la réaction de Luck. Malgré ses efforts de larges traces liquides restaient sur le plancher tranchant avec la propreté dans le reste de la pièce. Il fit le pari qu’elles sècheraient, revint au frigidaire tant pour constater les dommages que pour chercher de quoi faire son repas.

Quelques heures n’avaient pas suffi à réchauffer les aliments. Ses mains fouillèrent parmi les assiettes et les plats de restes recouverts, la glace gouttait toujours, le touchait parfois, il retira ses bras. Rien ne le tentait dans tout cela quand il remarqua deux grandes boîtes d’œufs. Il en tira deux de leur emballage cartonné, la main pleine, voulait en saisir un troisième, ses doigts glissèrent, la prudence l’emporta. Il les déposa près des plaques, fit chauffer, revint pour le beurre. Dans le bloc glacial, au fond, serré, se trouvait un paquet de petits points, des champignons de la forêt feuillue. Le crapaud s’en empara, resta songeur le paquet sur la paume, à le soupeser. Un bruit d’œuf cassé l’avertit de nettoyer pour la seconde fois.

En peu de temps le beurre crépita, les plaques se tachaient autour, une odeur encore ténue de brûlé monta vite couverte par le bruit de la ventilation. Il souffla, constata la trace du jaune d’œuf essuyé, les coquilles finirent dans le troisième bac. Alors éloigné de quelques pas Bufo composa le numéro de sa famille, écouta la sonnerie puis les voix familières, si lointaines dans le décalage de la communication, tandis qu’ils parlaient lui revenait sa ville natale. À trois reprises l’étudiant tenta d’expliquer la situation, pourquoi il risquait de sauter les cours intensifs comme la moitié de l’année, l’avantage d’être engagé dans un groupe de recherche. Enfin les encouragements fusèrent, le blanc d’œuf éclatait, il dut couper.
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #17 le: Mars 20, 2010, 09:43:19 am »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
Fin de chapitre. Je passerai ensuite à un rythme de quatre pages.

****

Beaucoup d’épices firent passer le mauvais goût de sa cuisine. L’humeur n’y était pas, les pensées ailleurs, entre deux points extrêmes de quelques seize mille kilomètres. Il nota l’heure, par la fenêtre le ciel clair, les quatre murs de la cuisine le serraient. Entre deux bouchées Bufo se leva pour ouvrir la porte-fenêtre, laisser l’air frais envahir la salle. À nouveau assis le silence le stupéfia, alors qu’il se forçait à vider son assiette, comme si l’activité de la ville s’arrêtait au seuil de l’appartement. L’assiette finit dans l’évier, il laissa l’eau couler dessus un peu plus songeur.

Quand il en eut fini avec son repas, l’air dans sa chambre lui sembla trop chargé, il aéra puis revint au balcon de la cuisine, s’appuya sur le garde-fou en fer, laissa son regard se perdre parmi les façades.

La cité universitaire s’étendait insouciante à peine troublée par les rires d’enfants. Au croisement de cinq rues étincelaient les surfaces vitrées du magasin où travaillait Luck, arrondi autour de sa fontaine de façon un peu ridicule, et par terrasses, qui fourmillait d’activité. Il essaya de deviner presque à l’angle du mur, là-bas sur les pentes, l’école où devaient se trouver les deux plus jeunes colocataires. La vue coulait à chaque fois jusque sur le centre, par tous les espaces verts, les grands parcs qui ponctuaient la cité, à la vue des grandes fontaines des bâtiments publics celles-ci lui arrachèrent un soupir. Une envie nouvelle, trop imprécise, le brûlait d’errer au hasard dans cette ville, qu’il réprima.

Il chercha en se penchant les bâtiments de l’université, cachés par l’angle de l’immeuble, il les imagina mêlés aux autres rues, méconnaissables. La bibliothèque là-bas lui aurait permis de sortir mais la bibliothèque était un autre enfermement, égal au cloître de sa chambre, au téléviseur du salon. Il chassait les idées en vain, elles revenaient, le besoin d’abandonner toute mesure, le besoin, il n’aurait pas su dire, de vivre chaque instant tant qu’il le pouvait encore. L’envie s’ancra en lui trop obsédante. Ses doigts se serrèrent sur la barrière, prêts à l’enjamber, il se sentit faire le geste, passer par-dessus le vide, se jeter jusqu’au sol, partir errer dans la ville, il se sentait entraîné, lâcha.

Le téléphone vibra seul dans la chambre. Personne n’était là pour répondre. À force de le consulter Bufo l’avait oublié sur le lit. Un message s’afficha en attente, venant de Rye, qui prévenait de ne pas l’attendre. Par les fenêtres le milieu d’après-midi lançait tous ses feux, des lames d’humidité scintillaient dans l’air, par les rues les enfants couraient, les véhicules passaient en bourdonnant. Bientôt le ciel tira vers des teintes plus douces, le temps se rafraîchit. Un second message annonça qu’elle rentrait. Dans la chambre la fenêtre ouverte avait laissé des gouttes d’eau se former sur le drap tiré. La porte était fermée, dessus les ombres couraient à la mesure du temps, quand elles couvrirent la serrure quelques longs coups toquèrent et la voix de la gazelle appela.

Personne dans la chambre ne répondit. Elle n’avait pas appelé fort aussi, se rapprochant du battant, elle appela encore puis ouvrit. Tout comme la porte d’entrée, celle-ci n’était pas verrouillée. La clé s’y trouvait encore. Elle découvrit les notes étalées à terre, le désordre du lit et la fenêtre grande ouverte. « Je suis là » dit le crapaud après avoir rouvert la porte du salon. Il avait passé toute la journée effondré dans un coin du canapé, à regarder des documentaires. Ses yeux s’étaient un peu rougis de fatigue. Rye après quelques reproches se fit raconter les événements de la matinée. Il résuma tout sur un ton détaché, presque anodin, qui lui fit douter de la réaction à adopter.

Cependant il lui demandait : « Et toi ? »

« Tu ne vas pas refuser ? »

Un léger trouble entre eux les gêna, vite éclipsé, ils échangèrent encore quelques mots après quoi la gazelle dut s’éclipser dans sa chambre, il lui fallait se changer. Bufo avait remarqué, et senti la forte sueur qui se dégageait d’elle, sur son pelage, ses épaules, ses bras. La fatigue de cette journée lui fit baisser les yeux, il retourna à son émission, écouta distrait quelque théorie vulgarisée. Le poing qui le rongeait au ventre n’était plus dû au billet de train mais à un autre inconnu plus proche, pour lequel il ne se sentait pas concerné.

De grands cris à la fin de l’émission éclatèrent depuis le corridor, il allait se lever quand la jeune loutre lui roula dessus décidée à lui parler de tout ce qu’elle avait en tête. Dans la foule de paroles il crut comprendre que Rye l’avait mise au courant, d’où il conclut que toute la colocation savait. Pearl avait été chassée de sa classe en l’apprenant, non pour son cri mais pour avoir gardé son téléphone allumé. Elle prit bien la peine de le préciser, ensuite, s’approchant d’un pas en équilibre sur la pointe de ses pieds, la souris demanda s’il ne pouvait pas rester. Elle usa d’un ton suppliant, assez pour ébranler Bufo dans ses convictions. Mais déjà Juicy : « Tu vas te transformer en bonmob de glace ? » Et elle lui tâtait le bras avec sa règle d’école.

Au dîner toutes les discussions convergèrent vers ce seul sujet et lui, en bout de table, une fois de plus devait expliquer ce qu’il savait, répétait qu’il avait accepté en toute conscience, que c’était une chance à prendre, mille raisons agglutinées sur la seule raison qu’il n’en avait pas de refuser. « Mh… » fit seulement son voisin. Le scorpion, tout à fait étranger à l’ambiance, avait lancé son onomatopée les yeux rivés sur son assiette, même quand Bufo lui demanda son avis il ne réagit pas plus. En face, prise par sa mauvaise humeur, la louve de cendre mangeait également en silence. Elle écoutait mais refusait de prendre part à la discussion, cela suffisait, pour le crapaud, il comprit qu’elle désapprouvait.

Du moins il croyait le comprendre.

Quand le repas fut fini et que Coal laissant tout derrière lui se renferma dans sa chambre, Juicy avait aussitôt bondi et emporté la gazelle avec elle, tout l’appartement pouvait entendre la loutre parler d’habits chauds de moufles et de bonnets, de skis et de raquettes à neige. Pearl jouait avec sa serviette, avec ses fins doigts à peine gênée par ses gants elle l’avait pliée de telle manière qu’une fois reposée celle-ci ressemblait à une grosse araignée. Resté avec elle, tandis que Luck débarrassait, le crapaud rassembla son courage pour lui demander, un peu trop tard, sans grande assurance, si elle avait observé la nuit l’apparition de chants ou de lumières bleutées. Elle baissa les oreilles tristes de ne pas pouvoir le renseigner.

« Tu seras parti longtemps ? » Il la vit qui touchait ses deux index dans un geste un peu nerveux, qui ne lui convenait pas. Il répondait, la vaisselle s’entrechoquait dans l’évier, il pensa au jaune d’œuf, au réfrigérateur entrouvert. Alors en sorte d’aveux il dit à Pearl combien lui manquait le goût des champignons de sa forêt natale. Elle le traita de bête, pas méchamment, puis s’excusa parce que ses devoirs l’attendaient.

Lui, il n’aurait pas de devoirs. Field, il pouvait à présent l’appeler ainsi, le professeur Frédéric s’était montré assez clair sur ce point. Oubliant Shell, oubliant son camarade qui l’attendrait, il songea à ne pas se lever le lendemain, profiter des jours qui lui restaient d’ici au départ. Une main serrée sur son bras le tira de sa rêverie, la table débarrassée, Luck le fit sortir en un rien de temps, referma derrière, le laissa soupirer de son côté dans le corridor. Il n’arrivait pas à lui en vouloir, pas ce soir, pour bien des raisons.

Quand la nuit les surprit ils étaient cinq autour du jeu de société, Juicy boudait d’avoir été éliminée, la louve fit signe qu’il était tard. Dans leur dos tournaient au hasard les musiques de la loutre. Ils retournèrent chacun à leur chambre, le crapaud s’attardait pour ranger le plateau et les dés, la jeune écolière le poussa dehors à grands cris. Pearl l’attendait dans le corridor. Elle le tira dans un coin et, chuchotant, lui proposa une escapade nocturne, sur l’instant, s’il voulait la suivre. « Maintenant ? » Elle hocha la tête, ils n’auraient sans doute plus d’autre occasion. La porte d’entrée se referma sur eux.

___________________________________________________________________________________________

Journal :
Mon mode d’écriture avoue ici ses limites. Il a fallu plusieurs réécritures, à partir du point où Field lui donne le billet. Je suis inquiet pour mes descriptions et je me rends compte que sans une lecture attentive, le survol des événements rend l’histoire très vite confuse. Un passage a été supprimé, où Bufo errait dans une bibliothèque à la recherche de Rye.
La scène avec Pearl a été totalement improvisée, sans grande raison d’être. Il devait juste s’agir d’une transition du bus à l’appartement. Elle devait revenir sur l’idée de donner sa chambre à Bufo, propos qui n’avait plus sa place.
Shell, avant de recevoir son nom, devait apparaître dans le bus et Rye devait regretter cette compagnie qui la séparait de Bufo. À cause de la blague improvisée du cartable cette rencontre a été repoussée à la fontaine et, finalement, c’est mieux ainsi. Ce devait être un étudiant peu sûr de lui, timide, probablement un mouton. Mais le geste des lunettes en a finalement fait le gars cool dont Bufo avait grand besoin.
La plus grande difficulté a été de motiver la fin du chapitre. Le repas a été ajouté dans ce but, et réécrit. Il était prévu que Rye le rappelle, j’ai développé là-dessus. Un passage où Rye est au parc a été effacé, je préfère faire planer une inconnue.
L’escapade nocturne, qui conclut le chapitre, est rendue nécessaire pour rendre Pearl… intéressante… et pour motiver le retour de cette nuit des Chao. C’est un épisode que je ne traiterai pas mais qui reviendra en filigrane.
Une autre scène, qui date déjà du chapitre deux, avec Juicy a été abandonnée et renvoyée aux chapitres sept ou huit.
« Dernière édition: Juin 07, 2011, 09:55:25 am par Feurnard »
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #18 le: Mars 27, 2010, 06:32:02 am »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
J'ai achevé l'épisode sept, rien de neuf d'ici juin. Le postage devrait décaler doucement vers dimanche. Quatre pages comme prévu.

Pour son premier jour de cours Bufo reçoit un billet simple en Holoska, formidable.

The Chao's
Theory

Épisode 4 :

Un coup de feu avait fait bondir son cœur, l’avait tiré à la frontière de la conscience, dans l’obscurité de sa chambre les rideaux ondulaient et sur le plancher en une longue traîne l’humidité offrait quelques lueurs, il avait voulu soulever la tête, ou un bras, ou un membre, le drap lui avait trop pesé, ses paupières se refermaient sur le songe. Bientôt la chaleur matinale vint le bercer, peu à peu les entraves du sommeil se dénouèrent, il laissa monter par la fenêtre les premiers chants d’oiseaux suivis des premiers véhicules. Le drap pendait à moitié sur le sol. Emporté par l’indolence des derniers instants son bras allait de droite à gauche, pendait dans l’air sans force. Il se frottait les jambes, cherchait le sommeil enfui au fond de son oreiller, tandis qu’une pâleur légère envahissait la pièce, son bras continuait de bercer, il cherchait un dernier espace où faire durer la veille.

Son corps bascula sur la gauche. De ce côté obscur l’odeur de bois s’imprégnait plus forte, un peu amère, la tête s’enfonçait en quête d’un second sommeil. Sur ses membres contre les pustules durcis coulaient des gouttes de sueur, le matelas était humide, il devinait à peine son corps entre des filets de l’aube naissante, les pieds à l’abri sous le drap, froissés dans le tissu, ses paupières tremblaient pour rester closes. Le bras se balançait toujours de gauche à droite, le matin paisible avançait quoi qu’il fasse. La peau blanche, calleuse, luisait un peu sous les premiers rayons, rendait des éclats froids. Il se souvint de son billet pour l’Holoska. Le corps bascula à droite et alors le bras entraîné dans le mouvement alla frapper dans le cadre du lit.

Bufo se réveilla dans un cri de douleur. Il se mordit la lèvre pour ne pas gémir, voulut saisir son bras inerte mais une décharge souffrante l’arrêta. La peau bleuissait, au lieu de s’atténuer la sensation de brûlure s’intensifiait. Dans la pénombre il n’arriva pas à juger, chercha l’interrupteur, la lumière crue éclaira la pièce. À l’endroit où le bras avait frappé le cadre du lit s’était enfoncé, une fine fêlure en avait tiré quelques fragments. Cependant le bras perdait sa torpeur, il put le soulever, bouger les doigts, de son autre main il tâta la plaie. Sous l’ecchymose qui gonflait affleurait la forme dure de l’os.

Devant le miroir de la salle de bains l’eau glacée coulait sur la plaie, la situation lui parut triviale, presque drôle. Le crapaud en profita pour se mouiller le visage, sa tête bourdonnait encore il découvrait le jour nouveau, malgré la douleur, l’envie le prit de retourner dormir. Dans sa précipitation Bufo avait oublié de revêtir ses gants.

La chambre de Coal s’ouvrit dans un grincement. Le scorpion saisissant l’encadrement d’une main s’y laissa suspendre en guise d’étirement puis le visage encore embrumé par le sommeil, de son air morne, il se rendit dans la cuisine. Sa queue atrophiée pendait au sol, disparut avec lui. Dans les yeux du crapaud les pupilles d’un jaune de braise s’agrandirent, dans le couloir, sans bouger, il attendit crispé que se produise la suite. Le scorpion devait ouvrir le réfrigérateur, il y fouillait, en même temps d’autres bruits sortaient de la cuisine, une série de pas excédés et bientôt le scorpion passa tête la première pour s’étaler dans le corridor. La patte féminine de Luck claqua derrière, une clé tourna.

Le crapaud s’approcha : « Ça va aller ? »

Tant de bruit avait dû réveiller les autres locataires mais soit qu’elles étaient habituées, soit qu’elles ne voulaient pas s’en mêler, aucune ne réagit. Dans le silence les deux mâles de l’appartement partageaient la première heure de cette fin de semaine. Le scorpion se releva, massa sa nuque, s’épousseta les bras l’air lâche, le corps amolli. Sur sa peau rougie les marques d’une nuit blanche étaient visibles. Son regard s’attarda sur la blessure du crapaud, après quoi d’un geste oublieux il lui souhaita une bonne nuit, s’en retourna dans sa chambre. Par la porte entrouverte Bufo l’entendit allumer sa console, la lumière de l’écran irradiait, il entendit les sons criards et ne sut pas s’il devait le plaindre ou l’envier.

D’abord le crapaud alla mettre des gants. Ensuite retourné dans le corridor une idée incertaine le poussa à suivre, il poussa la porte, se glissa dans la pièce, n’y trouva pas même la place pour étendre les bras. Coal s’était couché sur son matelas à nu qui débordait contre les murs. Des odeurs de vieux emballages et de boisson se mêlaient au grésillement du téléviseur. Le scorpion sans tourner la tête lui tendit une manette. Quand enfin l’aube s’imposa tout à fait, l’un couché, l’autre resté debout, ils jouaient encore, ne s’étaient même pas aperçus quand la louve de cendre se rendit à sa toilette. Grisés tous deux d’insouciance ils enchaînaient les combos, pour un temps, oubliaient le monde.

Après la louve Rye à son tour les aperçut qui jouaient à l’étroit. La gazelle décoiffée par sa nuit ramassait sa chevelure en gerbe, une serviette à l’épaule elle allait prendre sa douche quand cette porte entrouverte l’attira. En la poussant elle tomba nez-à-nez avec Bufo, tout près, lui troublé s’écarta, montra leur jeu en cours. Un grognement de Coal le rappela à sa partie, il regarda la gazelle s’éloigner avant de reprendre. Ses dents se serraient encore de temps en temps sous la morsure, le bras toujours douloureux. Le tas de pixels qui le représentait à l’écran venait de perdre une vie.

Il abandonna peu après poussé par le jeun, laissa le scorpion à son petit écran, quand il se retrouva dans le corridor ses yeux le piquèrent. Sa surprise fut grande de découvrir l’appartement plein d’animation, la lumière venait de partout, un monde s’était écoulé dans son dos qui se découvrait à l’instant. Seule la porte du salon fermée encore conservait quelque chose de la torpeur. À la cuisine Luck débarrassait sa propre assiette, le visage sombre, par gestes brusques, elle rongeait sa rancune du matin comme un chien son os. Les cheveux en cascade, teints de noir, creusaient son dos, elle gardait sa queue rêche presque au sol. Ils n’échangèrent qu’un mot, lui intimidé et ne voulant pas l’admettre alla manger à l’écart.
Elle avait dû lui jeter un coup d’œil furtif, sans qu’il le note. Laissant là sa vaisselle la louve partit d’un pas sec dans le corridor, il l’entendit ouvrir l’armoire d’entrée, la vit revenir avec une trousse de soins. Ses protestations moururent assez vite dans son goitre, la louve se baissant sur son bras pommadait déjà l’ecchymose. Il sentit la brûlure se raviver. « Tu es blessé ? » Ces mots de Rye, qui se voulaient inquiets, sonnèrent plus pour Bufo comme un reproche. L’étudiante les rejoignit à la table, à son tour s’assit et demanda ce qui s’était passé. Avant qu’il ne réponde la louve serra la compresse d’un coup sec, le faisant crier, puis elle quitta la pièce.

Il resta une seconde le regard vague du côté du corridor. Ensuite à la gazelle : « Elle est vraiment impossible ! » Elle de son côté se contenta de rire, un peu, sous main. Elle se fit expliquer l’incident du matin.

Depuis la veille Juicy et Pearl s’étaient enfermées dans le salon et devant le portable se partageant le casque à microphone elles avaient suivi une soirée à laquelle participait Pupil. Une excitation dès le départ les avait saisies toutes deux si bien que se relayant toute la nuit, jusque tard le matin, le temps avait perdu de son sens, une véritable aventure leur avait servi de sommeil, qui s’étirait même après sa fin. La loutre avait retenu jusque là toute la tension dans ses bras serrés contre la poitrine, elle se trémoussait, électrique : « Je veux pas que ça se termine ! » Son amie recroquevillée près du portable s’était endormie depuis longtemps. Elle lui glissa dessus la couverture et par les fenêtres, le soleil l’avertit de l’heure avancée, l’écolière trouva dans cette matinée une nouvelle raison de ne pas fermer l’œil.

Son téléphone vibra. Elle se jeta dessus, retint un cri de joie et bondit jusqu’aux fenêtres au bout du salon ouvrit, rejoignit le balcon. En contrebas dans le carré d’herbe son ami l’attendait. Elle lui fit un grand geste puis « Shard va te voir ! » Lui s’en fichait, il fit signe de venir, Juicy avisa la petite souris endormie près du portable éteint, elle courut déverrouiller la porte, passa en coup de vent dans le couloir, eux à la cuisine n’eurent que le temps de la saluer. Rye lança : « Bufo s’est blessé ! » Elle était déjà dans les escaliers, lança fort tout en courant : « Je suis content pour lui ! » Après quoi la jeune loutre se trouva dans la rue, son ami l’attendait, ils roulèrent dans l’herbe en riant.

Après son passage Pearl pleine de fatigue, d’avoir tant veillé, les rejoignit à la cuisine. Elle traînait avec elle la couverture, n’en avait pas conscience, la remarque l’étonna. Même épuisée elle trouva la force de plaindre Bufo, d’un petit air malheureux, demanda ce qu’elle pouvait faire. Ils la voyaient qui ne tenait debout que par la fragilité de ses jambes, en équilibre sur un fil invisible, ses mains glissaient constamment sous les cils de ses paupières. Elle demanda encore, d’une voix effacée, s’il était allé voir mademoiselle Nathalie, la gérante, à propos de son départ. Rye attendrie raccompagna l’écolière à sa chambre. Bufo rejoignit la sienne avec l’impression qu’une journée entière s’était écoulée depuis son réveil. Il se laissa tomber sur le lit, sentit la sueur imprégnée dans le matelas, gelée.

Le temps passant le détachait toujours plus, à mesure qu’approchait le jour de son départ pour l’Holoska, de la cité universitaire. Alors qu’il discernait seulement toute une vie seconde que les seules façades blanches de la ville n’avaient pas suffi à connaître ce voyage, qui pouvait durer un jour, qui pouvait durer six mois, jetait l’incertitude sur son retard, sur cet environnement pourtant familier, une distance infranchissable. Lui qui se sentait à sa place, ici, il ne voulait pas tout perdre.

Une clameur monta de la cuisine où Luck était retournée terminer sa vaisselle avant de partir à son travail. Il avait oublié que, même en fin de semaine, la louve travaillait encore. Il avait oublié, depuis deux jours, que d’autres avaient des obligations. Elle se révoltait. « Que je l’emmène ?! » Devinant la raison Bufo se leva, alla les rejoindre. La gazelle bras croisés pesait de tout son calme pour persuader la louve, pour les habits chauds et pour aller voir au moins un pharmacien. C’était le dernier jour pour se rendre au magasin, personne mieux qu’elle ne pouvait l’y accompagner. Elle-même avait ses obligations. Leurs deux regards se croisèrent, la louve détourna la tête.

Une poignée de minutes plus tard l’un et l’autre se suivaient à quelques mètres de distance. Il aurait préféré aller seul, n’avait accepté que pour éviter d’autres explications. Devant lui parfois séparée par un passant la chevelure noire ondulait masquant presque ses épaules, elle allait si vite qu’il lui fallait parfois courir pour combler l’écart. Ils se retrouvèrent à attendre devant un feu, malgré l’absence de circulation. Ses tentatives de parler se heurtaient au silence de la louve. En pleine rue son pelage de cendre s’éclaircissait, l’humidité dessus lui donnait des éclats poudreux. Il n’arrivait jamais à la rattraper, derrière elle, s’essoufflait.

Depuis la rue piétonne, large, encombrée d’arbres, s’ouvrait directement la fontaine de la grande surface, avec tout autour les portes d’entrées, les vitrines, au-dessus les terrasses à ciel ouvert. Elle continua jusqu’au croisement des cinq rues, où se trouvait le hall, entra là suivi de peu par le crapaud au souffle court, qui se tenait les genoux. La foule qui se pressait aux portes le bousculait, il s’écarta, leva la tête. Les cinq ou six étages s’ouvraient en balcons aériens, couverts de la première activité du matin, des fontaines un peu partout côtoyaient les bandes de tapis sinueuses. Le temps de se remettre de ses impressions, Bufo se rendit compte qu’il était seul. Elle était déjà aux escaliers, aux premières marches.
Il se précipita à sa suite, arrivé au premier étage lui lança « Eh, attends ! » La louve s’arrêta en serrant les poings. Il la rejoignit, la vit ravaler les mots dans sa gorge. Le supermarché s’étendait devant eux avec ses alignements de caisses, Bufo remarqua quelques vendeuses qui les saluaient. L’une plus hardie alla à leur rencontre.

