Vous tous, je vous prie de bien vouloir m'excuser. Je n'avais pas réalisé que j'avais encore autant de lecteurs pour me soutenir. Je vais continuer pour vous, c'est promis. Voilà le chapitre suivant.
Vingt-deuxième chapitre : Souvenirs
Au fur et à mesure qu'ils progressaient dans le tunnel, celui-ci se faisait de plus en plus sombre et étroit. Les dalles humides qui en composaient les parois rendaient l'endroit encore plus inquiétant, mais Shadow et son père passaient si vite qu'ils n'y prenaient pas garde. Durant son vol, Shadow sentait la douleur de son oeil gauche se calmer faiblement, et il parvenait presque à voir de ses deux yeux, bien que le deuxième restait floué par la blessure qu'il portait.
Soudain, Umbra fonça vers le plafond, dans une seconde galerie perpendiculaire au sol. Shadow le suivit vivement, avant d'aboutir peu après dans une immense salle sombre. Grâce à sa faculté de voir dans les ténèbres, Shadow put détecter de grands murs semblables à ceux des deux galeries, ornés en quelque endroit par des mousses humides. Le hérisson noir se demanda comment une pièce de ce temple pouvait être si humide alors que ce dernier se trouvait au-dessus de la lave en fusion. Syrùth était décidément une planète étrange.
Il chercha son père des yeux, mais ne l'aperçut pas. Il s'avança prudemment, battant à peine de ses ailes noires aux avant-bras démesurés. Finalement, il vit Umbra, près de l'entrée d'une autre galerie, qui descendait à pic. Lentement, il se déposa sans un bruit près de son père et le toisa cruellement, son oeil gauche toujours fermé par la douleur, mais le droit agressif, comme s'il disait tout bas : "tu vas le regretter..."
- Il faut partir d'ici, Mina ! Le sol commence à s'effondrer !!
En raison du vacarme des pierre, des courants d'air chaud et des jets de lave, Jak était obligé de crier pour se faire entendre de Mina. Celle-ci semblait contrainte d'obéir, dans sa quiétude envers le hérisson noir. Rapidement, les deux commencèrent à courir vers la sortie toujours bouchée, longeant les murs où une partie du sol avait tenu bon. Alors qu'ils se trouvaient non loin de leur issue, ils découvrirent un grand trou sous leurs pieds. Ils n'avaient plus que deux choix : tenter un saut ou mourir, lorsque leur morceau de sol se serait effondré. Et ils n'eurent aucun mal à se décider.
Mina prit son élan la première, courut quelques pas et fit un bond prodigieux par-dessus le vide, atterrissant sur le palier de l'issue, où elle commença à dégager les pierres du mieux qu'elle pouvait. Pendant ce temps, Jak avait à son tour pris de l'élan. Il souffla un coup, redressa la tête, puis se mit à courir. Puis il bondit. Durant son saut, il vit en bas la lave lointaine engloutir les morceaux de pierre, et comme le menacer de ses flammes mortelles en crachant des cendres. Le jeune garçon n'avait jamais eu aussi peur. Il atterrit de justesse de l'autre côté, et Mina lui attrapa le bras pour l'aider à la rejoindre :
- Vite, Jak ! L'entrée est presque dégagée !
- Merci du coup de main ! Attends, recules !
Mina s'exécuta et Jak sortit son katana. Il visa les pierres, et leur donna un coup fulgurant. Elles s'abîmèrent encore et bientôt, les deux purent prendre la fuite par leur dernière issue qu'ils avaient bien failli ne plus jamais franchir.
- Si tu parviens à me rattraper, dit Umbra, je reconnaîtrais que tu ne vaux pas rien.
- Comment ?!
Mais à peine avait-il prononcé ces mots qu'il se laissa tomber dans la galerie et fonça à une vitesse hallucinante vers le bas. Shadow le suivit, un peu moins vite peut-être, mais avec bien plus de colère. Le jeune hérisson noir mit toute son énergie dans ses deux ailes qu'il ne contrôlait pas encore très bien, et continua à suivre Umbra sans arrêt. Mais celui-ci gagnait du terrain à chaque seconde.