« Mais quelle surprise, Luck, tu ne nous avais pas dit ! »

Cette parole trop jouée, sur un ton trop vif, respirait la plaisanterie. Pour toute réponse la louve repoussa Bufo de la main, le planta là et dans un grognement passa dans les rayons pour y disparaître. Après elle le jeune singe qui tenait le stand des poissons, qui avait attendu son arrivée, lui enchaîna le pas. Il jeta à ce crapaud un regard mêlé de curiosité et de méfiance que ce dernier ne sut pas déchiffrer. La hase ses mains perdues dans ses oreilles demandait du même ton joué quelle était sa relation avec leur collègue. Il comprit, s’il en était encore besoin, ce qui avait pu tant l’agacer dans sa présence, s’expliqua du mieux qu’il put, montra sa blessure, demanda où trouver la pharmacie, n’ayant rien compris aux directives, s’en alla au hasard explorer le magasin.

Après son départ la vendeuse retourna dans les allées jusqu’aux rayons surgelés où le singe à son étalage, avec deux collègues, soupirait. Il ne cachait rien d’un amour dont ils ne savaient pas s’il était simulé ou réel. Ils comptaient attendre qu’elle ressorte pour lui parler mais la hase, trop impatience d’échanger quelques mots avec elle, décida d’aller la trouver sur l’instant.

Un trajet au plus court par l’accès du personnel la mena jusqu’aux lourdes portes de la chambre froide. Tout de suite son poil se souleva tremblant au changement de température, elle se frotta les bras, crut que ses dents et son museau gelaient. Il fallait le tempérament de Luck pour supporter ces conditions. Elle avait revêtu l’uniforme du magasin et, entre ses quartiers de vente, reprenait l’inventaire. Ses gants bandés jusqu’aux coudes contrastaient avec la tenue, pourtant de couleurs proches. Ils étaient d’une mode trop ancienne pour que sa collègue s’en souvienne.

Elle alla s’accrocher à son épaule à la manière des écolières, soupira pour la faire parler, insista pour tout savoir de cet inconnu qu’elle ramenait dans l’antre secret de son travail. La louve sur la défensive ne donnait que des réponses lapidaires. Quand elle se décida à redevenir sérieuse, enfin : « Il est haïssable. » Ces mots la surprirent, l’envie lui vint de défendre ce crapaud trop poli, un peu simplet. Le froid l’engourdissait, entre deux remarques elle vit son haleine lui échapper. Luck décrochait sans grande attention, elle avait réussi à changer le sujet.

Alors, pour plaisanter : « Tu crois que lui et moi… » Tandis que tombait un quartier de viande.
Luck donna dedans plusieurs coups de poing. Elle faisait cela, parfois, avant d’envoyer la pièce à dégeler. Cette fois il sembla que les coups donnés lui avaient fait mal. Elle regardait son poing encore serré, l’air ailleurs. Un petit frisson passa dans la nuque de sa collègue, au souvenir de cette légende. Les premiers jours où elle les avait rejoints, la louve de cendre s’était attirée la réputation de manger la viande congelée à grands coups de mâchoires. Il s’agissait de son caractère mais, en la voyant ainsi, la hase se demanda si l’histoire n’était pas plus littérale.

Le froid l’avait vaincue, elle allait quitter la chambre froide. En partant il lui fallut quand même dire le fond de sa pensée. D’une voix plus faible, sérieuse : « Va le rejoindre. » Elle laissa Luck donner d’autres coups de poing.

Un énième plan l’avait fait se diriger vers l’animalerie puis, un peu plus loin, redescendant d’un étage Bufo s’était retrouvé face au jardin de chao. Il se demanda à nouveau ce qui justifiait ses efforts, à tout hasard se renseigna auprès du gérant qui le renvoya dans l’aile opposée du magasin. L’épuisement des grands jours lançait ses tempes, il se tint la tête en quête d’un banc où s’asseoir. Dans son dos les quelques chao jouaient ensemble, ils lançaient de petits cris brefs et se giclaient avec l’eau de la fontaine. L’un d’eux se détachant du groupe alla jusqu’au crapaud, passa à sa gauche alors qu’il tournait la tête à droite, passa à sa droite quand il tourna la tête à gauche, resta interdit lorsque le crapaud s’en alla.

C’était Flak.

À défaut de trouver la pharmacie son errance le conduisit jusqu’à un premier magasin de vêtements. La collection d’été s’étalait au grand complet, il entra, se renseigna pour des habits chauds. Le vendeur le regarda sans bien comprendre. Il ne venait pas faire un cadeau à son amie, c’était pour lui. « C’est… un magasin féminin… » fit remarquer le vendeur. Bufo quitta les lieux le visage cramoisi. Il eut l’envie facile de retourner à la surface où travaillait Luck mais sa conscience, très vite, l’en dissuada. Alors descendant d’un nouvel étage la foule se faisait de ce côté moins dense, les vitrines affichaient encore des vêtements, il tenta une fois de plus sa chance.
« Dernière édition: Avril 04, 2010, 07:37:43 am par Feurnard »
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #19 le: Avril 04, 2010, 07:36:53 am »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
J'avais quasiment oublié cette fic'...

****

Il ne fut pas surpris d’apprendre qu’en fin d’été trouver de véritables habits chauds tenait de la gageure. L’Holoska, après tout, se trouvait à cinq ou huit mille kilomètres. Sa meilleure option restait d’acheter les vêtements au premier arrêt, avant de prendre le régional, quitte à manquer sa correspondance. Déchargé de cette première tâche il considérait d’abandonner la seconde, sa blessure ne le faisait plus tant souffrir, une semaine suffirait à la faire disparaître. Aussi se dirigeait-il du côté du hall, sans grand but pour le reste de la journée. Dans l’escalier bloqué par la foule il écouta, distrait, l’enfant assis à la fontaine jouer de la flûte.

Un bras familier se glissa à son bras, la hase avait réussi à le retrouver et le tirant en arrière le ramenait à l’étage. Elle continuait avec ce ton enjoué, trop vif, plein de gestes démesurés pour l’obliger à la suivre entre les vitrines, l’employée savait où trouver ce qu’il cherchait. Il l’entendait rire sous barbe, ne s’en inquiétait pas, se demandait seulement pourquoi elle n’avait pas lâché son bras. Sur leur route se présenta un caducée qui aurait pu être une pharmacie, ils ne s’arrêtèrent pas. D’un pas pressé la hase lui faisait traverser presque tout le magasin, montait presque tous les étages.

Presque au fond de la seconde aile se trouvait une grande chute d’eau plongeant dans un bassin profond le long de cinq étages. Les embruns étaient tels que la foule se tenait à distance, le bruit couvrait les conversations. Ils allaient dans cette direction, ils arrivaient au point où la chute prenait sa source, là où le sol se couvrait d’éclaboussures. À son mouvement de recul l’employée le tira, le mena jusqu’au garde-fou. La vue plongeante le fit déglutir. « Beau coin pour les amoureux n’est-ce pas ? » Bufo nota qu’il n’y avait pas de pharmacie. Il se retournait quand la hase le poussa par-dessus la rambarde.

Au moment de chuter le crapaud tenta de se rattraper la barrière, y parvint mais de son bras blessé. La plaie le fit hurler, il lâcha et s’effondra dans le bassin. La chute le fit plonger presque au fond, près des coraux qui couvraient la surface de pierre, que ses doigts auraient pu toucher. Parmi les remous qui agitaient le fonds il y en eut pour le repousser à la surface, il émergea le souffle court, et trempe, sans y croire. La hase lui fit signe depuis le cinquième étage, un téléphone en main. Il n’essayait plus de comprendre, un peu perdu, cherchait à rejoindre le bord où les remous le poussaient.

Une fois au bord, une main se tendit.

Il attrapa cette main tendue, se laissa tirer hors de l’eau, une fois debout toussa encore, se tapa la poitrine. Son bras le brûlait intégralement. « On dirait un de ces jours » lui fit remarquer Shell, à quoi le crapaud haussa les épaules. Son camarade de classe avait pris le temps de replier et ranger ses lunettes avant de venir le secourir. Il se souvint n’être pas allé en classe, le second jour, sut que la tortue avait dû l’y attendre, ne sut pas trop quoi dire. Cinq étages plus haut l’employée exigeait qu’on remette le crapaud dans le bassin. Les passants la regardaient sans s’arrêter. « Tu viens prendre un verre ? » Il voulut accepter mais, dans son état, avant tout il lui fallait trouver de quoi se sécher. Aussi, son bras le lançait atrocement. Son camarade lui reprocha de se chercher des excuses, ils partirent tous deux pour la pharmacie laissant l’employée déplorer l’échec de son plan.

Elle reprit son téléphone pour avertir ses collègues de la situation, apprit que Luck était déjà partie. Il ne lui en fallut pas plus pour se retourner. La louve de cendre, dans son dos, serrait les crocs. Elle prit le temps d’écouter les explications, soupira, étouffa une réaction trop violente. Du doigt, elle poussa la hase et le regarda plonger à son tour dans le bassin. Cela ne la fit même pas sourire. La louve se mordit un doigt, au travers du gant, puis d’un pas sec repartit.

Plutôt qu’une pharmacie Bufo se crut dans une brocante. Il laissait le vieux gérant remplacer sa compresse, de son côté regardait les étagères pleines de pots, de vases qui côtoyaient les emballages plus modernes. Shell causait au comptoir avec la fille du vieillard, de façon informelle, il se renseignait sur la dingue qui avait poussé son ami depuis cinq étages. Elle se cachait le visage, montrait ainsi encore plus vivement son trouble, s’embrouillait dans ses réponses. Le vieux gérant leva les yeux au ciel, une seconde, avant d’achever ses soins. Il laissa son jeune client se redresser.

Cela fait le scorpion trouva bon de demander : « Est-ce Coal qui t’as soigné ? » Et satisfait de la réponse, un sourire sous sa moustache, il retourna à son comptoir. Sans le temps qui l’avait assombrie la peau du pharmacien aurait été d’un rouge plus vif.

Ils ressortirent animés d’une discussion nouvelle sur le second cours du professeur Field, que Bufo avait de plus en plus de mal à appeler Frédéric. Leurs propos les ramenaient à la terrasse où la tortue avait laissé son verre, ils allaient d’un pas peu pressé, jetaient un œil aux vitrines. Il devait toujours lui expliquer la raison de son absence, le voyage qu’il avait accepté de faire, son engagement, il attendrait d’être assis pour commencer. En même temps il n’arrivait pas bien à cerner Shell, c’était plus que de la camaraderie, tout à la fois il le trouvait toujours brusque et détaché, une personne trop étrangère avec laquelle il ne partageait rien de commun sinon un cours quelconque, qu’il ne suivait plus déjà.

Plus loin un attroupement compact les obligea à se détourner. La foule s’était réunie devant les écrans géants qui diffusaient l’actualité. Alors qu’ils approchaient les personnes présentes commencèrent à se disperser, les murmures puis le flot de conversations couvrit le son des téléviseurs. La tortue demanda ce qui se passait, écouta le récit du combat, le héros planétaire avait encore sauvé la situation. « Ces militaires, quels incapables ! » Lança une hérissonne l’air irritée par un mauvais spectacle. Quand la masse se fut suffisamment dispersée les deux étudiants se glissèrent jusqu’aux écrans pour écouter le présentateur résumer les faits et passer quelques images de l’événement d’ores et déjà passé.

« Ça ne te donne pas envie d’aller te battre ça ? » Demanda Shell.

« Non. »

La tortue lui tapa dans le dos jovial, aussi fort qu’une tortue pouvait le supporter avec sa carapace. Ils devaient toujours boire ce verre, avant d’avoir fait trois pas une voix stridente, extraordinairement aiguë perça la distance, la loutre se jeta sur Bufo sans pouvoir s’arrêter, ils tombèrent tous les deux l’un sur l’autre et Juicy sans même y songer : « Je t’ai cherché partout ! » Elle se sentit soulevée au collet, la tortue reposa l’élève survoltée sur le côté avant d’aider son camarade à se mettre debout. Les présentations faites elle savait où trouver des vêtements, il faudrait faire des essayages à cette perspective la loutre sautait sur place, Shell les laissa avec la promesse que la prochaine fois, ce verre, ils l’auraient.

Arrivés devant la place l’étalage de vêtements sautait aux yeux, Bufo se demanda comment il ne l’avait pas encore remarqué. La loutre le tirait du bras pour le faire avancer, soudain se redressa, fit de grands gestes au travers de la foule pour attirer l’attention. Là-bas Luck la remarqua, les vit tous les deux à l’entrée de la surface. Une seconde la louve hésita, en voyant qu’il allait bien, pour repartir. Sa collègue avec elle l’encouragea à y aller l’air fourbe puis s’éclipsa. Un soupir la décida, la foule s’ouvrit jusqu’à eux, elle grogna en les rejoignant, jeta un regard sans conviction au magasin, aux vêtements étalés là, qui les attendaient.

Sans l’insistance de Juicy l’achat se serait conclu dans la minute. Elle fit toute une scène pour qu’il entre dans la cabine, tandis que la louve patientait dans un coin, elle fouillait déjà pour trouver d’autres habits à essayer. Bufo ressortit vêtu comme un grizzli, presque un mammouth. Il suait depuis l’instant où la veste l’avait recouvert. Mais la loutre fit la moue et Luck, de son côté, secoua la tête. La responsable du magasin se prenait au jeu. Il constata une pile de vêtements qui l’attendaient.

Près de deux heures plus tard la tête lui tournait, il n’en pouvait plus de refermer et de rouvrir ces rideaux, entre deux essayages il lui fallait s’asseoir, une place sur le banc l’attendait, près de la veste doublée à capuche, de la longue écharpe en laine, le bonnet tiret et large, jusqu’au pantalon aux bas et aux chaussettes qu’ils avaient acheté depuis longtemps. Juicy léchait sa glace, en main une autre chemise à essayer, il décida de sauter sur la première excuse venue pour y mettre fin. La louve de cendre, la main sur les yeux, respira enfin quand ils purent s’en aller. « Vous êtes pas drôles ! » Sur ces mots l’écolière retourna courir dans les couloirs, sans les attendre, alla se confondre aux passants.

Il s’attendait à chaque instant que Luck de même retourne à son travail. Elle avait dû l’oublier ou à peu près, côte-à-côte sans destination le hasard des vitrines et des espaces dirigeaient leurs pas, ils se hasardaient en direction du hall, à une aile de distance, lui ne sachant pas où elle voulait se rendre, elle ne se rendant nulle part.

Alors, peut-être pour obtenir une réaction, il se décida à remonter jusqu’au plus haut étage, s’engagea jusqu’au fond de l’aile, jusqu’au sommet de la chute d’eau. Quand ils en approchèrent seulement la louve sembla se réveiller, l’humidité augmentant hérissa son poil, elle ralentit le pas, retrouva son air sombre. Le besoin de savoir le poussa jusqu’au bout, le crapaud s’accouda à la rambarde, avec un mauvais frisson observa le bassin, bientôt rejoint, ils restèrent là une ou deux minutes. Alors la question tomba, pourquoi elle restait, qui resta sans réponse. Ce silence était celui qu’il connaissait bien, comprenant que rien n’avait changé le crapaud ressentit la même hostilité, il abandonna la vue pour le hall.

Quand ils s’approchèrent de la surface où elle travaillait Luck se sépara de lui aussi simplement qu’elle était restée jusqu’alors, sans un mot ni un regard. À son tour le crapaud la suivit, à plus de distance, dans l’espoir de rencontrer un collègue qui pourrait lui répondre. La hase le trouva au détour d’une allée, l’employée qui l’avait jeté dans le bassin le salua comme un ami de toujours. « Alors, raconte ! » Elle sembla déçue du résultat mais, un doigt sur les lèvres, le remercia d’avoir libéré leur collègue de son travail, même pour un temps, de la trouver trop sérieuse, trop dépendante de sa chambre froide. S’il fallait jeter des gens de cinq étages pour la faire sortir un peu, elle recommencerait.

Pour elle la question ne se posait pas. « Elle te hait. » L’employé au poisson trouvant qu’ils disaient du mal d’elle s’approcha pour la défendre, rappela son bon fond. Ensuite seulement, rassuré, il voulut bien admettre un léger changement. Elle qui ne demandait jamais rien, dernièrement, il essayait de se rappeler, « elle avait demandé quoi, des champignons ? » Ils se séparèrent sur ces mots, chacun de son côté, lui pour une destination qui résolvait toutes les questions en les rendant futiles. Il se demanda ce que faisait Rye, lui envoya un message, à tout hasard, pour avertir qu’il en avait fini avec le magasin.

Son doigt allait appuyer sur la touche d’envoi quand il s’arrêta surpris, il se trouvait alors proche des vitres, la vue sur l’extérieur, sur la rue un peu en surplomb. Depuis ce point éloigné sur le trottoir d’en face, il crut bien reconnaître Rye, son pelage de seigle, sa ligne gracile, ses cornes striées. Il l’avait remarquée d’abord à cause de ses vêtements, seulement la distance le faisait douter. À tout hasard il pressa la touche, observa la silhouette qui continuait sans répondre, à cela il supposa que ce n’était pas elle. Les idées s’embrouillèrent l’atmosphère du magasin lui devint désagréable, accusant son bras Bufo se dépêcha de sortir respirer l’air des rues. Malgré l’arrêt de bus, sous le soleil radieux, les arcs-en-ciel boutonnaient, une longue marche faite de détours hasardeux le ramena jusque dans l’avenue du lien où, épuisé, il retrouva l’appartement.

Ce n’était plus l’atmosphère bruyante, encombrée de la grande surface, retrouver le corridor achevé de quelques portes ouvertes, le silence propre du logement après tous les événements d’une journée restait le même. Son téléphone vibra, il avait reçu un message, l’estomac noué le fil du temps s’était perdu en cours de journée, rien ne le tentait, lui seul avait ce réflexe presque stupide de revenir constamment se cloitrer à l’intérieur. Pearl avait dû sortir également, une fois dans sa chambre Bufo regarda sur son lit la trace sèche de sueur, consulta son message. Dans son dos Rye demanda qui c’était.

Elle était rentrée avant lui faire la sieste, entendant du bruit, avait été surprise. Elle le croyait encore au magasin.

Le message venait de Shell, son camarade après l’avoir retrouvé le premier jour à l’université s’était à présent procuré son numéro personnel. Le ton jovial du texto l’irrita quelque peu, il comprit qu’un certain Pupil voulait le voir, ne sut comment répondre. Rye vit le crapaud se tendre, un véritable agacement, elle lui demanda ce qui n’allait pas. Lui n’aurait pas su dire, beaucoup ou peu de choses, un mauvais goût lui serrait le goitre. Il tapa « non », envoya sa réponse, jeta le téléphone sur le matelas, non sans l’éteindre. Le départ approchait, à chaque jour qui passait son humeur se dégradait, à présent il s’en rendait compte. Comme s’il perdait quelque chose qu’il n’avait pas.

« Dis » s’interrompit Bufo lorsque la question qu’il allait poser, parmi toutes les questions qu’il retenait depuis des jours, toutes les préoccupations qui pesaient sur lui, la sensation de ce monde entre ses doigts qui lui échappait, le faisaient se sentir inutiles, cette question inutile le rejeta à son inaction. Mais Rye insista, elle espérait lui remonter le moral. Alors il demanda : « Tes cornes… elles sont rainées. » Quelques secondes de silence, le visage triste de la gazelle, son museau gracile, son pelage, s’agita d’un rire impossible à étouffer, une franche hilarité face à cette remarque. Même si elle ne répondait pas, même s’il se sentait bête, le crapaud sentit qu’il avait progressé d’un pas.

Elle lui rappela entre deux hoquets de rire qu’il devait toujours rencontrer mademoiselle Nathalie à propos de son départ. La journée l’avait miné, la gérante de l’immeuble pouvait attendre, il se cherchait des excuses quand Pearl s’approcha d’eux. La petite souris s’était glissée sans bruit depuis le palier jusqu’à eux lorsqu’ils avaient abordé ce sujet. « J’y suis déjà allée. » Ils montrèrent de l’incompréhension, aussi la souris expliqua-t-elle son entrevue avec la gérante, mademoiselle Nathalie, qui avait tout arrangé. À ce moment la gazelle pointa du doigt le chao que Pearl tenait entre ses bras.

« Est-ce… ? »

Prise sur le fait l’écolière se dépêcha de cacher Flak dans son dos et nia de la tête, recula d’un pas. Cependant le chao bondit, se mit à tourner autour de Bufo, autour de ses épaules, avec de petits cris. Madame Betty s’était absentée, il s’était trouvé seul, elle n’avait pas pu le laisser errer dans le bâtiment au risque de se faire surprendre. Aussi quelqu’un pouvait lui vouloir du mal, la souris avait voulu le protéger. Elle promit de le ramener une fois leur voisine de retour chez elle, puis repartit par l’escalier. La petite créature dans un petit cri paniqué se mit à la poursuivre, ils l’entendirent dans les escaliers, Rye alla fermer la porte.

La main sur la porte la gazelle hésita, se tourna vers son colocataire. Ils pouvaient encore profiter de la journée, le long des rues, dans un parc, ils pouvaient même pourquoi pas découvrir les alentours de la cité, les vieux bâtiments. Il secoua la tête, tâta pensif son goitre tandis que l’idée prenait corps, l’université devait être ouverte encore, plutôt que de se morfondre il pouvait en apprendre plus sur sa destination. Tout ce qu’ils auraient à faire serait de consulter une base de données d’un demi-million d’ouvrages, de quoi combler les dernières heures de ce jour mais aussi, de quoi raffermir son moral. La gazelle aurait préféré lui faire oublier ces histoires, néanmoins, accepta.

Bientôt le soir vint effilochant le ciel de ses ténèbres, les arcs-en-ciel s’étouffaient, doucement l’activité urbaine se tassa, se concentra en quelques points, les parcs se vidèrent. La clé de Luck tourna dans la serrure, elle découvrit l’appartement vide ou presque. Le seul colocataire présent, Coal, passa sans la voir une assiette froide dans une main, une canette dans l’autre, pour s’enfermer. Elle jeta un œil dans l’une des chambres ensuite, chassant quelque pensée noire la louve au pelage de cendre se mit en devoir de préparer le repas, en même temps de nettoyer le couloir, en même temps de préparer un bain. Dans sa chambre froide, toute la journée, elle avait pesé le pour et le contre d’une baignade.

Là, dans la tiédeur de l’eau stagnante, des masses de bulles teintaient la surface d’un bleuté granuleux, les odeurs du savon l’assoupissaient. Personne n’était rentré, dans l’appartement vide la louve avait oublié sa cuisine en cours, les casseroles bouillonnantes. Elle se laissait prendre dans les rets de sa chevelure sauvage. Un claquement sec revint dans son cœur, l’agita. Elle tira à moitié le rideau de douche, inspecta la salle de bains déserte. L’eau de son bras gouttait sur les catelles. C’était le souvenir d’un coup de feu, malgré la fenêtre fermée, elle était persuadée qu’il y avait eu quelqu’un, ou quelque chose.

___________________________________________________________________________________________

Journal :
Il y a eu un véritable syndrome de la page blanche qui justifie que mon héros se casse le bras. Le coup de feu a permis de reprendre, ensuite, tout est allé tout seul jusqu’en page sept. Plusieurs épisodes sont médiocres, la chute d’eau trop isolée ou les essayages qui ne servent à rien. La rencontre avec Field n’a pas lieu.
Le magasin ne servait qu’à accumuler les scènes loufoques.
J’ai repoussé la réaction de Pearl face au direct, sans doute pour les chapitres douze ou treize. L’apparition de Flak est improvisée, il prend en même temps trop d’importance. À force de tout motiver l’enchaînement frénétique devient profondément ridicule, sinon artificiel, on ne s’arrête plus sur les scènes.
Il me reste encore à motiver une page et demi, normalement par madame Nathalie, et déterminer si Shell envoie un message à Bufo – si oui, à motiver. Surtout, ne pas oublier la transition pour le chapitre suivant.
Ce qui me dérange le plus c’est qu’on ne sent jamais que ce monde est celui de Sonic.
« Dernière édition: Juin 07, 2011, 09:56:04 am par Feurnard »
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #20 le: Avril 11, 2010, 09:20:45 am »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
Épisode cinq, ah oui... Bufo à son premier jour d'études reçoit une affectation en Holoska. Après un épisode de détente au magasin, il est fin prêt.

The Chao's
Theory

Épisode 5 :

Le cercle des trains tournoyait à mesure des appels les roues sifflaient, les premières lueurs des arcs-en-ciel faisaient miroiter en contrebas les fontaines, comme des cascades, l’horizon se couvrait de couleurs, il y avait assez de fraîcheur dans l’air pour donner l’impression de pleuvoir, le matin au crissement des freins aux feux des étincelles emplissait la gare d’un tumulte de vie que le reste de la ville ne connaissait pas.

D’un côté du quai Bufo cherchait sa locomotive parmi les entrelacs de rails, accompagné des deux étudiantes qui se penchaient au-dessus du vide repoussées bien vite par les rafales, et qui riaient. De l’autre côté à quelques pas se tenait Rye, à l’écart. Elle gardait la tête baissée, un peu triste, les bras croisés contre le tissu de son t-shirt. Les petites regardaient tantôt l’un et tantôt l’autre, Bufo qui faisait mine de ne s’apercevoir de rien. Parce que Luck travaillait, ils n’étaient que les quatre.

La loutre fronça le museau : « C’est quand même compliqué les grands ! » Mais le signal s’activa, une courte sonnerie les fit reculer, au loin se détachaient les séries de wagons accrochés en long trait argenté qui filait dans leur direction.

Une dernière fois elles contrôlèrent que leur compagnon avait sur lui toutes ses affaires, son ordinateur et son portable, les deux sacs remplis de livres et des vêtements chauds, Juicy l’ouvrit pour y fouiner, elle se méfiait. Tandis qu’ils passaient les bagages en revue le train approchait, une voix les héla depuis le quai voisin, le professeur Field allait à leur rencontre. Il était assez près pour leur parler mais l’arrivée du train couvrit sa voix, aussi se serrèrent-ils les mains en attendant l’arrêt complet. Quand ce fut fait, heureux de s’entendre à nouveau et de rencontrer les amis de son nouvel assistant, Field leur fit remarquer qu’ils s’étaient trompés de voie, qu’ils les avaient attendu à côté.

Sa politesse presque maniérée et son calme frappèrent Bufo, cette assurance du professeur à présent que tout avait été décidé. Rye était revenue vers eux, Field eut avec elle le geste d’un prince un peu ridicule, il y tenait, il relâcha sa main d’entre sa patte noire. Cependant les petites couraient déjà au quai adjacent, les hélait pour qu’ils les rejoignent. Ils suivaient d’un pas peu pressé, ils parlaient l’air détaché, des études et de l’actualité. Devant la porte ouverte sur le marchepied, le crapaud n’avait plus qu’un pas à faire pour les quitter, il repoussait encore cet instant. Quelques minutes le séparaient toujours du départ.

Malgré la discussion animée son regard s’égara en direction de la ville, des bâtiments grisés et somnolents qui dans l’épaisseur matinale s’évaporait, il avait la désagréable sensation de la voir s’évaporer, de ne plus rien sentir sous ses pieds, il l’attribua à sa nuit blanche. Field rassurait encore les petites et leur expliquait ce qu’était l’autel de chair, montrait parfois ses crocs de panthère pour les effrayer et les faire rire. Puis discrètement le professeur se pencha à l’oreille de Bufo et lui demanda ce qu’il avait fait à la gazelle. Rye s’était à nouveau écartée, elle évitait la conversation. « Je ne sais pas » avoua-t-il. Enfin la loutre le poussait dans la voiture, la porte se refermait, le train partait déjà.

Il se plaqua à une fenêtre à temps pour voir le quai disparaître et sur le quai les minuscules silhouettes qu’il avait pu deviner, déjà la courbe faisait apparaître puis disparaître des quartiers de la ville, une secousse légère le fit s’asseoir, les dernières façades blanches avaient disparu. Seulement à cet instant quand ce fut trop tard il murmura entre ses lèvres : « Au revoir. » Les secondes s’accumulaient mêlées à la vitesse la fatigue le gagnait, il cala sa tête contre le dossier, gonfla son goitre, ferma les paupières. Une dernière fois quelques images filtrèrent de filets d’arbres et de forêts, il cherchait dans le rêve à revenir en arrière.

Tout le monde s’occupait dans le train alors qu’au passage des pylônes la voiture tremblait sur leurs sièges ils regardaient leurs écrans et laissaient planer au-dessus d’eux tout ce flot de paroles un peu vague, les bagages entassaient pesaient, l’aération mimait un ronflement malingre. Certains cherchaient leur place même plusieurs minutes après le départ ils passaient entre les rangées, s’excusaient, les enfants ne tenaient pas en place. Les corps bougeaient fébriles entre le voile de ses paupières, il se frotta l’œil, entre les paroles indistinctes dormait la frénésie de vivre de chacun.

Presque au milieu de la voiture un sac remuait qui intrigua l’étudiant. Au siège voisin un jeune criquet trop sérieux pour son âge, solide et l’air soucieux, lui renvoya son regard. Ils n’eurent pas le temps de s’en rendre compte, le sac déjà s’ouvrait, une tête bleue en surgit et joyeux de ce peu de liberté gagnée un chao se mit à tourner en cercles dans le passage. Les réactions de surprise laissaient place à l’amusement, à l’embarras du criquet, les enfants voulaient attraper le chao trop espiègle.

Depuis sa fenêtre il les regardait faire sans bien comprendre, amusé un peu par la scène. Il entendait les « chao, chao » et la créature bleue se défiler, la petite boule cuivrée flotter dans les airs comme une bille de balance, ce petit corps en goutte d’eau animer tous les visages d’émotions diverses. Son compagnon la casquette en arrière se penchait par-dessus le siège, agitait les bras pour le faire revenir en vain, risquait s’étaler par terre. Au cours de quelques secondes, une poignée, une dizaine, les sentiments de tous se cristallisèrent dans ce petit ballet improvisé.

Le chao insouciant remarqua ce crapaud près de sa fenêtre, eut l’envie de le rejoindre et de lui tourner autour jusqu’à l’étourdir. Et le criquet de le rappeler, sans oser se lever, l’air éperdu épiant la porte du fond qui s’ouvrit. Trois agents bondirent dans leurs uniformes et armés, dans leur foulée bousculèrent les passagers encore debout, se frayèrent un chemin vers l’autre côté. Leur arrivée provoqua un choc, chacun de s’agiter à sa place et de se tendre alors qu’ils se saisissaient du jeune voyageur, le plaquèrent au sol et malgré qu’il se débatte, malgré ses cris, lui dictèrent ses droits. C’était un combattant de la liberté.

Il avait capturé ce chao, à présent lui criait de s’enfuir et celui-ci paniqué voletait en tous sens sans savoir quoi faire, tout près de Bufo, si près qu’il n’aurait eu qu’à tendre le bras pour le saisir. Il n’en fit rien, quand le chao s’échappa à l’approche des uniformes il préféra ne pas bouger mais sur la défensive, ne se mêler de rien. Le combattant menotté, retenu par l’épaule, passa également à côté de lui, jeta sur l’étudiant un regard qui lui pesa beaucoup. En moins d’une minute le wagon avait retrouvé son calme, à part la place vide, puis bientôt occupée, et les conversations qui duraient il ne restait rien de l’incident.

Quand il eut à nouveau calé sa tête pour éviter de regarder le couloir vide, à se demander comment cela se terminait, la tension retombée depuis longtemps, ses muscles se détendirent, la somnolence revint l’engourdir sourdement. Aussi les conversations avaient changé de nouveau pour se faire indistinctes. Si son esprit reposait pour autant ce n’était pas le sommeil, le paysage défilait vide, trop rapide pour le détail, seul l’horizon assez lentement gardait quelque relief de montagne pour repère.

Ensuite les vitres passèrent du fond végétal à l’immensité d’un bleu pur, ils venaient de s’engager au-dessus de l’océan, derrière eux le continent disparaissait, le temps qu’il s’en rende compte le train passait parmi les voies de poutrelles, le grésillement soutenu venait des vieux rails que les plus grandes vagues atteignaient parfois. Une ou deux heures avaient dû s’écouler, peut-être, il n’avait plus la moindre notion du temps. L’atmosphère du wagon avait complètement changé pour plus de pesanteur, sous l’effet durable du voyage.

Un soleil incroyable illuminait les flots pleins d’embruns, l’étendue d’eau interminable plus merveilleuse que dans les rêves berçait dans ses profondeurs cette palette de couleur limpide. Des sillons de lumière plus vifs éblouissaient tandis que le ciel tacheté de nuages mimait la même sereine vague ou l’onde légère. Des ombres fugitives laissaient figurer les bancs de poissons, de dauphins, les navires isolés et les baleines qui gonflaient la surface puis se penchaient pour plonger. De tout cela il ne voyait que le trait fin qui séparait la terre du ciel, qui se perdait parfois. Il ne saisissait rien du reste.

Soudain une petite fille cria à bord, de son côté elle avait vu, lui réveillé en sursaut tendit l’oreille, elle avait vu passer le héros mondial. Chez tous le cœur bondit, tous de ce précipiter de ce côté, de chercher quelque trace, un sillage, n’importe quoi, de se rejeter de l’autre côté pour ne pas laisser s’échapper cette chance, ils couraient, se bousculaient, il suivait le mouvement pris par la même excitation irrésistible, se laissait entraîner. Leurs yeux rivés aux vitres les secondes s’effaçaient déjà, certains d’affirmer qu’ils l’avaient vu aussi, les autres de nier, dans la même fascination tous regagnaient leurs places.

Rien ne changeait ni les attitudes ni les paroles seulement la torpeur des passagers à mesure que le temps passait, plus aucun ne songeait à ces incidents, sans influence, sans portée sur leur vie quotidienne ils avaient beau les retenir à chaque fois entre leurs pattes ces instants filaient pour ne plus revenir. Entre les siennes il avait son portable, dans la poche le téléphone l’envie d’appeler l’appartement, de donner des nouvelles, pour rien, pour se donner de l’assurance ou dans le mouvement d’une habitude incontrôlée.

Le temps lui avait une fois encore échappé, les glaces dérivaient brutalement tout devint blanc, ils défilaient devant les glaciers et les congères brisées, à nouveau sur le continent, aussi loin que leurs yeux pouvaient porter tout était glacial. Ils étaient en vérité dans les îles, parmi les blocs dérivants à la frontière de deux mondes. Pleinement réveillé désormais l’étudiant compta les minutes qui restaient, si nombreuses alors que lui venait le mal de voyage, enfin le train se mit à ralentir, l’annonce passa avec les horaires et aux sièges chacun de se lever, de se tenir aux poignées pour le débarquement.

Il découvrait la bordure tiède, une fraction seulement qui constituait la gare bien plus petite qu’en cité, autour des maisonnées toutes neuves fumaient leurs cheminées, l’ambiance enchantait mêlée d’un fin manteau de neige. Enchanté par les flocons il faillit oublier sa correspondance, le contrôleur vint le chercher en riant pour le faire embarquer et d’en rire encore un peu avant le départ. Il montrait son billet mais l’ongulé était déjà retourné à sa cabine, le même rire insistant avec lui.

Sa déception fut grande une fois arrivé aux grottes de cristal, de constater que malgré le froid mordant il n’aurait pas besoin de ses vêtements d’hiver. Ceux-ci lui encombraient le bras. La gare encore plus modeste ne comptait que trois voies, à peine étendues par des quais de rondins elles se perdaient ensuite dans les menées. Il se frappa les bras, s’amusa à voir l’haleine prendre corps, un vieux cadrant sur le toit des bâtiments sonna quelque heure avancée. C’était le décompte du nord où tout allait plus lentement.

Une taupe au-delà de la vingtaine, sans lunettes mais l’air farouche une écharpe roulée au cou s’approcha de lui dès qu’il avait posé le pied à terre. « T’en as mis le temps ! » Ninja lapida sa présentation, lui arracha ses sacs et le tira par le bras vers le motoneige, sans se soucier des balbutiements qu’il essayait d’aligner. Quand enfin son refus prit forme elle poussa un soupir d’exaspération et l’air de le gifler lui rappela qu’il faisait froid et qu’ils avaient encore plusieurs heures de voyage devant eux.

Cependant il parvint à négocier quelques minutes pour envoyer un message chez lui, près des tables recouvertes tous deux aménagèrent un coin, la taupe retournait déjà entasser les bagages à l’arrière tandis qu’il allumait son ordinateur. L’appartement lui avait déjà envoyé un mot, une sorte d’encouragement, il ne songea pas à regarder qui l’avait envoyé. Sa réponse envoyée il lui fallait tout retirer à la hâte, se jeter sur le siège arrière, elle lui ordonnait de bien la tenir pour ne pas tomber, ils partaient dans la désolation glacée.

À des kilomètres, jusqu’aux montagnes, dans toute la plaine aux bordures de la glace et derrière eux au souvenir de la gare déjà effacée, où qu’il regardait la civilisation avait fait place à l’infini du froid. Ils passaient par des sentiers invisibles, presque sans repères, le vent tombé leur visibilité n’avait pas de limites, mais au loin la crête des sommets aux neiges éternelles. « Dis, » demanda Bufo presque par besoin viscéral de remplir ce vide.

Elle occupée à la conduite grogna une sorte de réponse. Petite et tassée, il avait pu voir l’une de ses deux dents ébréchées, elle portait les gants courts et cloutés, des bottes militaires sans doute des surplus ou d’un magasin spécialisé, et parfaitement cirées. Sa bouche avait été faite pour chiquer, son corps, pour prendre des coups. Derrière tout cela se cachait une doctorante, étudiante comme lui, seulement avec une décennie d’avance. Il savait quelle question il voulait poser, ce qui le préoccupait, en même temps n’était pas sûr de le vouloir, le besoin mêlé de confiance l’y avait déjà poussé.

« J’ai cette amie, » il n’était pas sûr de savoir si Rye se considérait son amie, à défaut d’autre chose, ils ne se connaissaient presque pas. « Elle a l’air de m’en vouloir et je ne sais pas pourquoi. » Avant que, sans savoir quoi ajouter, il lui demande ce qu’elle en pensait, la taupe agrippa les freins, en quelques instants ils s’étaient immobilisés.

« Tu parles pas de moi là ? » Comme en air de menace. Il paniqua, essaya de la calmer et elle se retournant faillit hurler : « Comment ça bien sûr que non ?! » Elle déchargea sur lui une colère surgie de nulle part, plus subitement qu’une tempête, qu’il encaissa sans trembler, toujours empêtré dans ses excuses. L’énervement le gagnait, il le savait, ces jambes qui flageolaient, bientôt de répliquer, aussitôt elle changea de ton, redémarra et lui comme honteux, incapable de rien y comprendre se laissa emporter.

Voilà peut-être ce qu’elle lui avait reproché.

Les montagnes se rapprochaient, ils longeaient à présent le lac gelé, « Coal Lake » s’amusait à dire Ninja en référence à l’autel de charbon. Celui-ci se dégageait de la masse des sommets, pic à l’écart bordant un défilé et qui dégageait par ses interstices une vapeur tiède. Ce mont-là devant les autres, au pied du lac, se couvrait de ce voile brumeux que le froid rapidement dissipait. Cela donnait comme des centaines de cheminées d’une ville souterraine. Le motoneige s’engagea sur une coulée qui venait de la voie d’altitude et la rejoignait, aménagée de sentiers, de sorte qu’ils serpentaient sur le flanc de montagne plutôt que de contourner. Arrivés en haut Bufo les yeux fermés ne voulait pas songer à l’altitude.

Ils arrivaient enfin quand le soleil se préparait à se coucher, une vaste faille servait d’entrée à même le chemin si large qu’un camion aurait pu y passer. Une fois parqués Ninja prit la tête, tira une lampe et ils s’enfoncèrent dans les vieilles grottes ruisselantes, pleines de cette vapeur, d’effondrement en effondrement. La nature, aidée par l’activité des jets de vapeur, avait causé ces ouvertures qui avaient permis de redécouvrir l’autel. Celui-ci, souterrain, devait simplement mesurer toute la montagne.

Malgré l’air tiède, si humide qu’il rendait la respiration haletante, les murs se couvraient encore de plaques verglacées, de stries et de stalagmites, de blocs en pleine fonte. Devant eux s’ouvrit un encadrement artificiel, parfaitement taillé dans la pierre, par lequel ils passèrent pour rejoindre un large couloir. Le froid redevint mordant, plus vif encore qu’ils étaient couverts de gouttelettes. Devant eux il reconnut la gravure qui l’avait amené jusqu’ici, le plan fait de traits alignés en strates et qu’il ne comprenait pas encore.

Pris dans la glace le couloir restait assez large pour que chacun puisse marcher de son côté. Les torches éteintes, la lampe suffisait par ses reflets sur la glace pour les éclairer. Des sillons profonds dans le sol avaient dû avoir une fonction antérieure, désormais il s’y prenait les pieds. Ils ne cessaient de tourner dans le même sens, en une longue courbe qui devait former à terme un cercle. Des portes scellées par des surfaces de pierre se dévoilaient ici ou là, comme ils avançaient. Ils approchaient de la salle où l’équipe avait établi ses quartiers.

Quelques morses les saluèrent arrivés là, des habitants de la région du clan Tewac que Ninja présenta en quelques mots avant de jeter les sacs dans un coin, alors que Bufo passait son temps à serrer des nageoires. Leur accent avait quelque chose de rafraichissant, ils n’essayaient pas de le camoufler mais appuyaient dessus pleins de bonne humeur et de sourires. Ce lieu avait quelque chose de sacré et d’interdit pour eux, aussi prenaient-ils un certain plaisir à l’expédition. Pendant qu’ils parlaient la cheffe du projet avec son tic de mordiller son stylo passait l’entrée, constatait le nouveau venu.
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #21 le: Avril 19, 2010, 08:42:53 am »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
Ce serait dommage de laisser cette fic' inachevée...

****

Boulders n’était pas son surnom, les travailleurs l’appelaient Hazy mais il se garda bien de faire de même. Elle le supervisa de la tête aux pieds, rétracta la mine d’un coup de pouce, lui demanda s’il était prêt à se mettre au travail. Il sentit dans cette question un tel poids de sous-entendus que l’exaspération distillée telle des pointes de venin le contamina. Professeure depuis plusieurs années, encore en quête de faire ses preuves, elle prenait assez mal de devoir s’embarrasser d’un premier année sans la moindre connaissance. Bufo l’avait compris. Ce n’était ni contre lui ni contre Field mais une sorte de jalousie à l’encontre de Spagonia, laquelle profitait de toutes les ressources.

La souris avait ce second défaut d’aimer la perfection. Elle était de celles qui avaient accumulé plusieurs travails et qui passaient des nuits blanches à étudier, de celles qui ne comprenaient pas quand s’arrêter, y compris quand il s’agissait de parler. Avec cela sèche, le col des gants sans pli elle ajoutait à ses gestes quelque côté calculé et raide où transparaissait une vie de sacrifices pour autant de fausses passions. Son pelage chemisé de lectrice dans le froid de la pièce la rendait distante.

Son arrivée coïncidait avec le repas du soir tant le soir tombait vite dans le nord, ceux de l’expédition s’étaient retrouvés dans cette pièce en vue de manger la soupe, le repas frugal des chercheurs, épicé par leur bonne humeur. Avant que les tables ne soient montées, les bols en distribution, la cheffe Boulders donnait ses instructions au nouveau venu, lui faisait savoir tout ce qu’il aurait à faire pour leur servir d’ici la fin de la semaine. C’était plus de livres à lire qu’il n’en aurait en un an, peut-être même durant toutes ses études. Le crapaud se sentait tourner la tête, n’en montra rien, par habitude. Ils s’installaient enfin. Devant la soupe déjà tiède Bufo se demanda ce qu’ils mangeraient, à l’appartement.

Bouchée à la reine et salade complète, papillotes de cabillaud aux fines herbes, petits farcis, rissole, rissolée de pommes de terre enfin sablés d’abricots, gratin de fruits rouges, servis dans leurs plats séparés près des sauces, du panier de pain, entre les cinq assiettes. La dernière à s’asseoir la louve ne dit mot, plus songeuse qu’à l’habitude, un geste de son cou chassa la chevelure sauvage qui s’y perdait. Les discussions allaient bon train, toutes de discuter leur journée, l’actualité aussi, l’actualité surtout. La louve écoutait d’une oreille distraite, sans participer, quand tout le monde s’était servi son assiette à elle était demeurée vide.

Sa voisine discrètement lui glissa : « Arrête de te morfondre. » Ces quelques mots valaient entre elles tout un discours. Les jours s’étaient écoulés depuis le départ du sixième occupant, leur vie à toutes avait repris leur cours, Coal ne comptait pas : il ne savait pas vivre. Chacune retrouvait ses préoccupations d’autant plus intensément qu’elles en avaient été un bref instant distraites, ces journées à nouveau remplies de tout ce qui leur était coutumier leur faisait à peine penser, le soir, quand la table était dressée, à l’absence du dernier locataire. Elles en parlaient, parfois, brièvement, comme d’une anecdote.

La lune pesait sur elles par la fenêtre, si tardivement elle les plongeait dans le cru de la lumière artificielle, dans la nuit déjà avancée la cité se couvrait d’éclats étoilés. Très loin comme un point noir au fond des immeubles se détachait la gare ainsi que les courbes frémissantes des rails qui se perdaient, puis le silence de la nuit venait tout recouvrir, des façades blanches de la cité dans la pénombre il n’en restait plus que le souvenir. Son assiette presque vide, arrêtée en pleine action la souris laissait battre ses pieds sous la table, inconsciente, elle guignait par la fenêtre cette montée lunaire, les vastes rais jetés sur les bâtiments, leur déplacement aux milliers d’ombres d’où surgissait une vie nouvelle.

« C’est vrai que les chao disparaissent ? »

De l’autre côté de la table, assise sur le banc Rye cessa tout geste, plus sombre, elle y songea une seconde. Le souci sur son visage de gazelle lui allait mal, aussi bien que si elle avait pris des rides, aussitôt un petit sourire naissait pour effacer la tristesse, un sourire timide qui suffisait à la faire rayonner. Elle avait été émue par les nouvelles, elle aussi, à propos des enlèvements, elle laissa transparaître quelque vive émotion que sa douceur tempérait. La petite souris, comme confortée, de changer de sujet.

Quand elle eut épongé son assiette la première la louve quitta sa chaise, toujours songeuse, elle emporta son service près du lave-vaisselle. Tout de suite après Coal suivait, ensuite le reste de la table, une par une elles achevèrent le repas, la hâte du sommeil ou du temps libre les titillait mais aussi, pour les petites, le dessert. Dans le réfrigérateur ouvert sa patte entre les glaçons, elle songeait encore, elle pouvait toucher du doigt le paquet de champignons. Luck pesta contre elle-même, se reprit, d’un geste claqua la porte.

Minuit quelque part sonnait, pas dans la ville mais plus loin, aux abords des pentes, dans quelque vieux clocher de Lagonia. Le plafond blanc la journée la nuit venue se couvrait de fissures et d’écailles de peinture en un monde comme chaotique, plein de visages divers selon les jeux d’ombres dans l’obscurité. Elle ne parvenait pas à dormir, fermait les yeux, les rouvrait, perdue dans la distance quand quelques coups à la porte la réveillèrent. Luck grogna, une fois levée ouvrait à la petite souris vêtue pour la nuit. Pearl s’était relevée poussée par la passion des cœurs jeunes qui veulent changer le monde.

Elle voulait se faire raconter une fois encore ce qu’était l’autel de charbon, pour savoir, pour se sentir un peu moins inutile, parce qu’elle y sentait quelque importance qu’elle ne savait pas formuler. « S’il te plait, Luck. » La fatigue lui peignait une robe plus belle qu’en journée. La louve soupira.

Au balcon de la cuisine, devant la cité tout à fait calme toutes deux de répéter l’histoire. À l’âge où les clans du nord s’affrontaient leurs armées avaient bâti une forteresse pour garder le passage des montagnes. Ce fort à même la pierre, sans cesse renforcé, prospéra jusqu’à former un village, en même temps qu’y prospérait le culte du dieu guerrier. À la fin de la guerre le culte fit de ce lieu un autel et la légende prit le pas sur l’histoire. Il y eut des rumeurs de sacrifices, de crimes commis et les tribus alentours décidèrent d’y mettre fin en scellant toutes les entrées. Ensuite l’autel fut oublié.

Sans un éboulement naturel ce souvenir serait resté enfoui dans la montagne. Les anciens de la tribu Tewac avaient expliqué ce lieu aux chercheurs, que les pièces étaient des rouages pour les rouages de la guerre, que ces rouages entre eux et isolés étaient contrôlés par des chaînes, au sommet de la forteresse, tout comme la guerre enchaînait les soldats et les chefs. Enfin, au centre de ce qui avait constitué le village, en profondeur sous l’ancienne forteresse se trouvait la fournaise, de gigantesques fourneaux pour alimenter les mécanismes, qui avaient fini par geler, dont la signification pour le culte n’avait pas même à être dite. Il restait un lieu inconnu, au plus profond de l’autel de chair, qui devait être un lac artificiel relié au lac extérieur, en cas de siège, seulement les sources à son sujet demeuraient vagues.

L’étudiant se laissa glisser en arrière, désorienté par toute cette lecture. Les notes techniques, les gloses, les détails et graphiques se succédaient sans relâche sur des centaines de pages, toutes les notes de l’expédition depuis son départ. À côté les ouvrages de langue côtoyaient les méthodes de fouille, les dictionnaires se mêlaient aux travaux sociaux, aux recueils d’histoire qui constituaient une partie de ce qu’il devait assimiler. À chaque fois que la cheffe Boulders passait, le museau levé, le pas sec, elle le voyait plongé dans ce travail préparatoire, un petit air exaspéré brillait dans ses yeux avant qu’elle ne se détourne.

Tout ne lui était pas hostile, bien au contraire, les lieux glaciaux étaient aussi enchanteurs, lors de ses pauses il visitait encore et encore les mêmes lieux, souvent montait jusqu’à la salle des chaînes pour s’y reposer, mieux là-bas que partout ailleurs, avant de retourner à ses leçons. Aussi les travailleurs, les morses fiers, le trouvaient bon compagnon, seulement trop introverti, ils se donnaient pour tâche de le rendre jovial, sans grand espoir. Ils l’auraient appelé penseur si son surnom, épelé plusieurs fois, ne les avait pas convaincus.

Par-dessus tout il attendait, impatiemment, le jour où Ninja retournerait au village, de l’autre côté de la plaine, entre autres pour le matériel. Il l’accompagnait toujours, retrouvait là-bas son portable, son seul contact avec la cité. Pendant un peu plus d’une heure l’étudiant se donnait l’impression de se trouver chez lui à nouveau. Ces derniers temps les messages se raréfiaient. Tout le monde se fatiguait de l’éloignement. Lui aussi. Il ne se souvenait plus du visage de Rye, juste de son trait gracile, de son pelage de seigle, de sa chevelure. Après quoi Ninja venait toujours le déranger pour partir.

Encore une fois la taupe avait réussi à se glisser jusqu’à lui sans se faire entendre, tant il s’absorbait dans sa lecture. La main sur son épaule elle le secoua, lui fit signe de se préparer. « Bouge-toi, on y va. » La météo s’annonçait mauvaise, ils n’auraient pas dû partir avant le lendemain. Malgré tout l’étudiant se laissa entraîner jusqu’à l’entrée où reposait le motoneige. Un sac à l’épaule, l’enfourchant déjà elle s’impatientait, lui répéta comme chaque fois de bien se tenir, démarra assez brutalement pour faire voler la neige.

Moins d’une heure après ils progressaient dans les rafales, engoncés contre les sièges, elle lui criait qu’ils n’étaient pas perdus, il cherchait vainement à voir plus loin qu’à quelques mètres. Les giboulées les aveuglaient, le gonflement énorme de la tempête l’étourdissait. Le froid surtout, cette fois, lui transperçait la chair. Pour autant leur allure ne faiblissait pas, ils mordaient la piste vivement les phares n’éclairant que ce que les chenilles aussitôt mordaient le véhicule s’enfonçait à l’aveugle dans le désert.

Elle lui hurla pour être entendue : « On arrive ! » Dans la distance deux ou trois ombres d’abord effilochées puis plus grandes, enfin distinctes, préfigurèrent les maisons. À peine parqués elle le jeta à l’intérieur par une porte de verre trop moderne, le suivit de près. Au hurlement de la tempête succéda le hurlement des enceintes. Le spectacle des rafales laissa place au spectacle des lumières, les projecteurs affolés jetaient des rais violents sur la piste de dance. Il vit les gens, la foule, ce qui se faisait, l’étudiant baissa la tête, le regard à ses pieds, se laissa bousculer jusqu’à une table. Ninja commanda pour lui.

Dès qu’ils furent servis, elle s’éclipsa. La taupe s’était laissée entraîner par la musique, bientôt mêlée à la foule il n’arriva plus à la distinguer parmi tous ces visages fêtards, ses corps amalgamés qui tremblaient au tempo, entraînés, à la voix du meneur endiablé. Les jeunes passaient très près de lui, le bousculaient un peu, il s’isolait gêné le verre en main tant sa présence lui semblait incongrue. Il savait, pourtant, que de tels lieux existaient, qu’ils existaient aussi dans le nord mais de le vivre, cela le dérangeait.

Les odeurs étaient celles des boissons distillées dans l’air, de la sueur, des parfums forts dans une lutte de domination. La musique dominait tout assourdissante, un rythme chargé de vie inspiré il le savait des actes héroïques passés et présents, qui animaient tous ces cœurs comme les passions secrètes, avec leurs significations. La lumière si vive faisait des danseurs une masse d’ombres, les visages, les membres, dans le soubassement de la pièce la frénésie de la danse s’emparait des occupants, enfin, il y avait celles qui s’avançaient.

Ce n’était pas ce qu’il avait l’habitude de boire, aussi n’avait-il pas touché à son verre. Agrippé contre il observait tout cela de façon la plus détachée possible, il rejetait les mouvements de ses jambes attirés par toute cette vie frémissante, par tous les pas en cadence entremêlés et ces mouvements fous qui se répondaient, son cœur battait au même rythme à présent, tandis que sa raison combattait pour ne pas se laisser prendre. La confusion grandissante le forçait à se rétracter toujours plus dans son siège.

Bientôt la taupe reparut encore vibrante des danses qu’elle avait dû mener, un peu de sueur au front, l’air dégagé et franche, elle vida son verre d’un coup avant de le fustiger. Avant tout de lui faire vider son verre, puisqu’elle le lui avait payé, puis elle le jeta sur la piste de danse où il se retrouva désemparé. Entendre rire Ninja lui était plus désagréable que ses sarcasmes. Bufo brisa l’attroupement, se retira du côté du comptoir pour y souffler. Elle l’y retrouva, dès le départ lui signifia que la tempête seule les attendait dehors.

« Faut que t’apprennes à t’amuser. »

Comme il se défendait encore Ninja l’obligea à s’asseoir puis l’air sérieux, brutalement débarrassé de tous ses airs de fête, elle lui rappela la question qu’à son arrivée un étudiant sur le motoneige lui avait posée. La taupe prit encore le temps de lui dire qu’il fallait profiter du moment présent avant de retourner, entraînée par la musique, dans les rangs déchaînés. Un renflement de la musique, du pas de la foule le laissa le ventre vide, incapable de réaction, aussi brutalement écarté de ce monde qu’il y avait été invité, juste, même s’il l’avait voulu, trop distant de cette réalité sauvage où mouraient les inhibitions.

Quand le sommeil eut fini de l’assommer il se rendit compte qu’ils étaient à nouveau en route pour l’autel de charbon, quelque mémoire lui revint de la soirée, dans la nuit d’avoir rejoint la gare, de l’absence de message sur son ordinateur. La même pensée lui revenait, en boucle, qu’il aurait fini par danser quand même. Mains aux poignées Ninja le traitait de bénitier, jurait qu’elle ne l’emmènerait plus jamais en soirée. Il faisait nuit alors tout à fait. Dans l’obscurité les phares ne découpaient rien, ils roulaient à nouveau en aveugle sans que cette fois l’étudiant ne s’en formalise. Le moteur en ronronnant le berçait.

Ils approchaient du bord du lac, à peu de distance des montagnes quand le crapaud se redressa et le goitre gonflé, les yeux grands ouverts il tapa avec la paume sur le dos de Ninja pour qu’elle s’arrête. « Dis-moi que je rêve. » Une musique, plutôt une très légère vibration dans la distance, venait du côté du lac, des glaces figées dans les ténèbres. Là, à la surface verglacée que les vents tourmentaient naissait comme une lumière, un halo, la pénombre s’ouvrait sur quelque teinte un peu bleutée laquelle grimpait dans le ciel, d’abord très faible, le reflet naissant leur apparaissait en une aube irréelle.

Elle coupa le moteur, parce qu’il insistait, sans rien voir elle-même puis après presque une minute à supporter le froid, calmée quelque peu, Ninja à son tour contemplait le phénomène. Sa première réaction fut de l’attribuer aux aurores boréales. Seulement à mesure que la lumière gagnait d’ampleur, et lorsque cette mélodie soufflée à même le vent lui parvint, celle qui devait être une doctorante et une scientifique ne sut pas quoi dire, obligée elle quitta le motoneige, en réflexe braqua ses jumelles sans rien trouver que des silhouettes vagues, une foule de ténèbres en mouvement.

Tout le lac à présent vivait de la même intensité, jusqu’aux bords où la glace venait se jeter dans les renflements de neige, au découpage ancestral du rivage brillait la même lueur d’un bleu transparent, flamme froide dans un univers frigorifié, le même chant distinct, poignant pour tous deux qui l’écoutaient, ils ne parvenaient pas à y croire spectateurs de cette fête nocturne en quelque honneur secret. Surtout Bufo reconnaissait cette scène, parfaitement, il se souvenait de la cité et de ce chœur qui l’avait tant surpris, la nuit où il avait cru rêver, il la revivait à présent, il s’agrippait à son témoin.

Dans l’instant Ninja récupérait un appareil, le braquait en place des jumelles et faisait tourner le film, enregistrait tout ce qu’elle pouvait de cette scène. Son excitation, qui n’avait rien de scientifique, était palpable. Il la sentait telle une guerrière prête à frapper, tendue au moment de l’action, concentrée sur sa tâche, consciencieuse pour ne pas se laisser emporter. Soudain Bufo sursauta, parce qu’il avait deviné que le phénomène allait disparaître, les lueurs moururent, la musique cessa. Le lac redevint inerte.

« Tu n’as rien vu » lança la taupe en reprenant les commandes du motoneige.

Ils repartaient sans plus mot dire, malgré leurs envies respectives d’en parler qui transpiraient de leur silence, du fait du lourd secret qui pesait à présent. Pour lui la fatigue ne le frappait plus, une impression s’était ancrée en lui il n’aurait su dire quand, les possibilités entrevues le chargeaient d’une émulation qu’il n’avait jamais connue encore. En même temps il couchait sa tête dans le dos de la taupe, avec assurance, elle le laissa faire. La fatigue devait lui servir d’excuse. Tout ce qui s’était passé avait eu plus d’impact qu’il n’aurait pu le dire.

Comme aucun bruit ne montait des escaliers la souris se glissa sur le palier, par petits sauts silencieux presque collée contre le mur elle alla ouvrir la porte voisine, dans un murmure : « Flak… Flak… » Le chao parut dans l’entrebâillement, aussitôt de lui tomber entre les mains en riant, elle lui mit un doigt sur la bouche, ouvrit son sac où il se glissa. Alors tous deux descendirent les marches, furtifs, s’éloignèrent dans les rues de la cité.

___________________________________________________________________________________________

Journal :
Écrit après coup.
J’ai mis trois heures à trouver le début de la phrase de départ, à la relecture c’est imbuvable mais impossible de changer. Le déclencheur a été de placer Bufo et Rye des deux côtés du quai, comme s’ils s’étaient disputés.
Écriture d’un jet jusqu’à ce qu’il s’asseye dans le train : tout avait déjà été planifié longtemps dans ma tête. J’avais choisi de motiver le voyage par deux événements, il m’a fallu réécrire la scène du chao et je me rends compte que les deux font trop remplissage, pas assez de cohésion avec le récit.
Je m’étais arrêté une seconde fois page cinq après que Bufo ait visité la salle des chaînes. Effacé, j’ai repris de la rencontre avec Hazy et intégré la boîte de nuit à ce chapitre pour plus de cohérence. Le lac a remplacé la scène de musique dans la salle des chaînes pour un bien meilleur résultat. Le paragraphe de conclusion avec Pearl était prévu pour le chapitre six.
La motivation des passages, au niveau des paragraphes, est ma plus grande difficulté.
J’ai oublié d’ajouter que la boîte de nuit a été très décevante, loin de l’effet « bestial ».
« Dernière édition: Juin 07, 2011, 09:56:42 am par Feurnard »
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #22 le: Avril 21, 2010, 09:24:02 pm »
  • Chaos Control Ruler
  • Beta Testers
  • Hors ligne Hors ligne
  • Messages: 1952
  • Waifu officielle de PSo
Je viens de lire tout ça, et je n'ai remarqué qu'une petites choses :

Citation
Shell lui donna un coup d’épaule, désignant le professeur : « Vise l’assistant ! » Sans conscience de son erreur avisa une place libre, toutes lui convenaient, ils se retrouvèrent au second rang sans personne devant eux, à attendre que le cours commence.
Ces phrases me gènent dans le fait que avisa se retrouve sans sujet, alors qu'il y a une majuscule à "Sans"...

A pars ça, c'est toujours aussi fluide et agréables à lire... Désolé pour la pauvreté du commentaire, mais j'ai vraiment pas grand chose à dire...
Journalisée
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #23 le: Avril 25, 2010, 02:46:57 pm »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
Yup, un "il" ici est nécessaire. D'autres phrases doivent être aussi torturées. Je corrigerai celle-ci si j'y pense.

Bufo étudiant classique participe à un projet de recherche dans un ancien temple, et voilà.

The Chao's
Theory

Episode 6 :

Quelques jours durant le mauvais temps gâta les couleurs du ciel, un début de brume persistait au matin avant de fondre, dans la tiédeur l’humidité faisait frissonner les corps, enfin la masse des nuées dessina sur les façades blanches une sorte d’hiver prématuré, promis à disparaître avant que ne sonne la première heure de cours. De la gare neuve à la vieille ville, du plateau aux pentes, à la périphérie, la même tranquillité quotidienne cachait ce bouillonnement des trains partis presque à vide pour revenir bondés, les rues en vacarme autour des bassins et des fontaines mêlaient les rêves et les passions, la jeunesse l’emporta, avec l’approche de la rentrée aucun quartier qui ne se sentit une envie renouvelée d’agir.

Soit par anticipation des rencontres nouvelles, des retrouvailles et de la foule de découvertes, soit par crainte de laisser les derniers jours s’échapper, comme approchait l’échéance l’esprit devenait fébrile. Un ciel de nuages ne pouvait pas étouffer cette émotion, presque un besoin ou une nature profonde. Elle l’avait senti. La bulle de verre de l’arrêt se picotait de pluie fine, d’autres jeunes abrités parlaient entre eux d’histoires personnelles, parfois la regardaient sans déranger. Elle gardait la tête penchée un peu de côté, l’épaule basse, son cou au pelage de seigle mûr laissait prise à la fraîcheur. Ses habits, humides, lui collaient un peu. Elle secoua la tête à l’arrivée du bus, s’avança sous le rideau de bruine. Au siège le conducteur ne put s’empêcher de piaffer, jeta un rire compris de lui seul.

Pourtant le soleil avait percé, des rayons timides s’étalaient qui faisaient briller l’humidité d’éclats multicolores. Dans les rues le véhicule ralentissait gêné par les passants, quelques planches les dépassaient alors avant de disparaître entre les bâtiments. Il existait des histoires de villes entièrement peuplées d’enfants. Pour quelques jours dans la cité universitaire, d’une certaine manière, tel était le cas. À peine ici et là quelques personnes matures se laissaient bousculer par toute cette fougue ou parvenaient à s’y mêler.

Sa destination était le parc. Aussi bien y allait-elle souvent, ce jour-ci cependant une toute autre intention la poussait. Personne ne l’y attendait, là-bas, personne précisément, quelques connaissances du moins. Elle comptait plus sur la rencontre du hasard, sans bien savoir, ses projets au moment de se préciser devenaient vagues. Seule commandait quelque sombre pulsion. Quelqu’un s’assit près d’elle, lui adressa la parole. Elle lui sourit, le reconnut, le bus freina encore puis tourna en montée, les bâtiments le masquèrent.

Ils surgirent d’entre les stries de glace, stalagmites taillées par le vent devant lesquelles, durant la nuit, s’était creusé un couloir de glace où le soleil miroitait. Les chenilles mordirent dedans, dérapèrent puis le véhicule retrouva la piste. À l’avant Ninja avait l’impression de parler toute seule. D’une main elle relevait ses lunettes, tourna la tête. « Qu’est-ce qu’il y a encore ?! » Dans son dos lassé par cette promenade routinière le passager gardait la tête renfoncée, il semblait s’absorber dans son propre goitre.

Dans ses yeux un peu d’hostilité. Quelques jours avaient suffi à jeter une éternité entre l’appartement et sa nouvelle vie, auxquels d’autres jours s’étaient succédés, que d’autres suivraient pareillement. À mesure que progressait le front froid ces trajets du village au site s’espaçaient un peu plus, en même temps augmentait son impatience tant cet échange de messages avait gagné pour lui en importance. Ninja hocha la tête, remit ses lunettes, l’embardée du véhicule couvrit ses remontrances.

La cheffe de projet emmitouflée dans une épaisse veste à capuche grelottait à l’entrée près du lieu de parc. Elle releva la tête, tira hors les oreilles avec le moteur qui grondait sur l’ancienne piste, chargée de sacs, qui apparut enfin. Sur son visage se peignait l’agacement du froid, aussi de l’attente ainsi que de préoccupations plus anciennes. Tandis qu’ils déchargeaient son pouce caché par le tissu répétait un geste nerveux. Elle leur fit un signe de tête qui disait que la matriarche se trouvait déjà à l’intérieur.

Ce qu’ils appelaient l’anneau faible inférieur constituait la pièce la plus profonde qu’ils avaient pu atteindre, qui devait toujours appartenir à l’époque de la première forteresse. Ils y avaient accédé par une brèche, une fêlure à la taille des lieux. Le couloir seul produisait de l’écho, ils avaient compté seize chambres pour un rayon de soixante-huit mètres, presque le double d’artefacts à recenser et près de mille manuscrits gravés à déchiffrer. Les ouvriers de la tribu Tewac, pleins de leur bonne humeur, rendaient à ce triste lieu quelque vie en l’arrachant à la glace mais aussi avec leurs lampes. Un bruit de moteur grondait dans une des pièces, une ventilation de fortune ramenée du village.

La matriarche se courbait sur la douzaine de plaques fragmentaires qui avaient été jusque-là classées. La chair grasse se couvrait de rides, le cou autrefois haut était depuis tombé, malgré l’absence de défenses, la morse n’avait plus de sa beauté passée que le museau relevé et pointu, ainsi que les parures de coquillages. Sa voix se comparait à de la grêle. Auprès d’elle les travailleurs retrouvaient des habitudes plus anciennes. Elle se tourna, ses yeux bondirent de la cheffe Boulders à la doctorante puis sur cet étudiant qu’elle ne connaissait pas. Aussitôt la morse de s’en approcher, de se pencher sur lui, de peser avec tout le poids de ses paupières sur celui-ci, presque sévère, avant de jeter un grand cri.

En le voyant de si près elle se mit à lancer un long cri comme un hululement et d’agiter les bras, le museau en l’air, la gorge toute déployée. Bufo surpris fit un pas en arrière trop timide pour éviter la poussière brillante jetée en poignée à son visage. Alors la matriarche de retomber dans une sorte de torpeur. Les travailleurs riaient de ce manège, tout occupés à leur tâche, mais Hazy soudain nerveuse demanda quel était le problème. La souris allait d’hypothèse en hypothèse, agacée par cette nouvelle attitude. L’étudiant sentit qu’elle le protégeait. Cependant devant eux la vieille morse se mit à bâiller puis de dire que la poudre était du savon : « parce que tu pues. » Elle eut par ce geste le mérite de ramener de la couleur sur la peau de l’étudiant.

Dans son demi sommeil elle désapprouvait l’idée de Bufo. Ses ancêtres avaient scellé l’autel de chair, elle disait de chair, aussi mieux valait ne plus y toucher. Hazy laissait parler les légendes, pour elle il n’était pas question d’agir sur l’autel parce qu’elle menait un projet scientifique : en tant que scientifiques leur devoir était d’observer, d’étudier, de regarder, d’analyser, d’enregistrer, de classer, en aucun cas d’agir ou d’intervenir sur leur objet d’étude. Aussi la proposition de ce premier année, Bufo, la scandalisait. Si elle s’y prêtait, tout aussi bien risquait-elle de perdre la somme de plusieurs années de recherche.

Tout cela pour faire tourner une roue. Car personne n’avait été dupe : les pièces qui constituaient l’autel, au moins au niveau de la forteresse, étaient de gigantesques rouages taillés dans la pierre. Sans doute fonctionnaient-ils à l’époque quand l’activité thermique empêchait la glace. L’idée d’un fort comme d’un gigantesque mécanisme les laissait songeur, à part la cheffe Boulders : s’ils faisaient tourner un seul de ces rouages, quelles qu’en soient les conséquences ses observations deviendraient irrecevables du point de vue de la science. Même la curiosité d’une chercheuse ne pouvait pas combattre cela.

« Bah ! » Cracha la vieille morse, les colliers de coquillages cliquetaient à ses poignets comme à son cou, elle fit signe à un de ses pairs de la soutenir. Jusqu’alors la détermination de l’étudiant n’avait été que de suggérer l’idée, avec beaucoup de retenue, une infinie conviction en très peu de mots, réservés, de sorte qu’il n’en parlait presque pas. Elle avait vu cependant dans ses yeux couver un feu qui n’aurait jamais dû y naître, et elle commençait à comprendre quels pouvaient être ses motivations.

Celles de la matriarche étaient toutes différentes : il y avait une musique, un chant venu des profondeurs, qui lui disaient qu’au fond il fallait réveiller ce passé. Il fallait descendre, aussi appuya-t-elle la demande du crapaud. Lui ne sut pas s’il devait la remercier, au moins se permit un petit sourire. Il n’aimait pas toutes ces luttes d’influence. Enfin ce n’était pas suffisant : la détermination de Hazy, son esprit critique, refusait les fantaisies de l’aventure et l’empressement de quelque rêveur.

Il restait une vérité qui jouait en faveur de Bufo : Spagonia. L’idée qu’eux n’auraient pas hésité une seconde ulcérait la souris, son air sec, les dents serrées, elle n’y songeait qu’avec peine. Cependant qu’il y ait eu quoi que ce soit, là-dessous, pour leur en remontrer, et elle se sentirait comme vengée de ces années passées dans l’ombre. Enfin l’étudiant, peut-être avait-il attendu la confirmation d’un autre avant de se lancer, trouva les mots pour la convaincre. La cheffe Boulders n’accepta qu’à la condition d’avoir écrit la procédure exacte et le cadre rigoureux dans lequel aurait lieu l’activation du rouage.

Ce devait être l’anneau faible inférieur, le plus petit.

Seules les deux petites mangeaient ce soir avec elle. Pearl, pelotonnée sur sa chaise, gardait les yeux par terre, préoccupées par ses histoires nocturnes. Elle avait envie de parler, en même temps, sa retenue la forçait au silence. Même sollicitée, la jeune souris n’aurait pas dit un mot, mais se serait excusée. Elle se serrait le ventre de ses bras fins, à défaut de serrer autre chose, d’une habitude prise ces derniers temps, que l’étudiant s’il avait été là aurait pu mieux comprendre. Sa voisine n’en pouvait plus de rire pour quatre, à piquer dans toutes les assiettes oublieuse du temps qui passait. La loutre buissonnière peu concernée par les horaires de cours avait cependant été contaminée par l’approche de la rentrée universitaire, depuis quelques jours ne parlait que de cela.

« J’en peux plus, je veux savoir ! » Elle tirait la souris par le bras, s’excitait sur son siège, toute seule, au fond il devait y avoir quelque tristesse à être la seule joyeuse à table. À l’angle opposé Coal ne disait rien, se contentait de mâcher vaguement, d’avaler en gros. « Et toi » dit la loutre à Luck, penchée sur la table, elle lui posait cette question insensée de savoir ce que le retour des cours signifierait pour elle. Plus de travail peut-être, avec plus d’affluence à la grande surface. La louve ne se posait pas la question. Elle soupira, depuis plus d’une habitude cette autre habitude prise, elle débarrassa sa place avant même Coal.

Personne n’avait parlé du dernier message envoyé par Bufo, qui parlait de son impatience à faire tourner le rouage. Là-bas leur compagnon traduisait sans relâche d’ici à ce que la procédure soit écrite, pour l’événement, car il s’agissait de faire tourner une roue taillée dans la pierre de plus de mille tonnes.

Or personne n’en parlait. Et personne ne lui répondait plus. Ce message datait déjà de plusieurs jours, plusieurs jours après que le dernier lui ait été envoyé. Depuis, plus rien. Elle attendait, ce soir, qu’il fasse signe de vie. Tandis que les autres mangeaient encore, la porte de Coal se referma dans le couloir, la louve regardait l’écran du portable, la boîte de messagerie vidée. Elle sentit comme un poids dans son ventre, un coup donné en pleine bagarre, comme elle avait pu en connaître par le passé, plus violent encore, de songer qu’à cette heure il faisait depuis longtemps nuit, qu’il n’y aurait plus de message ce soir, ni demain, ni les jours qui suivraient.

Depuis la cuisine la louve entendit les chaises tirées : elle secoua sa chevelure sauvage, chassa ses idées noires. Elle quitta le salon.

Couchée dans son lit la lune brillait haute par les fenêtres, la cuisine à nouveau se découpait en ombres impossibles, dormir devenait impossible. Son regard se perdait du côté de la porte, attendant qu’elle s’ouvre, ce qui n’arrivait plus. Le monde enchaîné à son monde strict laissait se déverser la nuit en un lent ru, glissait à peine quelque bruit de hibou. À ses oreilles par le battant ouvert, depuis le balcon, venait le murmure à peine audible de l’eau des fontaines, qui seules ne faisaient pas de bruit, ensemble, produisaient cette vague de la nuit, rendue possible seulement par le silence, par l’absence.

La louve se retourna, les yeux fermés, clos fermement en quête de sommeil depuis longtemps enfui. Le pelage de cendre dans la nuit gagnait en vigueur, la lumière dessus dessinait des alcôves courbes, faisait étinceler le poil. En même temps la chevelure sombrait dans les ténèbres. Elle se tourna encore, et encore, se dégagea soudain. Le bruit avait dû figer Pearl au milieu du couloir. Quand elle ouvrit, les deux se retrouvèrent nez-à-nez. L’une et l’autre se sentirent non pas coupables, surprises ainsi, mais un peu ridicules. Pearl lui demanda si elle se promènerait avec elle.

Même la nuit la ville avait gagné en animation, quelques groupes dispersés dans les quartiers occupaient les toits ou les parcs, une petite foule de passants étirée le long des artères passait d’une lumière à l’autre par les lieux de détente ouverts. De la musique montait des établissements, assez agressive. Elles allaient en direction du centre, vers les grands jets, là où se tenait la mairie et les mares, les vastes espaces verts. Derrière en haute tour neo-tech s’élevait la gare. Les entrées restaient libres, les escaliers plongés dans le noir, plusieurs secteurs encore animés voyaient passer les trains de marchandise, sur les quais deux équipes jouaient à la balle.

Un des quais allait comme une rampe élevée, incrustée elle-même d’un rail, jusqu’au plus haut et au plus loin de la gare, droit au-dessus du vide. Une pointe de béton tenait presque par miracle à quelques cent mètres et plus du sol, sans soutien aucun. Luck s’assit là, tout au bord d’où elle pouvait observer les rails s’enfoncer dans la nuit. Derrière elle la souris effrayée était restée en sécurité à l’arrière, là où elle pouvait sentir encore les courants d’air en rafales souffler. La lune trop haute à présent seules les étoiles détachaient Luck du ciel. Toute la cité se présentait depuis ce point, aussi loin qu’il était possible de voir, dans sa même tranquillité joyeuse, et insouciante.

Depuis son point d’observation, là où s’arrêtait le dernier pylône, s’y tenant Pearl regardait la louve assise au point le plus avancer, ensuite la souris regardait elle-même cette ville qui l’entourait. Elle cherchait une lueur, une rumeur, un bruit, tout ce qui aurait pu la troubler. Aussi sa main tâtait alentours à la recherche de la petite tête de Flak. En son absence elle n’était plus sûre de ce qui l’attirait sous les éclats astraux, dans la torpeur de milliers d’habitants, de dizaines de milliers de par les pentes, plus encore. Tout était juste tranquille, imperturbable, un havre de paix.

Les liens avaient cassé. Après cette tentative manquée le groupe de recherche attendait du village l’envoi d’un engin de tractage, accompagné d’un mot d’encouragement de Field qui regrettait de ne pouvoir venir en personne. Le professeur en profitait pour demander comment se débrouillait leur recrue, à quoi Hazy entre deux lèvres, le message froissé entre ses doigts, disait qu’elle ne pouvait plus s’en passer. L’étudiant enchaînait les traductions parfois absurdes, les corrigeait, le soir retournait à ses ouvrages peaufiner sa maîtrise des langues. Presque six siècles de dialectes différents se mêlaient dans la forteresse : s’il suait moins, il travaillait en vérité plus que tous les autres ouvriers.

Quand la matriarche était repartie, ceux-ci avaient tenu à produire une sorte de fête, manière de leurs ancêtres pour garder le cœur fort. Elle n’avait consisté en rien de spirituel, seulement boire et chanter autour de feux allumés au sein même des pièces, tant l’aspiration y était forte. De même quelques coutumes existaient au sud, près de la forêt feuillue, qui consistait au contraire à calmer le cœur, tant les passions pouvaient s’y montrer vives.

La cheffe de projet vint trouver Bufo enfoncé dans ses livres. D’un côté la pile d’ouvrages lus, de l’autre ceux en cours, provoquèrent un tic désagréable. Ninja devait retourner au village, il s’agissait de leur seul lien avec le monde d’ici deux jours. Elle répéta à Bufo de s’y rendre, d’accompagner la doctorante quitte à passer plusieurs heures dans un bar. La vie en reclus ne valait rien. Les sociologues parlaient ainsi. Quand la souris se rendit compte qu’il ne l’écoutait pas, la colère ravalée dans la gorge, elle eut une expression de dédain, dans un claquement se détourna pour des tâches plus importantes.

Après son départ l’étudiant retourna à ses lectures. Il ne lisait qu’à moitié, pour tromper les pensées nombreuses qui se glissaient entre les lignes, sur la forteresse, sur la cité, sur les milliers de pièces d’un puzzle toujours plus vaste dont il sentait à présent la consistance sans être sûr encore. À chaque traduction, à chaque nouveau sens d’un mot découvert l’histoire du lieu se reconstruisait, les batailles, les tragédies, les ordres de la vie quotidienne. Cette montagne au bord du monde recelait les passions de générations confuses, comme cristallisées, conservées par le froid. Il y sentait une violence sourde qui devait être la sienne propre, une pulsion secrète que tous ces textes provoquaient.
« Dernière édition: Mai 03, 2010, 10:10:43 am par Feurnard »
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #24 le: Mai 03, 2010, 10:13:29 am »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
On approche enfin d'un véritable événement...

****

« Bouge-toi Mist, on y va. »

La doctorante était redescendue le chercher, un sac à l’épaule, de la neige sur la tête les lunettes accrochées, elle n’attendait plus qu’il se lève. Aussi, il nota le changement de ton. Elle se moquait de lui, sans doute, parce qu’il avait décidé de rester, ce qui devait sembler ridicule. Ninja montrait son impatience, tapait du pied, du doigt, pour autant elle ne l’avait pas encore forcé. Lui, plus rien ne l’attendait au village. Il promit d’aller la prochaine fois, ce qui suffit, resté seul il constata que depuis plusieurs pages sa lecture ne suivait plus, qu’il les tournait méthodiquement sans lire.

Pour la troisième fois la gazelle demanda où s’était rendue Luck. Pour la troisième fois la petite souris embarrassée lui répondit qu’elle ne savait pas, le ton de sa voix brisée, elle craignait de la colère qui n’était que de l’inquiétude. Le magasin avait répondu que leur employée prenait quelques jours de congé. Vers la fin la hase avait ajouté qu’il était temps, personne là-bas ne croyait plus qu’elle se reposerait un jour. Rye non plus n’y croyait pas. Dans la cuisine une liste donnait les instructions pour trois jours, tout ce qu’elle laissait derrière elle, une organisation qui dépassait les occupantes. La loutre s’était empressée de dire qu’elle préparerait le repas, ce qui détourna un temps l’attention.

Enfin Pearl demanda si elle avait fait quelque chose de mal, à ces mots l’étreinte de Rye se relâcha. Elle put retourner à sa chambre d’où, derrière la porte, plutôt que de se mettre à ses devoirs la souris préféra écouter ce qui se disait. Juicy jouait avec les assiettes, les disposait à sa manière sans logique, et elle comptait. Restée dans le corridor l’étudiante ne songeait plus à la retenir. Il lui fallait savoir, sans raison précise, parce qu’une responsabilité implicite l’y poussait à force d’avoir côtoyé cette amie, ou parce qu’elle la considérait son amie, il lui fallait s’assurer qu’elle n’avait pas de problème.

Alors Juicy, faute de quelqu’un pour jouer avec elle, sortit de la cuisine une assiette en main : « Et toi », dit-elle sévère, « t’étais où ? » Elle avait mis dans sa voix toute l’impertinence dont l’enfance pouvait mimer l’âge adulte. L’étudiante, surprise, ne comprit pas, au lieu de cela retourna à ses questions sur la louve, crut que la loutre savait quelque chose.

« Si je te dis, tu feras quoi ? »

« Si elle a des problèmes, je l’aiderai ! »

« Et si tu peux pas ? »

Rien de cela n’était sérieux, la loutre n’avait pas la moindre idée de ce qui avait pu pousser Luck à tout quitter du jour au lendemain, sa vie si bien ordonnée, si tranquille, la discipline d’une existence, la raison qui avait pu tout renverser. Au lieu de quoi la jeune élève s’amusait encore, riait sous barbe avec les règles les plus simples du bon sens, heureuse de mettre une aînée à défaut. Elle aurait voulu que la gazelle aussi se mette à rire, puisque toutes deux étaient censées savoir l’importance d’être heureuses avant tout mais aussi, essentiel, le droit à la généralisation.

Face à la logique toute simple de Juicy, la gazelle était désarmée. Elle ne pouvait opposer que des raisons d’adulte, qui n’étaient que des conventions d’un instant, au cas par cas, sans la moindre rigueur sinon celle d’intérêts variés. Seulement l’âge donnait raison à la seconde. Une fois encore, Rye appela le téléphone de la louve. Le numéro n’était pas joignable. Ses seuls expédients restaient de fouiller la chambre, ce que les petites ne permettraient pas, parce qu’elles ne comprenaient pas, ou de demander à Coal s’il savait rien. Le scorpion ouvrit la porte au premier appel, fit signe qu’il s’en moquait, referma.

Depuis l’aurore jusqu’à cette pointe avancée du jour le train n’avait pas cessé d’accélérer, gêné sur la voie par quelque travaux, à l’approche du cercle polaire enfin laissait aller en course libre ses longs alignements de voiture argent. La louve était assise en face d’un couple amoureux, à l’étage. Elle tenait encore dans son poing fermé le billet allez simple pour les grottes de cristal, couleur bleu glacial dont la matière refusait de se froisser, depuis l’aube la louve ne s’accrochait plus qu’à cela. L’estomac la mordait, elle n’écoutait plus le bon sens mais ses instincts, poussée par une force sans limite, la nuit, l’hésitation lui avait semblé superflue, le matin, ce billet avait signifié toute sa résolution.

Le contrôleur passa pour avertir de régler les montres, arrivé à hauteur de la louve il partit d’un grand rire qui montrait toute sa dentition. Blessée, la louve demanda ce qu’il y avait de drôle. Il fit remarquer qu’elle était seule, à supporter depuis des heures les amours du couple, leurs petits mots, ce qui devait être une torture. Ce n’était pas vrai, tout cela lui passait loin au-dessus de la tête, plutôt ce qu’il y avait de drôle était que même avec un billet, elle n’avait pas de destination. Là-dessus le zèbre continua son tour des wagons.
À la bordure tiède le régional prenait du retard. Ils devaient casser la glace à même les roues avec des pioches, le conducteur tâchait de réchauffer le moteur tant le froid restait vif après la bourrasque, Luck sentit le sang lui refluer. De la neige tombait presque à l’horizontal, quelques flocons, ils partirent alors que le temps se calmait.

En-dehors du village une haute antenne servait de relai ou de balise pour le reste du monde, maigre borne face au règne de la glace elle projetait ses ondes jusqu’à la coulée de glace à l’est, au sud ne laissait qu’un espace de quelques kilomètres dans le silence entre les deux arrêts. Le train apportait aussi une cale de lettres, de paquets en même temps qu’il prenait les passagers. Parmi tous les bagages se trouvait la petite mais puissante machine de tractage, à bandes de pression, pour le groupe de recherche.

Côte-à-côte sur le quai de bois les deux assistants reculèrent, épargnèrent à leurs jambes la morsure des bourrasques lorsque le train s’arrêta. Un temps la poudreuse soulevée voleta tout autour des cabines, les vitres se couvrait d’une fine pellicule, des jets de vapeur soufflaient en manière d’haleine de sous les pistons. Ils se tenaient presque en bout de quai, là où s’était arrêtée la dernière voiture avec le matériel. Le chef de gare vint de ce côté assister à l’ouverture, accompagné du facteur, ils déchargèrent. Bufo remarqua que personne ne débarquait, pas ce jour-là.

Dans l’effervescence que causait cette arrivée quelques habitants se mêlaient au personnel, certains venaient directement chercher leur courrier, d’autres, aimaient simplement ce spectacle de la locomotive fumante. Ils se tenaient dehors, dans le froid, la taupe lui lança : « Va te réchauffer. » Comme il discuta elle le bouscula, le renvoya à l’intérieur de la gare, du côté des tables à l’extérieur que la neige couvrait, derrière les vitres teintes de fumée. À l’intérieur la neige fondait, la chaleur s’agrippait par paquets, il se sentait nager. Le crapaud s’épongea le front, bien en peine, avisa la table où il avait l’habitude de consulter ses messages. Il préféra s’asseoir au comptoir.

Sans qu’il s’en rende compte les gens du village lui étaient devenus familiers, les mêmes visages qui l’accueillaient, les mêmes gens aux mêmes places. Aussi bien savait-il que, sitôt sa tâche terminée, il ne les reverrait plus ; il ne s’attachait pas. La boisson avait changé, dans ce lieu sa tenue aussi, il arrêtait de courber le dos, relevait un peu la tête. Quand la chaleur avait trop duré, à la perspective de retourner s’enterrer dans la montagne l’étudiant repensait à cet établissement de détente, plein de musique, plein de jeunesse, qu’il n’était plus sûr de vouloir éviter, au contraire, l’envie lui prenait souvent de s’y rendre.

Un coup de téléphone.

Il s’agissait des vieilles cabines du fond, les postes à fil laissés à la rouille au fil des ans, que personne ne songeait à remplacer. La patronne alla décrocher, lança un nom qui n’était pas le sien. Lui songea alors à son propre téléphone éteint, dans sa poche, depuis ces derniers jours qui avait peut-être pour lui quelque nouvelle de l’extérieur. Il termina son verre, hésita encore, dehors Ninja devait être en train d’arrimer l’engin de tractage au motoneige. Elle devait bientôt entrer le chercher par le bras, plutôt que de l’attendre l’étudiant quitta sa place. Un remords lui fit quand même allumer le cellulaire.

Le seul message en attente lui venait de Shell. Il avait presque oublié qui était ce camarade de classe, avec le temps, un certain agacement lui donna envie d’éteindre sans lire : « tire-toi », en toutes majuscules, commençaient le message. La seconde et dernière ligne disait : « Ninja n’est pas doctorante. » Soudain le crapaud tourna la tête, chercha dans la pièce l’impression dérangeante que quelqu’un l’épiait, aussitôt la porte du fond s’ouvrit, une silhouette s’enfuit dans la neige. C’était Luck. Il ne le savait pas, déjà la taupe entrait le tirer par le bras sans ménagement, elle faisait claquer sur le plancher humide ses bottes aux lourdes semelles : Bufo avait effacé le message.

Jusqu’à l’arrivée à l’autel de charbon, aucun d’eux ne parla, dès que le moteur fut éteint elle se mit à lui faire des reproches sur son attitude, s’impatienta, l’envoya balader avant qu’il ne puisse répondre. En même temps le souci augmentait sur le visage de la doctorante, à l’approche de l’événement, elle aussi anticipait l’activation du rouage, seulement avec beaucoup plus de prudence ou de réserve.

La cheffe Boulders, Hazy, avait achevé la procédure juste à temps, armée de tout ce qu’il lui restait de papier griffonné elle avait déjà pris toutes les dispositions. Les morses de la tribu Tewac n’en pouvaient plus de s’enthousiasmer pour ce simple événement dont ils ne verraient presque rien, aussi longtemps que cela les mettait de bonne humeur. Ils dégagèrent le passage, aidèrent à transporter la machine jusqu’à l’anneau faible inférieur, jusqu’à l’un des deux sillons creusés dans le couloir. Sur l’ordre de Hazy chacun quitta le rouage, restée derrière la taupe vérifia une dernière fois les sécurités, la mise en place des rouleaux, enfin, lança la machine pour se précipiter à l’extérieur.

Ils se retrouvèrent dans la pièce commune où étaient leurs sacs, les tables les attendaient, les bols passèrent de main en main. La cheffe refusa de rien avaler, trop tendue à l’idée de l’expérience en cours. Elle s’était armée d’une petite montre à gousset pour mesurer le temps exact qui s’écoulait depuis l’activation, avec le retrait de près d’une heure avant d’espérer voir le premier effet se produire. D’après de vagues calculs la souris supposait qu’en une nuit le rouage glisserait de trente centimètres. Cette conclusion leur servit de promesse au moment de se coucher, la pièce plongea enfin dans le silence, il ne restait plus que la lumière de la lampe dont se servait le crapaud pour éclairer sa lecture.

Lorsqu’il tourna la page, la lumière disparut. La flamme soufflée à l’intérieur du verre le plongeait dans le noir. Il paniqua, moins par l’obscurité que par la signification d’une flamme éteinte dans une grotte. À peine rallumée la mèche s’étouffa, alors l’étudiant d’aller réveiller les dormeurs les plus proches pour les prévenir. Le bruit courut, pourtant ils étaient persuadés que ce n’était pas l’air, alors que tous sortaient du sommeil la pièce restait sombre, enfin les torches percèrent de leur éclat artificiel, de longs rais au sein des ténèbres. Alors le plus alerte de la tribu signala qu’il sentait une vibration dans l’air, puis que cela venait de la salle des chaînes, au-dessus d’eux.

Avant qu’ils aient pu prendre la moindre décision les blocs de glace fragilisés, soumis à la pression de presque un million de tonnes, après plusieurs heures sans ployer se brisèrent en chaîne. Les plaques de verglas, les amas vitreux, les masses glaciales accumulées au fil du temps, qui couvraient les murs, qui couvraient ici les plafonds, là les sols, les stalagmites, les stalactites, les blocs informes dont certaines n’étaient pas même entamés par les pioches, tout cela vola en éclat en quelques minutes. Ils en sentirent le grondement, un séisme fit trembler la forteresse, l’onde se propagea à leur étage, fit éclater la glace en pièces, se répercuta au-dessous d’eux dans les profondeurs.

Toute la troupe au sol attendit les mains sur les oreilles que ce vacarme associé aux tremblements violents de la pierre, il semblait que l’édifice entier allait s’écrouler, cesse, ils voulaient que cela cesse. Aussi brutalement que cela s’était déclenché le silence remplaça cet éclatement, leurs cœurs cessèrent de trembler, ils rouvrirent les yeux. Les lampes un temps éteintes éclairèrent les lieux, tous sentirent en même temps que la température était remontée, dans les pièces il faisait tiède.

Les rouages, tournaient, d’abord désorientée l’équipe accéda au rouage faible inférieur, comme avaient dû le faire les occupants autrefois, à travers le mécanisme complexe ils se frayèrent un passage, enfin, ils découvrirent les voies dégagées vers les étages inférieurs. La cité jusqu’alors inaccessible leur était ouverte. Sans les attendre, pris par une volonté qui les dépassait les gens de la tribu s’enfoncèrent dans ces habitations souterraines, taillées dans les parois, au fond des pièces, bâties avec tout ce qui se trouvait, aussi le bois, aussi le charbon. Ils descendirent les escaliers interminables, à présent en groupe réduit alors que la majorité d’entre eux dispersés exploraient.

Tous demeuraient muets, ne parlaient que pour des banalités, constater ceci ou cela, donner une consigne, quelques mots jetés entre deux longs silences. La forteresse activée, toutes les pièces, tous les rouages, s’étaient à présent activés. Encore quelques heures, il semblerait que toute la ville reprendrait vie. Or les habitations étaient pour la plupart désertes, vidées par le temps, il ne restait même pas trace d’occupation mais des inscriptions partout. La logique des lieux leur échappait, cependant ils atteignaient la fournaise au centre du quartier principal, formé en entonnoir. Les ouvriers les arrêtèrent. Là, il ne fallait pas rentrer.

Alors ils descendirent encore. Cette fois ils n’étaient plus que trois, Ninja en tête les menait par les rampes tandis que Bufo, derrière, cherchait ceux qui auraient dû les suivre, qui restaient derrière. Le bruit des rouages, des chaînes à vide les occupaient. Ils débouchèrent sur la plus grande pièce, vaste de plus d’un kilomètre, une véritable plaine souterraine et qui n’était pas un rouage mais taillée à même la roche, où la glace était restée entière. Cette glace semblait plutôt du cristal : la lumière de la lampe en s’y réverbérant à l’infini éclairait l’ensemble des lieux d’une lueur nocturne.

S’avançant la souris de son air sec ne put s’empêcher de prononcer : « Est-ce que je rêve ? » devant ce spectacle.

La lampe venait de révéler un chao pris dans la glace, au plus près d’eux, à quelques mètres, qui semblait assoupi. Un second, un troisième, le rai de lumière révéla des dizaines, plus, bien plus de chao à l’air endormi, en même temps effrayés, que la glace n’avait pas pu surprendre. Mais déjà le rai de la lampe avait suffi, par lui seul, à réchauffer cette masse. À son tour fissurée elle se brisa, les blocs s’effondrèrent dans toute la pièce, un instant il n’y eut plus qu’une masse de cristaux en pleine chute dans un tonnerre assourdissant. Cela passé la pièce prise dans la poussière d’eau fine leur sembla impénétrable. Un chant monta, clair, qui dissipa ce brouillard, à la place un halo bleuté s’empara des lieux. Les chao éveillés s’étaient mis à chanter, tous ensemble, à ce chant les trois chercheurs en restèrent muets.

Ils s’avancèrent en silence parmi cette manifestation inexplicable, ils passaient entre ces centaines de chao qui chantaient dans cette lumière éthérée, du bras chacun aurait pu en toucher un. La pièce même, dans ce halo, était indescriptible. Au centre, à l’exact point de gravité de tout l’édifice, se trouvait une pierre ronde qui fermait le puits.
« Ne touchez à rien » commanda Ninja.

La souris allait répliquer quand le chant venant de cesser tous les chao se mirent à fuir dans de petits cris affolés. Ce qui se passait les dépassa, pourtant la taupe leur hurla de reculer. Un tremblement plus puissant que les précédents secoua la pièce, le sol se mit à se fissurer. Elle hurla encore : « mais partez bon sang ! » La pierre du puits creva.

Au-dessous se trouvait un vide de ténèbres pur, un océan impénétrable. Là où il y avait eu de l’eau ne restait plus que la cuvette, demi-cercle au rayon gigantesque et creux. Les vibrations venaient de là. Soudain Ninja tira une arme, leur hurla quelques mots couverts par les tremblements. Alors qu’ils fuyaient, le sol céda, la vaste pièce à son tour devint sombre, lorsque la lampe s’effaça, il sembla que le sol perçait et s’effondrait, ils coururent. Dans leur dos Ninja ouvrit le feu, trois coups répétés alors qu’elle chutait.

___________________________________________________________________________________________

Journal :
Écriture en un seul jet, avec jusqu’à présent deux pauses, l’une avec la matriarche, l’autre à l’arrivée de Luck. La seconde n’est pas motivée par un manque de pertinence.
J’ai du mal avec les noms. Les personnages s’accumulent, les phrases passent de l’un à l’autre et les « synonymes » n’aident pas. Aussi, les descriptions sont presque absentes ce qui m’agace beaucoup. Pearl n’a pas de corps et pour Juicy, c’est encore plus grave. Hazy n’a pas la moindre identité, Ninja reste vague, quant à Coal, n’en parlons pas. Tout va juste trop vite pour s’arrêter sur eux.
Le dialogue de Rye et Juicy est peut-être trop long et trop sérieux. Je ne sais pas, au chapitre 6, cela semblait s’imposer.
J’avais beaucoup de choses à dire, la décision de faire tourner une roue, la volonté pour Luck de se rendre sur place mais aussi évoquer les activités de l’appartement. Aussi, je voulais que Pupil s’intéresse à Ninja et avertisse Bufo qu’elle n’est pas doctorante, ce qui aurait motivé le départ de Luck.
À propos de la matriarche, elle devait demander quelque chose à Bufo au départ. J’ai finalement opté pour le savon, qui m’évitait d’avoir à motiver un dialogue.
Il est impressionnant de voir comme, à ce stade, tout s’emboîte facilement. Je n’ai plus à chercher les événements, au contraire, je dois en éliminer et simplement m’assurer qu’ils se suivent de façon cohérente. Pour autant le résultat ne me satisfait pas…
« Dernière édition: Juin 07, 2011, 09:57:16 am par Feurnard »
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #25 le: Mai 11, 2010, 09:29:28 am »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
Fin de la première partie et premier combat. Une fois le chapitre entièrement posté, plus rien avant septembre dû à un autre projet.

Alors qu'un étudiant, Bufo, participe à la découverte d'un nouveau temple, la situation dégénère "rapidement".

The Chao's
Theory

Épisode 7 :

L’aube arriva avec plusieurs heures d’avance. Cet aurore prématuré, sans soleil, occupait l’espace des montagnes et une partie de la plaine, sans véritable frontière, s’étendait au-dessus du lac en même temps que du défilé. Il n’y avait pas de réelle lumière, seulement cette impression d’y voir, que la pénombre était moins forte, la nuit moins dense, enfin dans le ciel les étoiles brillaient moins, ne brillaient plus. L’autel de charbon, le pic détaché des autres et qui gardait la vieille piste fumait par toutes les fissures, semblait un volcan au sein de l’immensité glaciale.

Cette lumière ne pouvait pas filtrer jusque dans les profondeurs de la pierre ; elle filtra cependant. À mesure que leurs yeux s’habituaient la chercheuse et son assistant découvraient les alentours redevenus calme, pour cette fraction d’instant où ils crurent tout achevé. La pièce immense, taillée à même la roche, avait été assez vaste pour accueillir tout le village ; au centre une stalactite naturelle surplombait le puits à présent effondré ; ils ne savaient pas à quoi ce lieu avait servi exactement, ils ne voulaient pas le savoir. Le socle qui en constituait la surface, au sol, épais de plusieurs mètres s’était en de nombreux points écroulé, ouvert en failles, les fêlures étendues sur des dizaines de mètres menaçaient de s’étendre si le calme n’était pas revenu soudain et inexpliqué.

La cheffe de projet tendit son cou sec, se releva, nerveuse, elle ordonna à l’étudiant d’aller chercher du secours. Mais ce dernier, interdit, regardait les crevasses creusées qui auraient pu les engloutir. Elle voulut se montrer plus sévère, seulement la voix lui manqua. Alors sans savoir pourquoi, sans être sûre, poussée par une raison profonde, la souris s’approcha du vide d’où elle appela. Là-bas, au fond, devait se trouver Ninja. Elle ne répondit pas. Le vide devait être profond de presque cinq cents mètres. Mais quand elle y plongea le regard, la cheffe sut que ce n’était pas du vide, qu’il y avait là au fond quelque chose.

Un œil de verre, de jaune vif, vieux, étouffé, crevé par le temps, brilla au plus profond du puits. Dans le bassin vidé qui formait une coupole gigantesque elle vit comme des reflets, du métal partout qui se mouvait, la souris ne calcula plus sa peur. Soudain un cri leur parvint : « Fuyez ! » C’était Ninja. Deux détonations éclatèrent qui mirent fin à la pesanteur.

Dans le cours des instants qui suivaient le vacarme reprit tonitruant, vague après vague les reflets à même l’obscurité changeaient emportés par la tourmente, les lézardes couraient jusqu’aux murs où elles arrachaient d’énormes blocs aussitôt avalés par le gouffre, des articulations luisantes crevaient la pierre, le plafond à son tour cédait secoué il se crevassait en de multiples points sous les coups de butoir. Eux couraient, à en perdre haleine, arrivés aux escaliers les forces leur manquèrent, dans les derniers pas l’assistant trébuchait, la main sèche de la chercheuse attrapait ce bras calleux dont le teint livide offrait comme un reflet d’argent dans la pénombre.

Il pendait au-dessus du vide incapable de quitter des yeux toute cette masse grondante d’acier entrechoqué, le grondement des articulations, les éclats du métal qui raclaient la roche, gigantesque, dont le bruit faisait siffler ses oreilles. Le bras glissa, elle lâchait, l’étudiant sentit son cœur se serrer, dans son estomac brûler comme un fol espoir alors que la figure de cette souris restées sur les premières marches le regardait disparaître. Déjà la surface rainurée du puits, la profonde demi-sphère, apparut contre laquelle il ricocha pour rouler tout le long, incapable de tenir, incapable de rien faire, incapable.

Sa surprise fut grande à quel point la douleur était faible, alors que dans sa chute les membres prenaient coup sur coup, à quel point il ne sentait rien, le temps qui lui restait de penser, de songer à cette idée pressante, des tréfonds de sa chair, l’indéfinissable choix de se relever. Ses doigts attrapèrent un des rails taillés à même la pierre, gravés dans la cuvette par trois fois ils ratèrent le gant s’écorcha, pour autant à la troisième il se tenait, comme au-dessus du vide, alors sa fatigue lui apparut tant tout effort lui coûtait. Sa langue gonflait de par la peur, l’étouffait presque, il ne respirait que par le goitre.

Plusieurs coups de feu éclatèrent à proximité, les ombres virevoltaient à peu de distance, une gigantesque armature d’acier menaça l’écraser, le survola, alla s’écraser contre la surface de la cuvette dont elle déchira les strates. Aux éclats de la pénombre il vit la couleur de ce métal, difforme, les énormes plaques de rouille qui le couvraient, l’odeur qui s’emparait de l’air rendait un goût âcre, presque étouffant. Ce gigantesque mécanisme tournait, emplissant tout le puits il prenait assise sur les parois, lentement, au déplacement de centaines de tonnes la machine fit face à cet étudiant accroché à mi-hauteur.

Des dizaines d’yeux de ce jaune effacé, meurtri par le temps, et mats venaient de se fixer sur lui, d’énormes grappes parmi des grappes encore éteintes, des centaines de globes vitreux qui couvraient la carapace. Ils devaient être suspendus à plus de deux cents mètres, chaque œil au moins aussi grand que lui. La peur lui fit reprendre des forces, il voulait s’enfuir, grimper, sans le pouvoir, sans y arriver, une articulation geignit dans les ténèbres qui se levait, une énorme pointe d’acier dressée prête à s’abattre.

Alors Ninja s’aperçut que l’étudiant se trouvait là. Elle pesta, se détourna de sa course, en un saut retomba sur les grappes d’yeux luisants, si faibles que les ténèbres rendaient aveuglants, sa silhouette se détacha à la manière d’un spectre, la taupe vida son chargeur à même le globe sur lequel elle se tenait, sans pouvoir autre chose que le fragmenter. Le coup pourtant avait porté, la machine bascula en arrière, en même temps se soulevait, elle dut bondir en quête d’un nouveau point d’équilibre, tira encore, retomba le long de la pente sur l’une des rainures où ses semelles de bottes calées glissèrent, jusqu’à l’étudiant qu’elle attrapa.

Ce dernier ne dit rien mais s’agrippa à son dos le plus fermement qu’il pouvait, en même temps serrait les dents plutôt que de songer à ce qui se passait. Les secousses faisaient trembler son cœur, les bonds, la pierre dont il sentait voler la poussière autour de lui l’affolaient, les détonations vaines comprimaient son torse. Brutalement il lui sembla respirer, ils surplombaient le gouffre en plein vol, presque du plafond fracturé, au-dessous d’eux le gigantesque amas de métal en pleine activité, dont tous les yeux activés brillaient en une masse informe.

Alors un froid terrible s’empara d’eux, en même temps que de l’air ambiant comme gelé, ils virent leur haleine s’échapper de leurs lèvres, stagner quelque peu dans l’obscurité, en fin reflet. Depuis les profondeurs des sifflements se multiplièrent qui ricochaient contre les parois, soudain des chaînes crevèrent l’abîme pour se ficher à même la pierre, l’ébranlaient puis se détendaient. Dans leur chute ils retombèrent sur l’une d’elle, aux maillons énormes, eux aussi rouillés. D’autres venaient qui les visaient directement, la taupe bondit à nouveau, en trois sauts leur avaient échappé.

En même temps elle avait fait le tour de la stalactite centrale, cette stalactite gigantesque où les trois chaînes s’étaient figées. Dès qu’elles tirèrent pour s’en arracher la masse de roche se fragmenta, se détacha du plafond pour s’effondrer. Dans une dernière course qui manqua de force Ninja rejoignit les escaliers, par toutes ces chaînes projetées, au dernier saut ils se retournaient. La stalactite s’effondrant alla frapper droit dans cette masse métallique, s’y enfonça en plein, perça, il y eut un fracas mêlés d’éclairs, de pluies d’étincelles. Un instant ils crurent distinguer la structure qui se trouvait là dans les ténèbres mais déjà le saut s’achevait, sur les escaliers à présent ils ne songeaient plus qu’à s’enfuir.

Aux premiers pas qu’elle voulut faire la taupe sentit ses jambes se dérober, elle s’effondra. L’étudiant se jetait à ses côtés pour la soulever, elle le repoussa. Sa colère n’était pas de la colère, juste autre chose qui mimait ce mouvement de rage, quand elle lui dit de fuir. La douleur la coupa, les dents serrées elle montra sa plaque de l’Unité. Elle répéta son ordre, finit par braquer son arme contre le crapaud, ce dernier se décida enfin à partir. Il écouta encore, dans sa cavalcade, les rumeurs qui pouvaient lui parvenir dans son dos, seulement n’entendait plus rien.

Tout le monde avait évacué les étages, la montée lui sembla interminable. Les rouages défoncés ne tournaient plus, pour autant il restait un passage par lequel il atteignit le haut de la forteresse. À la salle commune les membres du projet de recherche cherchaient à organiser leur fuite, aucun qui songeait à rester, Hazy passait parmi eux à grands cris, pointait de son doigt sec les préparatifs qui traînaient, préoccupée surtout par ceux restés derrière. La peur avait fait place au besoin de commander, dès qu’elle vit l’étudiant sa seule réaction fut de demander où était Ninja. Il expliqua, c’était une militaire, il fallait évacuer. Par petites colonnes ils remontèrent à la surface.

Les secousses n’avaient pas cessé, la neige sur les flancs du pic s’étaient mis à fondre, formaient des coulées informes dont la couche superficielle s’évaporait. Ils parlaient dans leur course, cherchaient à s’expliquer, à comprendre ce qui était en train de se produire. Arrivés sur la piste ils descendirent le flanc par l’effondrement, en direction de la plaine, dans le but de rejoindre le village. Ils avaient envoyé l’une d’eux au-devant avec le motoneige. Durant de longues minutes tous de descendre, le long du sentier, par grandes enjambées, sans fatigue, ils arrivèrent au bas sans idée de l’heure qu’il était. L’aube ne s’était pas levée encore, la colonne reformée prit la décision de longer le lac.

Ils avançaient du plus vite que leur permettait leur foulée, l’haleine courte, la tête encore pleine du souvenir des parois sur le point de s’effondrer, qui vacillait, des rouages qui penchaient, des ténèbres. Dans la pénombre matinale de fausses aurores brillaient à la place des étoiles, éclaircissaient la plaine. Les formations de glace crevaient sur les bords telles des vagues figées. Plusieurs se retournèrent, le pic grondait, l’autel de charbon crachait des paquets de vapeur, la roche mise à nu contrastait avec la blancheur alentours, le relief paraissait se désagréger. Sous leurs pieds le sol tremblait encore, de faibles secousses les poursuivaient jusqu’à cette distance. Détournant le regard Bufo observa le lac, au-dessus du lac repéra ces ombres en mouvement, des chao.

Un léger éclat de jour perça au lointain, indistinct, aussitôt la pulsion effrayante les jeta au sol. Un fracas sans pareil secoua la plaine, se répercuta dans la distance, revint plus forte encore, le sol lui-même leur parut se fracasser sans qu’ils sachent encore à quoi l’attribuer, la panique revint plus forte. Hazy hurla de courir, tous suivirent sauf Bufo hypnotisé par le pied de la montagne. Là-bas des paquets de vapeur se soulevaient à la frontière de la roche et du lac, où devait battre l’eau gelée, soudain des gerbes se soulevèrent à des dizaines de mètres, à plusieurs reprises, l’eau crevait, la roche éclata, le métal surgit de ce gigantesque gouffre creusé au sein de la montagne.

La machine surgit des eaux, il la distingua enfin, qui se découpait dans le relief, l’engin chercha une assise sur la glace qui céda, à plusieurs reprises, avant que le poids enfin réparti ne tienne, elle surgit dégorgeant ses paquets de glace. Il vit les pattes articulées qui avaient taillé dans la pierre, ces mêmes pattes qui prenaient appui sur l’épaisse couche de glace, luire aux rayons nocturnes, sous la fausse aurore, gagner en reflets pâles. À mesure que gagnait la lueur, la machine révélait son état délabré, toute la rouille accumulée qui bloquait ses rouages, la carcasse épuisée par des décennies, le corps meurtri, rongé, ouvert à moitié et pendant. L’engin se mouvait avec lenteur, saccadé, les huit paquets d’yeux de verre qui avaient paru si brillants dans le puits n’avaient presque plus d’éclat.

Cette araignée gigantesque fit quelques pas sur le lac gelé, à mesure qu’elle s’éloignait de la montagne, gagnait en vitesse. Chaque mouvement de patte lui faisait gagner sur la troupe en fuite. Le crapaud resté derrière se trouvait alors le plus proche, en bordure du lac, à quelques mètres de la berge, à des centaines de mètres de ce monstre, il n’aurait pas su estimer la distance, seulement le danger. Pourtant au lieu de fuir, incapable d’y réfléchir, il courut en cette direction, s’engagea au-dessus du lac le bras au visage.

Sous le corps qui mimait un thorax s’étendaient des paquets de chaînes traînantes, de toutes tailles, dont les entrechocs formaient le plus grand vacarme. Là, dans cette masse, il avait repéré malgré la distance la silhouette de Ninja. Évanouie, prise dans cette toile de maillons elle pendait misérable. Il savait n’être pas de taille, pour autant le crapaud courait la secourir. Il passa entre les pattes, alors que leur mouvement l’ignorait, il s’agrippa aux chaînes pour escalader jusqu’à elle, peine à plusieurs reprises sous la crainte d’être écrasé, enfin y parvint, alors que le jour se levait, le lac prenait toute sa couleur, les dernières étoiles avaient disparu, il se trouva à hauteur de la militaire.

Celle-ci entrouvrit les yeux, encore sonnée, elle tourna la tête des deux côtés, vague, sans rien voir. Il cherchait déjà le moyen de la libérer quand un mouvement brusque lui fit lâcher prise, en pleine chute des séries de chaînes l’agrippèrent, il se retrouva à son tour prisonnier. Plus il tirait, plus les anneaux se resserraient sur ses membres. Au-dessus de lui la militaire murmura : « Enfin. » Elle retomba dans l’inconscience, soudain Bufo comprit pourquoi, les chaînes serrant gênaient sa circulation, il respirait de plus en plus mal, sentit sa tête tourner, vit encore la colonne en fuite vers laquelle la machine à présent se dirigeait.

Un premier groupe s’était déjà formé devant les écrans, augmenté toujours par les autres passants alors que les images n’avaient toujours pas de commentaires. Seule l’image fixe, lointaine, un peu instable, filmait cette araignée d’acier, la petite souris voulut savoir ce qui se passait. Un décalage de l’image montra le pic plein de fumée qui lui fit comprendre où cela avait lieu. Elle se rappela, soudain, cet étudiant parti en train, qui devait revenir un jour, qui devait se trouver là-bas. Enfin un présentateur prit la parole.

Cela se déroulait vers les grottes de cristal, au nord, à la frontière de l’Holoska, l’objectif changea de vue pour montrer, sur la carapace rouillée, le symbole presque effacé du savant fou. Cette machine infernale n’avait pas d’âge, ils en filmaient de loin le mouvement destructeur. De plus en plus de gens suivaient avec une attention presque muette, peu de commentaires, les yeux fixés sur ces détails dont parlait le commentateur. Soudain à la surface de la machine se produisit une déflagration, un souffle de flammes mordit la carapace, alors la caméra se tourna vers le ciel où filait une nouvelle étoile.

Il s’agissait d’une des unités mécanisées des militaires dont la propulsion avancée produisait cette traînée d’un bleu froid. La machine de l’armée fit face à la machine gigantesque, déploya son armement, en même temps perdait son altitude comme sa vitesse. Ils se firent face, une pluie de roquettes alla s’abattre sur les articulations, sans effet. Pearl à cette vue serra ses petites mains sous son museau, effarouchée, retint son souffle. Autour d’elle tous suivaient les événements toujours attentifs, sans mot dire sinon quelques commentaires déplacés. Le commentateur annonçait le déploiement d’une unité.

Face au monstre de plusieurs centaines de tonnes s’opposait le poids mouche de l’armée. Il tira encore, aussitôt les spectateurs virent jaillir ces chaînes de tous côtés, s’étendre sur les formations de glace, s’enfoncer dedans pour rejaillir, plusieurs de remonter verticales pour abattre l’engin de combat. Ce dernier évita, glissa sur le côté, un instant toucha terre pour recharger avant de repartir d’un coup de réacteurs. La petite souris eut un bond du sol, presque instinctif, alors que ses yeux brillaient. Elle sentait battre son cœur, n’osait dire mot, se tendait au travers de la foule pour mieux voir.

Un autre plan montra les hélicoptères en approche, transportant le personnel et sous leurs habitacles l’armement lourd. Ils risquaient d’arriver trop tard, ils venaient du sud, de très loin. La voix d’un autre commentateur demanda comment une intervention aussi rapide était possible, à quoi personne ne donna de réponse. Pearl ne voulait rien savoir, elle suivait sur l’image revenue cette petite machine derrière laquelle elle devinait le pilote qui s’acharnait à trouver une faille.

Soudain une des chaînes plus rapide frappa l’appareil, déchiqueta un réacteur et l’engin de filer au sol. Alors une seconde chaîne alla le transpercer de part en part, il y eut une explosion, puis un paquet de fumée s’écrasant au sol. Personne n’avait rien dit, personne ne réagit, ils regardaient toujours ces écrans dans l’attente mais Pearl, la face décomposée, n’arriva plus à sentir le sol sous elle, le monde se dérobait, soudain elle réalisa. Alors sans pouvoir se retenir la petite se mit à hurler, les gens se retournèrent, la virent qui secouait la tête les yeux pleins de larmes, ne comprirent rien à sa réaction. Il y en eut un pour la prendre à l’écart et la calmer, tandis que l’action continuait, monotone.
« Dernière édition: Mai 17, 2010, 10:01:50 am par Feurnard »
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #26 le: Mai 17, 2010, 10:00:56 am »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
Fin de chapitre, fin de partie et plus rien d'ici septembre. Autant de temps en plus pour commenter les autres.

****

En quelques instants la machine avait rattrapé les fuyards, un à un les chaînes les attrapait, les tirait jusque sous son torse où ils restaient à pendre. Une nouvelle vague de roquettes, suivie de coups de canon, éclatèrent sur les articulations. Les hélicoptères à peine déchargés s’écartaient à nouveau, le tir nourri sembla produire un effet, le robot s’éloigna à pas lourds en direction du centre du lac. Au sol l’unité déployée observait cette araignée trop vaste pour leur seul armement, et qu’ils ne pouvaient pas frapper tant elle recelait de puissance. Soudain l’un des soldats tourna ses jumelles du côté de leur unité mécanisée, abattue.

L’habitacle de verre avait été retiré, Le pilote traîné sur quelques mètres reposait contre un de ces blocs taillés par le vent. Ils regardaient, cependant, la civile qui l’y avait aidé, qui l’avait tiré là, qui maintenant s’acharnait à retirer une des roquettes.

Elle sentit le poids de l’ogive lui peser entre les bras, en même temps sentait la chaleur dégagée suite à l’écrasement, ainsi que la menace contenue par l’explosif. Son pelage d’un gris de cendre se détachait sur la glace, sa chevelure perdait sa teinte noire, sauvage, battait le long de ses omoplates, jusqu’au creux de ses reins. Luck voyait le robot qui se rapprochait, qui allait passer près d’elle, près de la machine écrasée. Elle se mit à courir, sa munition entre les mains, sans y réfléchir, sans arrière-pensée. Aussitôt le commentateur, tandis que la caméra la suivait, parla des Combattants de la Liberté. Pearl se calmait à peine : elle vit la louve se précipiter à l’assaut du colosse, armée de cette simple bombe.

Elle gravit la plus haute des formations, en même temps que les pattes articulées s’approchaient bondit, s’agrippa à la surface métal, la munition sous le bras se mit à escalader ce membre dont la rouille offrait autant de prises. La machine se figea, tourna sur elle-même en quête de cette ennemie nouvelle, la patte qu’elle gravissait se souleva, retomba plusieurs fois dans des secousses terribles. À chaque fois elle changeait de bord, continuait son escalade, jusqu’à atteindre les circuits de l’articulation. Il y eut des murmures parmi les téléspectateurs, quelques paris. Dans la distance qui séparait cette patte des paquets de chaîne, entre ces deux lieux séparés Bufo parvint à apercevoir Luck et Luck aperçut Bufo. Ils s’observèrent, de loin, pendant quelques secondes.

Ses membres entravés par tant de chaînes l’empêchèrent de réagir. Il sentait sa faiblesse, il la sentait enfoncée dans sa chair, entaillée. Elle, elle était là, à des milliers de kilomètres cette ogive entre les bras, à affronter cette machine démesurée. La tête lui tournait, son regard devint flou, il craignit sombrer dans l’inconscience. Luck le vit se confondre parmi tous ces maillons mêlés, aussitôt de se mettre à courir le long du membre mécanique, alors qu’il se relevait, de se plaquer contre la rouille, s’y tenir, se relever les yeux fixés sur ce point en-dessous du torse que les chaînes obstruaient.

Les chaînes sifflèrent autour d’elles, ricochaient contre le métal, fusaient pour la frapper. Elle bondit, s’accroupit, en un saut se jetait sur les maillons pour y courir parallèle à ce corps d’acier en plein mouvement, qui crevait de ses pattes la surface du lac et la fracturait. Le vide se présentait à elle, Luck s’y jeta, sans réfléchir, mit toutes ses forces dans ce dernier effort. L’instant d’après, elle était accrochée à toutes les chaînes, sous le torse, elle grimpa, avec l’énergie du désespoir, jusqu’au sommet.

Tout ce qu’il y avait de rouille sur le dos de l’araignée métallique, là où les munitions de l’armée avaient fait le plus de dégâts des séries de petits modules surgirent, armés d’un simple laser, qui filèrent le long des flancs pour passer sous le torse. Elle les vit approcher de tous côtés, un rayon frappa dévié seulement par un maillon plus lourd que l’énergie fit grésiller. Le sommet lui semblait hors d’atteinte, une pensée traversa son esprit, qui la poussa jusqu’au bout. Malgré les tirs et l’épuisement la louve atteignit ce point où les chaînes sortaient du torse, tordues jusque sous les paquets d’yeux de ce jaune vif effacé, elle y enfonça la roquette le plus profondément possible.

La tension fit le reste, avant qu’elle n’ait redescendu de dix mètres les frottements successifs faisaient détoner l’ogive. Sans effet d’abord, les entrechocs s’amplifièrent, des dizaines de ces chaînes brisées commencèrent leur lente chute. Bufo sentit les liens se desserrer, il reprit espoir, son cœur battit plus fort. Avant d’être emporté il bondit, parvint à se rattraper aux maillons environnants. Un fracas d’acier rencontra la glace, la creva. Dans les secousses suivantes il lâchait prise, à son tour tombait sans plus pouvoir rien y faire. Luck lâcha prise, tous deux s’effondrèrent dans le lac.

Ils se retrouvèrent dans l’eau glaciale. Mais tandis que le crapaud y retrouvait ses moyens, il vit la louve qui en traversant la surface avait été assommée. Elle plongeait, encore soutenue par quelque force comme une plume dans l’air avant de perdre toute portance, une aspiration inconnue l’appela dans les profondeurs. Le lac s’enfonçait à plusieurs milliers de mètres. Bufo, encore engourdi, la vit à la lumière de la surface, disparaître ainsi. Il se précipita après elle, nagea au plus vite, à sa poursuite, dans l’obscurité de cette eau glaciale, laquelle lui transperçait la peau. L’air lui manquait, il se sentait emporté à son tour.

En profondeur dans la plaine l’unité des militaires était impuissante à agir. Elle constatait, inutile, les mouvements du monstre d’acier aux couleurs du savant avec ses prisonniers. Ils ne tentaient plus rien mais attendaient comme attendaient ces milliers, ces millions de téléspectateurs devant tous les écrans allumés, qui voyaient la caméra vaguement tremblante se fixer sur la machine, au-dessus du lac, alors que l’aube rendait une lumière toujours plus forte, les ombres s’étiraient, depuis plusieurs minutes le commentateur expliquait une situation qui apparaissait à tous, sans issue.

Si la télévision filmait, elle avait une raison, cette machine à elle seule ne justifiait pas toute cette attention tant il y avait de ces sortes d’incidents chaque jour, dont il semblait qu’ils étaient sans importance. En filmant ils avaient un but, une attente précise, s’ils avaient été présents avant même les militaires c’était pour cela et cela seul que le cercle nord depuis ces derniers jours avait acquis l’attention du monde, une présence nouvelle.

Ces modules sphériques qui tournaient autour de la machine, jusqu’alors sans cible, soudain se groupèrent en hauteur et de viser le même point dans la distance, presque à l’horizon. Tous en même temps tirèrent en un rayonnement continu, une, deux, quatre secondes, les lasers de crépiter, de révéler les salves de tirs nourries qui ne cessaient de s’élever dans le ciel, huit, neuf secondes, les spectateurs alors de sentir ce frissonnement indescriptible, la joie, presque instinctive, ils sentaient que cet instant était venu.

Dans le même instant tous les modules éclatèrent, frappés par le bang supersonique, ils allèrent s’écraser de tous côtés dans la glace. Une traîne bleue flottait encore aux regards de tous les observateurs, la caméra n’avait pas saisi le mouvement, l’impact n’avait pas duré, sous le coup la machine ploya. Elle sembla près de s’écraser, se redressa quand un coup porté à l’une de ses pattes fit voler celle-ci en éclats, et l’engin de pencher misérablement de ce côté, impuissant à se défendre. Ils virent alors, au milieu du ciel, emportée par son propre élan cette sphère de bleu miroitant prête à s’abattre, le commentateur de s’extasier, toute la foule se souleva au même cri, c’était lui !

Un nouveau bang secoua la plaine, l’araignée d’acier traversée de part en part vacilla, tangua sur le côté, une explosion monstrueuse en souffla la majeure partie de la carapace. Aux coups données les chaînes s’effondraient par paquets, libéraient tous ses prisonniers qui dans la foulée se mettaient à fuir, et la foule d’acclamer d’une même voix, de se laisser emporter par l’allégresse, par la victoire ! Le monstre d’acier à l’agonie tenta une vaine attaque, déjà la tornade tournant autour par trois fois sciait la glace, aussi fragile, qui se brisa, l’engin tout entier d’une seule pièce alla s’effondrer dans les eaux glaciales du lac. Les images montraient ces soldats qui jetaient leurs casques en l’air, et brandissaient leurs armes mais aussi ces foules accumulées aux angles des villes, pleines d’acclamations et sur le lac, regardant la machine infernale se débattre alors qu’elle sombrait, Sonic !

Les rescapés accouraient à sa rencontre, de lui parler, de le remercier, de lui répondre, pas un qui ne voulait lui serrer la main. Les véhicules militaires s’arrêtèrent tout près, ils firent reculer tout ce monde tandis que le sergent allait parler à la cheffe de projet, Hazy encore choquée répétait qu’ils avaient eu de la chance. Un journaliste avait rejoint le hérisson bleu, celui-ci évadait les questions, lorsque le moteur du biplan ronronna dans le ciel il s’éclipsa en un éclair, aux derniers mots du commentateur la foule de se disperser.

Presque aux abords de la montagne là où la vapeur d’eau roulait encore au sol en une vaste brume les flots bouillonnaient toujours, non pas brûlants mais dérangés, qui affluaient, refluaient à mesure que la glace reprenait ses droits. Les blocs de roche avaient dérivés avant de se retrouver pris et immobiles pour les temps à venir. Le vieux biplan tourna derrière le pic par le côté du défilé, revint à basse altitude sur le lac, leva le nez, enfin toucha la glace dans une longue langue dégagée, presque lisse, où les trains trouvèrent suffisamment d’espace pour freiner. Il glissait cependant, pas loin, loin à l’écart des foules.

Cette arrivée inopinée ne le dérangea pas, il ne songea pas à appeler, il espérait, au contraire, que personne ne les remarquerait. Le crapaud s’écroula, épuisé, aux côtés de la louve inconsciente. Il ne sentait pas le froid, uniquement la fatigue assez pour craindre de ne plus se réveiller. Son gant trempe lui gelait les doigts, l’autre, déchiré, les laissait à la morsure de l’air. Ils baignaient dans cette sorte de brume froide dont l’eau en les recouvrant leur rendait le vent plus vif encore. Le moteur pouvait tourner, lui, tout ce qu’il voulait, c’était rester dans ce coin plus longtemps, tranquille, oublié du monde.

Le courant les avait fait dériver jusque-là où ils avaient ressurgi sans efforts. Alors le crapaud avait tiré son amie hors de l’eau, jusqu’à un espace entre les formations glacées. Il s’était assis quand même à l’écart, malgré l’envie d’un peu de chaleur, par une sorte de pudeur qu’il ne s’expliquait pas. Là-bas, ils pouvaient parler, tout cela ne le concernait pas, ne l’avait jamais concerné, il le savait, il n’avait été qu’un incident. Son seul souhait avait jamais été de suivre des cours, comme tout étudiant, à l’une de ces universités obscure au monde, pour quelque travail obscur loin des histoires du monde. Il se trouvait à moins de dix mètres de deux de ces célébrités que la moitié de la planète chassaient pour la moindre nouvelle, dont lui-même parlait à chaque dîner, comme en leitmotiv.

Quand même il l’aurait voulu, cette discrétion ne pouvait pas durer. Le pilote du biplan, ses lunettes relevées, alors que la brume offrait une percée pointa du doigt ces deux autres rescapés du combat. Il avait presque l’air surpris de les voir, Bufo n’en savait rien, ne cherchait pas à savoir.

« Eh ! Ça va vous deux ? »

Tout, absolument tout dans cette question lui déplut. Un reflux viscéral lui donna envie de répondre, il se retint. La colère qu’il ressentait devait être l’effet du combat, le besoin d’exprimer la panique et les milliers de sentiments divers nés de tant de conflits. Le hérisson avait marché jusqu’à eux, aussi normalement que n’importe qui, pour s’arrêter à leur hauteur. Le crapaud leva ses pupilles de braise sur le héros mondial, ce hérisson mains jointes dans la nuque qui paraissait satisfait de lui-même.

Son regard avait dû exprimer tout ce qu’il pensait, ou bien la fatigue dessinait sur son visage un masque terrible. Il se sentait de l’hostilité, inexplicable, pour celui qui venait de les sauver ainsi que toute l’équipe de recherche. Alors réunissant ses ressources, comme le hérisson insistait, il assura que tout allait bien pour eux. Cette réponse si peu sincère parut suffisante. Ils avaient été rejoints par le pilote, si jeune, qui parut bien plus inquiet de leur état. À nouveau Bufo répéta qu’ils iraient très bien, trouva même le moyen de les remercier. Il n’en songeait rien, ne savait pas pourquoi, ne cherchait pas pourquoi, il voulait leur crier dessus et ne trouvait pas les mots pour s’exprimer.

Comme les deux héros allaient se retirer, le moteur commençait à refroidir, le hérisson se tourna une dernière fois : « Allez, crache le morceau ! » Il le dit de telle manière que les défenses du crapaud s’effondrèrent. Les mots lui vinrent comme à chaque fois, ceux qui le rendaient si ridicule en société.

« Tu n’es pas Sonic. »

« Ah ? Si tu le dis. »

Probablement le hérisson ne l’avait pas cru. C’était certain. Une fois l’avion reparti le crapaud se laissa aller en arrière, relâcha tous ses muscles. À présent civils et militaires, ainsi que la presse, attirés par l’atterrissage du biplan convergeaient dans leur direction. Un hélicoptère atterrit, la porte coulissante s’ouvrit sur Hazy, la souris encore nerveuse se porta à leur rencontre des couvertures entre les bras.

Le jour même les militaires fermaient le site de l’autel de charbon. Avec l’appui de Ninja le groupe de recherche ne repartait pas les mains vides, toutes leurs notes leur avaient été rendues en l’état, ainsi qu’une série d’artefacts recouvrés de l’ancienne forteresse. Les ouvriers n’avaient pas attendu le lendemain pour faire leurs adieux, leurs tribus les attendaient. Ceux-ci avaient retrouvé leur bonne humeur coutumière, ils se racontaient sans jamais se lasser ce sauvetage après un tel événement. Et d’en rire. L’absence de la taupe pesait à tous, ils ne l’avaient qu’entre-aperçue le lendemain, dans son véritable uniforme, alors que les hélicoptères de son unité redécollaient.

Aussi n’étaient-ils plus que trois sur le motoneige qui se rendait au village, d’où le train devait les ramener chez eux, à la cité universitaire. Hazy avait laissé les commandes à son dernier assistant, après l’avoir gratifié d’un haussement de sourcils, la rédaction de son prochain rapport seul lui importait. Tout à l’arrière du véhicule même lorsqu’ils approchaient du village, détaché d’eux la louve n’avait pas dit un mot. Encore tremblante elle souffrait des effets du froid, cependant avait refusé tout traitement. Une sorte de culpabilité dont il était difficile de se départir lui pesait depuis que Bufo avait compris le trajet qu’elle avait parcouru, et la seule motivation qu’elle avait pu avoir de se rendre dans le nord.

Quand ils quittèrent le régional à la bordure tiède, dans un petit compartiment privé Hazy décida d’aller leur commander des places au restaurant. Elle cachait mal son impatience en vue d’annoncer ses résultats à Field. Les deux étudiants, restés seuls, regardaient chacun leur coin de siège, toujours silencieux.

D’abord Bufo : « Comment va Rye ? » Puis Luck laissa échapper un grognement. Elle jeta un regard par la vitre où les étendues glaciales s’étaient mises à défiler à l’envers. « Et Pearl ? Et Juicy ? » continuait le crapaud, un peu plus détaché. Elle ne prit pas la peine de répondre, se laissa absorber par le paysage.

« Et toi ? »

Sur le quai de la cité universitaire ils descendaient les marches surpris par l’affluence du jour, par tout ce monde après des semaines de solitude, la hase la première se jeta sur Luck et l’enlaça, lui répéta combien elle leur avait manqué. Le magasin au complet s’était déplacé, fiers de leur employée, heureux de la retrouver indemne. Les deux petites se précipitèrent sur Bufo, le pressèrent de question, la souris comme menue, entamée par une nuit de cauchemars, lui parut encore les yeux rouges et le visage tremblant, elle serra sa main dans laquelle elle étouffa des larmes.

Il y avait Rye, il y avait Field, le professeur grogna pour que ses étudiants lui fassent de la place, de donner une grande tape dans le dos du crapaud avant de serrer les deux mains de Hazy. Il triomphait, c’était visible. Deux jours après le quai avait retrouvé son rythme quotidien, la rentrée toute proche et les nouvelles occupaient la majorité du temps, à peine cette animation de la jeunesse perturbait cette quiétude insouciante. La nuit, sur le balcon, observant cette cité plongée dans les ténèbres il attendit que les chao chantent, une manifestation qui ne vint pas.

___________________________________________________________________________________________

Journal :
Déçu pour deux raisons, quoique tout se soit à peu près bien passé. D’une part quand Bufo est fait prisonnier, cela arrive sans la moindre motivation. D’autre part la rencontre avec Sonic ne porte rien.
Tout s’est enchaîné, une fois encore, sans mal, grâce à la masse d’événements que je voulais mettre en scène. La page 7 est allée moins facilement, suite au combat, j’ai l’impression qu’elle traîne. Au contraire il me manque presque un paragraphe entier pour bien conclure à la dernière page.
Il aurait été difficile d’améliorer ce combat… trop de choses qui arrivent un peu trop détachées, pour autant les descriptions restent un peu vague et l’unité manque. J’ai dû corriger par trois fois, d’abord dans le puits puis à l’extérieur, le comportement de Bufo pour qu’il ne joue pas au héros, car systématiquement cela s’achevait dans une impasse. C’est la nature de Bufo de subir, il est fait comme ça.
Il y a beaucoup de scènes où j’aurais voulu me laisser au dialogue. Je ne sais pas si j’y gagne ou si j’y perds.
Le plus réussi, mais pas le plus marquant, est la réaction de Pearl à la destruction du mécha’. J’ai oublié que Shard devait être celle qui la réconforte.
« Dernière édition: Juin 07, 2011, 09:57:50 am par Feurnard »
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #27 le: Août 15, 2010, 02:50:56 pm »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
Résumé de la première saison (épisode 1 à 7) :
Bufo est un crapaud rêveur venu s'inscrire à la cité universitaire et forcé de vivre en colocation avec des camarades excentriques. Dès le premier jour son professeur l'envoie de l'autre côté de la planète où il affrontera une machine destructrice et rencontrera Sonic.
Rien que ça.
De retour indemne Bufo espère avoir laissé l'aventure derrière lui.


Comme toujours quatre pages chaque semaine, la seconde saison est encore moins aventureuse que la première mais plus cohérente car planifiée.
J'ai déjà eu du mal à reprendre ma propre fic', je tenterai de passer chez celles des autres. Promis. Quand je pourrai.

The Chao's
Theory

Épisode 8 :

À travers les feuillages berçait un vent léger venu de la pente, plus loin les ombres s’ouvraient sur la cour baignée de soleil, il faisait frais, une foule de sourires et d’animation se pressait par les sentiers entre les blanches façades des facultés les arcs-en-ciel jetaient leurs éclats. De loin en loin aux écarts de la ville le sifflement d’un train servait de sonnerie, les étudiants discutaient mêlés de rires à la fraîcheur des bancs.

Il allait de même et frissonnant deux livres aux bras Bufo parlait emporté par ses camarades, ils s’égaillaient à l’entrée de la cour, les autres marchaient sur l’herbe. Par des gestes de la main chacun se séparait les plus pressés retournaient à leurs tâches, à son tour l’étudiant les quittait pour la sortie, son ami le rattrapa. « Et alors ? » Il lui tendait une canette, perçait la sienne du doigt tout occupé à jouer avec. Sa carapace au soleil lui était plus légère, en même temps qu’ils parlaient il la couvrit de son sac, son visage ruisselait. Ils parlaient des filles du campus, comme cela ne convenait pas, changèrent de sujet.

Leur professeur avait presque oublié son cours à force de leur révéler ses découvertes, au lieu des langues et des artefacts la classe subissait l’enthousiasme du jaguar. Aussi les leçons prenaient-elles de l’intérêt, ils en discutaient parfois, son ami acceptait d’écouter d’une oreille. Ces histoires de chaos l’intéressaient moins que les légendes des temps anciens.

Vastes au-dessus de leurs têtes s’ouvraient les entrelacs de la fontaine, l’eau perlait en plein ciel telle une pluie d’étoiles, ils passaient près des bassins de verre où les cascades troublaient la surface de milliers de cercles évasés. Bufo s’essuya le front, sur lui les gouttes pouvaient couler librement, donnaient à sa peau un aspect moins livide. L’air humide que les fleurs par bouquets chargeaient au plus près des flots coulait sur les corps en un froid soudain, sous les jets quelques jeunes se murmuraient. Shell secoua la tête, l’eau coulait dans sa nuque, il se tapa les bras pour réveiller ses membres.

« On va le boire, ce verre ? »

De son côté Bufo tendait la main vers la canette, il avait la tête à ça, même si ses yeux s’évadaient parmi la foule des étudiants à la recherche d’une silhouette qu’il ne trouvait jamais. Il s’arrêta, donna du coude et désigna à l’entrée une personne qui les observait, de loin, sans se cacher, qui ne les quittait pas des yeux. Il la reconnaissait, son ami également en la voyant demanda si elle était amicale, l’air insouciant, l’air seulement. À l’entrée Ninja attendait, bras croisés contre le bord du tunnel elle faisait sentir sa présence, la tortue lui dit de faire attention avant de le laisser.

En secret l’étudiant le remerciait de ne pas rester, il avait senti la méfiance. À son approche Ninja s’était redressée, s’était mise au repos le dos dressé, il avait l’impression que des milliers d’yeux les regardaient aussi surpris que lui-même. La taupe portait le pli de ses gants à angle tranché, les chaussures lacées elle tenait dans sa main peu discrète le béret de sortie, quand ils furent l’un devant l’autre elle ne salua point.

Derrière elle se profilait la rue, le jour en fin de course y jetait des feux plus vifs en contraste du tunnel où les ombres rendaient la pierre glaciale. Elle s’était détachée à moitié dans la lumière, accepta de le suivre quand il voulut traverser, la taupe ne disait pas un mot. Enfin : « Tu as des fréquentations douteuses. » Le ton pour le dire avait été trop formel pour le toucher, il lui revenait un mauvais goût dans le goitre à y penser, il n’avait rien envie de répondre, pas même lui demander ce qu’elle lui voulait.

Bientôt les rumeurs de l’université s’étouffèrent, de l’autre côté du tunnel la rue se trouvait à peu près vide, les cascades de l’administration roulaient sans bruit devant les quelques voitures à l’arrêt. Elle lui demanda s’il était de confiance, Bufo ne comprenait pas, elle répéta, il lui fallait savoir, elle ne voulait pas le voir impliqué. Il s’agissait des Freedom, les combattants de la liberté, il aurait voulu rire à cette idée tant celle-ci lui paraissait improbable. Ninja secoua la tête. Elle accusait Shell, ne doutait pas qu’il en fasse partie, ensuite laissa tomber le soupçon sur l’appartement. L’étudiant voulut nier, elle s’avança assez près pour le surprendre, lui fit entendre qu’il valait mieux changer ses fréquentations.

Son visage ne montrait nie joie ni amabilité, seulement les traits durs du devoir. Le cou levé assurait son ascendant, qui rejetait toute relation passée. Il lui répliqua de ne pas se mêler de sa vie, qu’elle en avait déjà assez fait.

Pour autant la militaire n’en avait pas terminé, elle le laissa se calmer avant d’aborder Victrix. Le dossier était tenu secret, il avait été la raison de sa présence là-bas, dans le nord. Elle s’assombrit en parlant de l’incident, évoqua la disparition d’une équipe. Le souvenir lui revint de cette piste à flanc de montagne, écroulée, exactement où elle situait l’événement. Il se rappela l’éboulis en même temps que la glace, le lac gelé aux frontières de l’Holoska, si loin déjà. Ses chefs voulaient connaître la cause, ils croyaient à une arme, si tel était le cas ils devaient savoir avant qu’elle ne soit à nouveau employée.

« Qu’est-ce que tu attends de moi ? »

Elle s’approcha, l’obligea à reculer, Ninja avait la froideur de son grade, une rigidité de caractère qu’il ne lui connaissait pas. Ses mots claquèrent contre son palais, elle devait à travers lui s’assurer des travaux du professeur Frédéric et si possible, espionner les combattants de la liberté. Alors :

« Reste en-dehors de tout ça. » Cela valait mieux pour lui, il n’était pas de taille.

Ces mots dits, lorsqu’elle fut sûre de son effet la taupe se recula, libéra la rue de son emprise, sur eux soufflait le léger vent en fin de journée. Il répondit quelque chose, ne s’écoutait pas parler, Bufo préférait rejeter cette discussion dans le poing douloureux de son ventre. Autour d’eux les gens passaient sans prêter trop d’attention. Les pavés du trottoir fraîchis ajoutaient à leur froideur les façades des immeubles alentours, de la vie vacillait à toutes les fenêtres sur laquelle il n’avait aucune emprise, l’étudiant était attiré vers le centre ville par les hauteurs de la gare et ses rails en entrelacs.

Il sentit sa tête bourdonner, se décida à partir sans qu’elle le retienne la route enfin les sépara, chacun de son côté elle le fixait encore entre les véhicules rares, les enfants passaient derrière puis quelques étudiants pressés, la taupe l’observait imperturbable. Lui tâtait son front où une douleur le lançait, sous la bulle de verre il se disait que la moiteur avait dû le saisir, le souvenir ne le lâchait pas des plaines glaciales. Bufo inspira, le bus s’arrêtait devant l’abri avec ses larges fenêtres le véhicule les cachait tout à fait.

Alors l’étudiant se surprit à réfléchir aux raisons que Ninja avait de lui mentir, si elle disait vrai, aux personnes qu’il ne connaissait pas si bien. Il se répéta l’expression agacée qu’elle avait laissé voir en parlant des Freedom. Pris dans ses pensées il était resté dans la porte du bus qui démarrait, un rire familier le ramena à lui. Le chauffeur piaffait à pleines dents de ce comportement enfantin, sa bonne humeur le fit à son tour sourire. Par les fenêtres la ville défilait, ils quittaient la rue, le crapaud se laissa tomber sur un siège.

Presque toute la cité s’ouvrait sur les pentes les immeubles étincelaient, une verdure colorait les avenues aux angles les parcs pleins d’arbres laissaient voler dans l’air quelques feuillages, il la voyait au travers du ruissellement de la vitre le ciel d’un bleu clair s’épaississait comme venait le soir au défilement se muait en lignes fugaces. Bufo ne savait si c’était la fatigue ou sa pensée laissée libre, il avait du mal à se concentrer : ses doigts pianotaient sur le téléphone, il informait son professeur de la rencontre, de l’intérêt que provoquaient ses recherches. Il hésita, l’envoya quand même.

Tandis que le bus s’arrêtait il avait fermé les yeux, l’étudiant laissa glisser ses livres sur le siège, les gens se pressaient très jeunes qui parlaient avec exaltation, par petits groupes, ils repartaient au léger tremblement du moteur. L’eau formait sur les vitres une voûte d’étoiles, les laissait luire éphémères avant de glisser les lignes s’y confondaient, le monde se laissait couler avec. Quand il ouvrit les yeux le ciel très clair était empli d’astres, il sentait sous ses pieds la secousse, le bus tournait par l’avenue en un lent balancier. Plus loin l’appartement se découpait devant les pentes, Bufo s’arracha à son rêve.

Le chauffeur lui lança tandis qu’il descendait : « Ça va aller ! » Il opina de son sourire, se fit rappeler d’aller récupérer ses livres puis pressa le pas en vue de l’étage. Au passage il vérifia que la porte de la voisine était fermée, soupira et tenta de se rappeler ce qui avait pu l’inquiéter en quittant l’université, une discussion qu’il avait eue, lointaine, l’étudiant ne s’en rappelait qu’une rumeur vague. Son téléphone vibra, ce n’était pas le jaguar mais Shell qui lui rappelait de trouver un jour pour partager ce verre.

Après la porte la propreté le frappa, l’air frais entrait par plusieurs fenêtres, il fut surpris par la pénombre du couloir. La louve après son nettoyage avait démonté l’un des verres, là où elle se tenait la lumière du jour se perdait. Il la surprit de dos, sans qu’elle se retourne, il n’osa rien faire pour la déranger, préféra attendre. Dans la pénombre artificielle son pelage de cendre s’offrait plus clair, elle se tendait en avant et penchée pour mieux voir, son ventre se creusait à la pointe de la chevelure sauvage dont la teinte noire la contrastait.

Comme l’étudiant l’observait faire la question se posa à lui soudaine de ce qu’il savait d’elle, son passé et son histoire, il la vit à nouveau en étrangère. Ses gestes l’absorbaient au plafond en partie cachés ses doigts jouaient sur les fils, il regarda les gants aux bandes serrées jusqu’aux coudes, tirées sec, qui la rendaient sévère. Le mot lui revint, Freedom, il se demandait si elle y participait, si elle avait combattu déjà, en leur nom. Aussitôt Bufo chassait cette idée. Il cherchait une réponse dans ses oreilles baissées, dans la courbe du cou et des épaules où la chevelure se noyait.

Cette situation le dérangeait, il préféra rompre sa gêne. À peine adressa-t-il la parole que Luck se tournant le dévisagea l’air fière, souffla entre ses dents : « Kh ! » Elle avait remis en place la coupole de verre.

En quelques instants le couloir se retrouva vide, la porte de la cuisine se fermait, il remarqua que la télévision était restée allumée le son coupé, l’image de la caméra oscillait dans son mouvement. Bufo s’installa sur le canapé, régla le volume alors que les nouvelles se développaient, toujours les mêmes, le commentateur expliquait, ils passaient d’anciennes images. Un instant les gens interrogés s’exclamèrent puis le ton informel reprit suivi d’un nouveau communiqué, il devina lui-même la curiosité et l’impatience qui rongeaient le public tandis que les premières images étaient dévoilées.

Néanmoins ce qu’il attendait n’arrivait pas, aucune nouvelle ne filtrait ni sur les combattants ni sur l’Unité, la bande défilante non plus ne disait rien. Une tornade médiatique couvrait les histoires secondaires, il tenta une chaîne locale, découvrit les mêmes images en direct. Là-bas les célébrités mondiales poursuivaient leur combat, le présentateur assurait qu’ils allaient réunir les sept pierres, Bufo résista à l’envie d’éteindre.

Quand la porte s’ouvrit il voulut se lever, persuadé que c’était Rye. Une série de rires le dissuada, les deux petites entrèrent en coup de vent, le bousculèrent de son canapé. La loutre lui tournait autour avec ses questions d’adulte dont elle ne voulait pas la réponse, lui demandait comment étaient allés ses cours, elle le poussait hors de la pièce. Pas à pas derrière Pearl les suivait, elle avait encore sur ses épaules le petit sac d’école d’où dépassait sa règle, ses espadrilles piquaient le tapis presque sans le toucher. Les filles voulaient le salon pour elles, toutefois tandis que sa camarade se précipitait vers la table la souris resta aux côtés de l’étudiant, dans le couloir.

Elle gardait la tête baissée, n’osait rien dire troublée à l’idée de se faire remarquer, sa voix murmurait alors qu’elle réunissait son courage. La petite leva les yeux sur lui, demanda s’il pouvait l’aider. Elle eut ce mouvement fragile qui l’empêcha de refuser, malgré toutes ses préoccupations il la poussa à continuer.

Un trouble passa sur ses yeux clairs, la demande qu’elle avait dû répéter plusieurs fois lui échappait, la porte d’entrée s’ouvrit de nouveau sur Rye. En l’entendant Bufo tourna la tête, la petite sentit qu’elle ne pourrait rien dire, préféra se retirer. Comme elle se retournait le crapaud s’excusa, la pressa pour qu’elle aille jusqu’au bout. Mais Juicy devant la table son ordinateur allumé appela l’écolière, sa confusion la fit remettre la requête à plus tard. Elle alla se blottir contre la loutre, toutes les deux amusées par ce qu’elles lisaient sur l’écran oublièrent les autres locataires.

Entre ses deux sacs le visage de Rye transparaissait à peine, de nombreuses herbes crèmes et lotions qu’elle ramenait pour le bain les bouteilles s’entrechoquaient, il referma la porte pour elle. Il la suivit, la débarrassa d’un sac tandis qu’elle vidait le second sur le pourtour de la baignoire, la gazelle se penchait tout à fait sous le rideau de toile. Les produits une fois déposés ajoutaient leurs senteurs à la pièce, il y flottait des baumes épicés, un peu fauves. Lui se tenait dans le coin de la pièce, à observer le couloir.

La gazelle l’appela pour le second sac, lui demanda de le tenir le temps qu’elle les mette en place, il lui fallait trier. Elle puisait de ses mains graciles puis hésitait, alors se mouvait pour ranger, sa chemise légère pendait par le rebord. Il sut qu’il se posait la question pour elle, si elle avait pu se battre il ne le concevait pas. Bufo haïssait ce doute injustifié, ce besoin de savoir, de s’immiscer dans leur vie privée. Elle laissait aller ses cornes striées en un mouvement naturel, il ne savait expliquer l’air triste sur son visage.

Plus un espace ne restait entre les lotions entassées, un petit monde de savons et de parfums bordait les robinets. Elle se redressait, guigna du côté de la porte lui pliait les sacs, elle s’approcha doucement pour lui toucher la joue. « C’est ma manière de remercier ! » Elle avait le visage triste, réellement, il crut le réaliser tout à fait ce petit trait où s’éteignait le bonheur sur son pelage au grain de seigle, elle joignait les bras sur son ventre. Bufo s’excusa, il avait de la lecture pour l’université, chassa toutes les questions qui se posaient, tous les doutes, dans le corridor une porte claqua, sans doute un courant d’air.

De par les fenêtres s’étirait le soir, l’astre lançait ses rayons au plus près des pentes, plongeait dans les premières tours. Au salon les deux écolières piaillaient à la manière de fauvettes, elles se montraient tour à tour les fenêtres remplies de messages. Ce petit jeu les rendait farouches, leurs voix s’élevaient toujours plus fortes, puisqu’il ne pouvait pas étudier Bufo vint aux nouvelles. Juicy en le voyant entrer se jeta sur lui tête la première.
Elles devaient sortir, il fallait qu’il les accompagne, la loutre lui expliquerait tout en chemin. L’étudiant voulut refuser, se chercha des excuses, depuis sa chambre Rye approuva. Il laissa échapper un soupir.

Toutes deux le tiraient par la porte, elles dévalèrent les escaliers comme il fermait, leurs voix montèrent encore du balcon par la porte-fenêtre, Bufo s’équipait tant bien que mal, ils s’en allaient. Alors Rye retourna à sa lecture, ses propres leçons à apprendre un faux sourire aux lèvres, elle se coucha de tout son long avant de tourner la page. Parfois elle tirait sur les manches de sa chemise quand ceux-ci retombaient, elle se lovait près des coussins, se tournait pour profiter de la lumière. Une sonnerie la surprit, elle crut que c’était son réveil, après avoir tâté de la main la gazelle se redressa.

Quand les écolières l’avaient emmené Bufo avait oublié de prendre son téléphone, le cellulaire reposait sur son lit à moitié enfoncé dans la couverture, il vibrait. Elle vit que personne ne réagissait, sans doute Luck trop occupée par sa cuisine, Coal ne se dérangerait pas. Alors la gazelle se glissa jusque dans la chambre, se saisit du téléphone et appuya.

La voix de Field s’exclama d’impatience, il voulait savoir où était son assistant, il se moquait de savoir qui était l’assistant de qui. Le jaguar accepta de laisser un message, Rye fit mine de prendre des notes. Il grondait à chaque début de phrase, emporté par ses recherches sa voix sifflait sur les pointes, dès qu’elle le lui permit il débita son discours par de violents à-coups sans souci qu’elle le suive ou le comprenne. Sa recherche allait bien plus loin qu’il ne le révélait à ses classes, il était mis face à un phénomène unique, il employa le terme de chaos sans cacher le plaisir de pouvoir l’employer.
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #28 le: Août 17, 2010, 11:02:02 pm »
  • Rank G




  • Hors ligne Hors ligne
  • Messages: 16
Bonjour. J'ai commencé à lire ta fic et je peux t'assurer qu'elle est passionnante.
Apparemment je suis le premier a poster, tout d'abord bravo ta fic est génial bon par contre c'est vrai que les 3 derniers textes s'enchainent faut tenir le rythme pour la lecture. Wink

C'est une super idée de faire des mini paragraphes, ça rend le texte intéressant, plus captivant aussi et surtout limpide.
Bon je vais prendre le rôle pour les fautes si cela ne te dérange pas, j'ai lu assez vite mais je te rassure y'en a pas beaucoup c'est génial et agréable  Grin .
Par contre, il y a un truc qui me turlupine c'est le mot " cheffe " il me semble que le mot ne change pas au masculin comme au féminin " chef "

Dernière remarque, tu aimes beaucoup la conjugaison au passé, j'espère que tu ne le prendras pas mal ^^

Je te souhaite bonnes vacances, et surtout continue a nous faire rêver  Smiley .
Journalisée


Très chiant car je passe mon temps à réactiver d'anciens posts soyez pas étonnés :D
 
 
Re : The chao's theory
« Répondre #29 le: Août 22, 2010, 08:14:50 pm »
  • Supa Rank G
  • Hors ligne Hors ligne
  • Sexe: Homme
  • Messages: 265
  • Je ne mords pas.
WWW
Le mot "cheffe" est l'un de ces mots officiels inventés et que personne n'utilise. Comme le personnage lui-même n'est pas très caractérisé, j'y ai trouvé là une manière de la retenir.

Le reste est noté, j'aurais quand même voulu aller lire les autres...

****

À partir du rapport de Hazy le professeur avait pu reconstituer, en partie, les rites qui s’étaient déroulés dans le nord. Il complétait ces rites par les informations de terrain, tout ce qui s’était déroulé au détail près. La mémoire de son assistant l’avait beaucoup aidé, il avait été là-bas, Rye se rappelait qu’il avait été là-bas. Enfin les laboratoires des autres facultés lui donnaient raison, la chaotique confirmait qu’il ne s’était rien passé là-bas. Il s’emmêlait dans ses explications, fouillait ses notes, Rye le devinait le poil rêche, prêt à mordre. Ce qu’il proposait était simplement le contrôle du chaos.

Elle demanda de répéter, l’air tranquille, tout en notant à part quelques mots qu’elle souligna. Le jaguar reprit un peu fâché, ajouta la technique à la synthèse. Contrôle et chaos avaient des sens très restreints, ils les entendaient dans ce cadre, le phénomène avait été provoqué il n’en doutait pas, il pourrait le reproduire en laboratoire. Or et cela seul lui importait, il n’y avait eu sur place aucune émeraude, aucun catalyseur d’aucune sorte. Field se tut, attendit que son assistant réagisse mais Rye n’ajoutait rien. Il s’agaça, se plaignit et rappela qu’il y avait les chao. Cette démonstration lui paraissait triomphale.

Tout ce qu’il avait découvert était le lien évident entre ces créatures et la nature, pour autant ce résultat pouvait le rendre célèbre. Il ne laissa pas Rye finir, il comptait bien associer son assistant à cette gloire, enfin le jaguar lui fit jurer trois fois de ne rien en dire à personne. Quand enfin elle put raccrocher la tête lui tournait d’avoir dû écouter tout ce discours, Rye fit défiler les appels, effaça celui-ci puis reposa le portable où elle l’avait trouvé. Elle retourna ensuite à sa lecture.

Dehors les couleurs devenaient plus ternes, les ombres s’effilaient sur les immeubles, les gens rentraient. Les roulettes de sa planche rendaient un son sifflant, il en était agacé, Pearl à côté de lui portée par ses patins lui expliquait qu’il se tenait mal. Il allait aussi vite qu’il pouvait, Bufo se traînait en compagnie de l’écolière tandis que Juicy, depuis longtemps, avait disparu au pas de course, loin devant.

S’il fatiguait la petite allait sans peine, elle se laissait glisser le long des allées son passage ne provoquait pas de bruit, la petite rigolait en chassant de ses yeux son pelage court que le vent battait. Ses gants dans le soir avaient des éclats de diamant. L’étudiant se demanda à quoi lui pouvait ressembler, chercha dans les vitrines sur les portières des véhicules garés un reflet où se reconnaître, il se jugea la peau terne, comme effacée. Pearl l’appela plus avant, l’aida à reprendre de la vitesse, elle se troublait en sa présence sans vouloir le montrer. Ils devaient retrouver la loutre une fois arrivés à destination.

Un vaste terrain de pistes aériennes s’ouvrait derrière les deux rues de l’est, qui grimpait ensuite en début de pente. Il se sentit soudain ridicule sur la vieille planche, quand même ce n’était pas la sienne, en voyant les professionnels accumuler les figures. Les planches de haute technologie fendaient les cieux, traçaient des courbes parfaites, ils jouaient avec à l’équilibre, se laissaient retomber sur le coussin d’air. L’écolière le fit arrêter peu avant l’entrée du circuit, elle retira son casque tandis qu’il relevait la planche. Alors en attendant le retour de la loutre, elle tenta encore de lui demander.

« S’il te plait… » mais sa voix se perdit, il la vit qui hésitait tant l’objet lui tenait à cœur, elle aurait voulu trouver tout de suite les mots pour le convaincre. Juicy leur tomba dessus depuis les airs, elle avait sauté du mur, les interrompit.

L’entrée du terrain était interdite moins en raison des risques que des troubles qu’ils causaient aux jeunes de la cité, aussi voulaient-elles que Bufo les fasse entrer. La loutre n’avait pas attendu son accord pour le pousser jusqu’au contrôle où il présenta sa carte, agacé par ce manège. Dans son dos Juicy agissait la main pour dire : « On est avec lui ! » À peine entrées elles se dépêchèrent de se séparer pour trouver Pupil. Il resta en arrière à les regarder partir, préféra ne pas songer à la suite des événements. Les gradins tout près l’attirèrent d’où il pourrait observer les pistes, éventuellement les écolières.

Quand il s’installa le ciel encore clair maintenait ses arcs-en-ciel, il remarqua à quel point le terrain paraissait paisible. Ce lieu ressemblait à la ville, la tranquillité qu’il recherchait pour sa vie teintée de bonne humeur. En même temps il admirait au passage ces athlètes qui filaient dans les courbes, qui tentaient les virages au plus près, il se demandait si de véritables courses se produisaient ici. Quelques autres observaient comme lui, il leur posa la question : les rails servaient pour ces occasions.

Il se rasseyait content de cette fin de journée quand un groupe attira son attention, presque à l’opposé, caché en partie par les pistes. L’étudiant se leva, tenta de distinguer dans la distance cette carapace légère, il pensait bien avoir vu Shell sans certitude. Eux aussi observaient les courses depuis ce coin désert ils discutaient entre eux, la première impression du crapaud à leur égard fut de les trouver combattifs. L’évidence le frappa, il devait s’agir de Freedom, ce mot lui revint en tête, ceux qui voulaient se battre aussi, suivre l’exemple du héros planétaire. Il n’en doutait plus, là-bas Shell se trouvait à sa place.

De le savoir, toutefois, n’entraîna pas pour lui de réaction. Il constatait, ne savait trop que faire de cette observation, tout comme il reconstituait la cité à travers mille détails quelques détails dans ce groupe avaient trahi leurs intentions, tout s’arrêtait là. Bufo devina qu’il avait cette occasion d’aller leur parler, dans quel but il n’aurait su dire, en cet instant il ne trouvait aucune raison. Les filles revenaient déçues leur idole avait dû partir, Juicy gonflait les joues d’irritation. Il proposa simplement de rentrer.

Une fois sortis l’écolière remit ses patins, elle s’appuyait au mur pour se faire, toutes deux voulaient savoir s’il comptait se mettre à ce sport. L’étudiant secoua la tête, songea cependant qu’il pourrait revenir. Comme ils allaient partir il décida de rentrer à pied, lança sa planche à Juicy qui la fit culbuter au vol pour retomber dessus, elle avait entraîné cette acrobatie depuis le préau. La loutre donna un coup sur le pavé, il la regarda disparaître en quelques instants avec plus d’aisance qu’il n’en aurait jamais. Restée derrière Pearl finissait de lacer, il lui demanda comment il pouvait l’aider, lui rappela ses tentatives. L’écolière baissa la tête, elle s’excusa de l’avoir dérangé. C’était une histoire de jeunes.
Il la laissa partir avant de rentrer seul.

Le bus s’arrêta à sa hauteur, sans qu’il y ait eu d’arrêt, personne n’occupait l’intérieur sinon le conducteur qui rentrait au dépôt. Il lui fit signe de monter, Bufo l’entendit jacasser rieur, taper des soles sur le volant, il resta debout pour le trajet. Alors qu’ils freinaient pour le virage le soleil se laissa couvrir par les pentes, les couleurs disparurent. Tous phares allumés le bus glissait près des fontaines, troublait les flaques sur la route, faisait ployer les herbes folles. Il crut qu’il rentrait, en retard, de l’université, que tout ce qui s’était déroulé entretemps avait eu lieu un autre jour passé. Au long roulement du moteur l’étudiant sentait ses doutes se dissiper, il ne songeait plus qu’à revenir à temps pour le repas.

Tels des voleurs ils s’entendirent pour éviter l’arrêt, le bus freina plus loin. Tandis qu’il sortait le chauffeur lui dit d’essayer quand même, les portes se refermèrent, Bufo regarda le bus s’éloigner.

À part lui tout le monde se trouvait déjà à table, Coal ne l’avait pas attendu pour commencer. Dans la chaleur de la cuisine il avait déjà vidé son assiette, il se levait à l’arrivée du dernier occupant. Rye moqua son retard contre lequel Bufo trouva une défense, il observait les réactions de Luck, s’attendait à de la colère. La louve patienta le temps qu’il soit assis avant de saisir ses couverts. À part Coal déposait son assiette puis d’un pas mou quitta la pièce, ils causèrent un peu de cette attitude, par habitude.

Quand chacune se mit à raconter sa journée les éclats de voix se couvraient les uns les autres, il s’ajoutait à ce concert, riait en même temps qu’elles tout en donnant des bribes de son propre crû. Il leur parla de la militaire, les captiva presque une minute avant que le sujet ne change, le crapaud tentait en vain de faire participer Luck. Il s’imaginait ce qu’elle avait pu faire toute la journée au magasin, le peu qu’il y avait à en dire et qu’elle avait changé un verre. Il aurait voulu qu’elle le raconte.

« Au fait, » se rappela-t-il, son téléphone était resté dans la chambre, il attendait toujours un appel de Field. Rye ne se souvenait pas, il se tourna vers la louve dont le regard devenu lourd marquait de la colère. Bufo n’osa pas la questionner.

Ses travaux l’attendaient toujours, l’étudiant s’excusa en même temps qu’il débarrassait, il lui fallait rattraper son retard accumulé. Il retourna à sa chambre où les ouvrages l’attendaient, récupéra son téléphone avant de commencer. Par sa porte ouverte le crapaud pouvait entendre ses colocataires à leur tour quitter la table, les filles rejoignirent le salon où elles continuèrent à s’amuser. Il ferma la porte, se concentra sur son travail. Céda. Après une pause il reprit, chercha un sens à la matière élémentaire. Les filles se séparaient, Rye avait dû rejoindre sa chambre. L’heure avançait sans qu’il ne suive.

Bientôt l’obscurité le pressa d’en finir, il prenait des notes dans le vide, par un geste automatique, se raccrochait à ses devoirs. Une rumeur dans le couloir l’obligea à relever la tête, le bruit à peine perceptible lui faisait penser au grain d’un sablier dans les dernières secondes. Il patienta aux aguets, plusieurs minutes, aidé en cela par la fatigue qui relâchait sa patience l’étudiant chercha des traces de ce qu’il avait cru entendre. Lorsqu’il fut sûr que plus rien ne bougeait, à son tour il se leva, ouvrit sa porte dans un murmure, la referma derrière lui. Il alla le plus doucement possible dans le couloir ses pieds nus faisaient craquer le plancher, sa respiration le trahissait aussi.

La porte du salon était restée ouverte, la lumière s’y découpait produite par le téléviseur sur les nouvelles du monde, Bufo se permit d’entrer. La loutre s’était blottie parmi tous les coussins à la manière d’un serpent, les écouteurs sur la tête elle mit un doigt devant sa bouche pour intimer le silence. Il montra la porte, la referma, la petite se relevait. Leurs deux murmures s’entendaient à peine, ils se parlaient plus par gestes, les meubles et la pièce provoquaient tout le vacarme de leur activité. Enfin Juicy remit le son, à bas volume, ils s’installèrent sur le canapé pour les informations du soir.

Pour l’essentiel il s’agissait de la célébrité mondiale, à l’exception de quelques séquences où les anecdotes venaient s’intercaler dans les temps morts. Il se sentait s’assoupir, regardait les uniformes sur fond de flammes donner leur version des faits, des diagrammes de chiffres puis il eut besoin de lever le son, le commentateur répondait à un combattant en pleine dénonciation. Il voyait ce rebelle assez agité s’emporter contre les autorités, les trouver incapables, tout à la fois se remémorait le groupe aperçu dans la journée, si loin de cette image. Le commentateur remettait tout en question.

Il était question d’enlèvements, le combattant parlait de citoyens, le correspondant utilisait un mot plus crû tout en se montrant compatissant. « J’y comprends rien ! » Se plaignit la loutre qui voulait revoir la tornade bleue.

Face à l’heure tardive Bufo décida de retourner dans sa chambre, il songea que la rumeur du couloir avait dû être le téléviseur. Il se levait, Juicy se jeta à ses pieds l’air théâtral, un grand sourire sur sa face, elle fronçait le nez. En tombant la petite avait provoqué un coup sourd auquel il avait sursauté. « Pearl veut te parler ! » Elle s’était retenue de parler à haute voix, se laissa rouler sur le plancher jusqu’à se caler contre la table. « Elle est là-haut ! » La petite pointait du doigt le plafond, toute contente, avant de retourner s’enfiler dans les coussins. Pour seule réaction l’étudiant se contenta de hausser les épaules.

La nuit lui parut encore plus profonde depuis le toit, à des distances inaccessibles les firmaments l’éblouissaient, il observa les alentours paisibles aussi loin que les ténèbres le permettaient. La cité peignait son corps gracile sur le contre-fond des collines des milliers de lueurs tachetaient ce voile noir que le vague de la nuit faisait mouvoir. Il pouvait tracer du doigt les courbes secrètes de la cité, là où les rails rejoignaient les pentes pour plonger les contours de grisaille laissaient couler sur eux la rosée nocturne. Un vent léger faisait bruisser fleurs et arbres aux alentours, soulevait un parfum de nature moite.

Sa cachette se trouvait près du bloc, après la vieille antenne. Elle laissait une jambe pendre dans le vide, l’autre pliée la jeune souris s’ourlait dans ce coin de sommet, là où le vent lui portait toutes les rumeurs des quartiers. Une mélodie dans sa tête la berçait, ses longs gants d’un blanc de nacre en fort contraste avec la nuit en devenaient invisibles, elle n’était qu’une figure appartenant à ce monde. Tout près d’elle assoupi reposait Flak, la petite créature avait dû veiller avec elle depuis le début. Bufo était resté près de l’accès pour ne pas les déranger, il le vit se réveiller, pousser un petit cri assoupi qui alerta Pearl.

À sa vue elle eut un mouvement de recul, prise sur le fait la souris songea à partir, elle pencha la tête l’air malheureuse. « Tu ne vas pas me dénoncer ? » Il hocha la tête, ce qui voulait dire non, une fois rassurée il alla la rejoindre, s’assit à côté d’elle.

De si près il put remarquer le tissu fin du pyjama que portait la petite, en manière de mode, qui lui descendait comme une robe jusqu’aux jambes. Le vent en soulevait les pans à peine, elle aimait bien danser avec sur le toit pour jouer à la princesse, elle disait tout cela gênée, lui fit promettre de ne rien dire à la gérante ni à Rye. Il voulut savoir si elle venait là pour entendre les chao chanter. « Oui » sa voix se laissa emporter, un train passa dans la distance sans produire aucun son. Flak s’était glissé contre elle entre ses bras il avait recommencé à dormir. Elle n’osait rien ajouter.

L’obscurité les couvrait à présent tous les deux, il se tenait en tailleur sur le muret, cherchait dans le ciel une constellation. En aval vers le centre les fontaines et les jets, les canaux de chaussée brassaient l’eau obscure où le ciel trouvait ses reflets. Son pied tapa contre la pierre, elle frissonna, seul le doux mouvement des arbres lui répondait. La vieille antenne se tordait au vent, pliait d’un seul côté. Il devina par les rues les silhouettes de passants isolés, leur marche ou leur course, les pavés qui claquaient sous leurs chaussures. Sans son pyjama la souris aurait eu le poil trempé, elle secouait de temps en temps la tête pour en chasser tous les sillons tracés en désordre.

Elle s’enhardit, lui demanda de l’aider, les mots lui manquèrent, lui revinrent, elle voulait les protéger. Quelqu’un les chassait la nuit, elle le décrivit, il avait le pelage violacé assez sombre, un grand chapeau sur la tête, un sourire méchant.

Comme il ne disait rien elle détourna le visage, cacha une brève réaction. Flak encore éveillé par ce mouvement émit une plainte, elle lui demanda pardon. Dans la rue les rares éclats cachaient ces ombres de courses, ses yeux de braise s’habituèrent à la noirceur. Il vit briller toutes les gouttes accumulées sur les toits, les façades, le long des trottoirs et des routes, la cité entière en vaste écrin s’embrasait de reflets couleur d’encre royale. Les bâtiments ressortaient, entre eux les courants se formaient plus visibles, des rus fragmentaires allaient se rejoindre en ruisseaux, allaient en vaste réseau converger vers les grands jardins du centre. Il vit dans leur avenue le canal à moitié couvert s’y joindre.

La fatigue la minait, elle s’excusa, Pearl quitta le rebord pour le lit de sa chambre. Elle promit de ramener son compagnon chez la voisine, souhaita bonne nuit. Avant qu’il se retourne, la souris s’était effacée.

Il resta seul à chercher sa constellation, le plus haut possible dans sa tête Bufo comptait les étoiles, cherchait les espaces familiers. Toute son enfance dans le sud se perdait à travers ce lointain. Le halo vague de reflets trompait son regard, la cité se noyait sous ces perles innombrables que les pentes alimentaient, l’étudiant se savait frigorifié. Il songeait, au-dessous l’appartement gardait son silence, plus aucune lumière ne filtrait sinon sa chambre, il ne pouvait se résoudre à quitter le toit.

Enfin une langue de nuages voila la voûte céleste, la cité replongea dans les ténèbres. Il alla quelques pas en direction de l’accès, songea à ce qu’elle lui avait demandé. À présent aveugle il lui fallait tâter pour retrouver son chemin. Il s’arrêta, saisit son téléphone, la sonnerie dura solitaire plusieurs dizaines de secondes. Après ce premier appel il hésita, composa le numéro de Shell pour lui exposer également le cas.

___________________________________________________________________________________________

Journal :
J’ai oublié de prendre des notes dessus.
Néanmoins une chose importante, le chapitre 8 est le premier à avoir profité d’un plan et aussi le premier à l’avoir détaillé pour chaque page – de sorte que je savais assez précisément où j’allais. C’était aussi une bonne manière de me pousser à écrire.
Je me rappelle que dans le trajet du bus Bufo devait rêver à nouveau du héros mondial mais comme cela faisait trop longtemps – et n’avait rien à voir avec le chapitre – je voulais l’intégrer au mouvement du bus, le sous-entendre. Notamment répéter la couleur bleue. Au final c’est un échec complet.
Le plan prévoyait toute la page huit pour que Bufo réfléchisse avant de dormir. J’ai heureusement corrigé ça, rempli la page sept avec la télévision tard le soir et conclu la huit sur le toit de l’immeuble, avec l’appel : à Ninja, au passage.
« Dernière édition: Juin 07, 2011, 09:58:23 am par Feurnard »
Journalisée
La force est une faiblesse, la faiblesse est une force.
 
 
Pages: 1 [2] 3 4 5