- ( Tu es vraiment pitoyable. Quand je pense que j'ai choisi d'aller dans l'esprit de quelqu'un comme toi. Enfin... Puisque tu veux en faire voir à ton père, je vais te donner un coup de main... )
Shadow écarquilla les yeux : encore cette voix ? Rauque et agressive, comme si c'était son côté sombre qui s'exprimait ? Mais il n'eut pas le temps de se poser des questions très longtemps : bien vite, son regard changea, et il perdit le contrôle de son corps. Il eut juste de temps de voir qu'une force étrange l'obligeait à tendre les bras, puis à jeter sur Umbra un sort électrique qui par la même occasion se mit à détruire les parois de la galerie.
Jak et Mina aboutirent dehors, près de leur vaisseau. Peu après, Mina tomba à genoux, le visage dans les mains. Jak fit son possible pour la réconforter, mais rien n'y fit. Et pourtant, il sentait que Shadow était encore en vie. Il ne savait pas pourquoi, mais il en était certain...
- Shadow.
- ...
- Shadow ! Allons, lèves-toi, mon fils.
Shadow ouvrit les yeux lentement, épuisé et courbatu, et se redressa dans les ténèbres. Il n'avait plus ses ailes dans le dos, et en levant la tête, il vit Umbra face à lui. Réagissant, il sauta en arrière et se mit en garde. Mais Umbra se contenta de lui dire d'une voix apaisante :
- N'aie crainte, Shadow, je ne te ferai rien.
Shadow se méfiait, et pourtant, il sentait qu'il devait lui faire confiance : car Umbra n'avait plus le même regard ni la même acidité dans la voix ; il ne restait que le calme et la sagesse dans l'être qui disait être son père.
- Je sais que tu dois m'en vouloir pour tout ce qu'il se passe, mais... je ne peux rien te dire maintenant, pardonne-moi.
- Te pardonner ! répliqua Shadow. Depuis le début, tu fais tout ce qui a le don de m'énerver !
Umbra se mit à trembler, à moins que ce ne fût l'imagination du jeune hérisson noir.
- Ca serait trop long, murmura Umbra. Je...
Il redressa son regard, et marcha d'un pas sûr vers son fils :
- Regardes bien.
Il lui posa sa main sur le front, et aussitôt après, Shadow pensa perdre connaissance : sa vue se brouilla dans d'intenses ténèbres.
Assis contre le mur droit de sa sombre cellule, Shadow fixait d´un regard haineux chaque humain qui passait dans son couloir, menant à divers laboratoires. Tout était noir sans sa prison si froide, seuls quelques rayons de lumière passaient de temps à autre sur lui pour faire briller ses yeux rouge sang ou sa fourrure plus noire que l´ébène. Parfois un humain en blouse blanche lui lancait un regard méfiant ou même dégoûté, et Shadow ne se gênait pas pour le lui rendre.
Se battre contre les passants avec le regard, tel était son passe-temps depuis qu´il avait été enlevé. Ou quand venait le soir, il se roulait en boule dans sa cellule, tournant le dos au couloir et aux humains, pour mieux les oublier. Il attendait que les derniers scientifiques aient arrêté de le fixer et que le bruit de leurs pas se soit noyé dans le silence nocturne, pour laisser rôder sa colère. Il pensait à sa mère, à cette liberté qu´il ne verrait plus jamais. Puis il haïssait les humains. Il les haïssait tous. Sauf peut être une jeune fille aux cheveux clairs qui semblait s´ennuyer tout autant que lui, et qui en passant dans le couloir lui jetait un regard inquiet et désolé plutôt qu´un regard lourd de reproches. Et parfois, elle restait plus d´une heure, immobile devant les barreaux de la cellule du hérisson noir. Celui-ci tournait donc le dos à chaque fois qu´il l´entendait arriver, par ses pas bien plus délicats et gracieux que ceux pressés et bruyants des scientifiques.
Mais cette étrange jeune fille n´avait jamais prononcé un mot en sa présence. Était-elle muette ? Quoi qu´il en soit, elle représentait le seul être humain méritant peut-être l´estime de Shadow. Elle seule semblait le comprendre. Elle le fixait, ébahie, comme si elle n´avait jamais vu de mobien de sa vie. Peut-être était-ce le cas. Mais Shadow n'osait pas la regarder en face, ce qui le surprenait un peu lui- même. Sans doute était-ce parce qu´avec toutes ces mésaventures, il avait oublié comment lancer un regard ne serait-ce qu'ébahi ou amical, sans l´ombre d'une reproche. Alors qu´elle ne semblait savoir faire que ça, sans compter son triste visage quasi-permanent.
Un soir, alors que comme d´habitude Shadow restait couché sur le côté et tournait le dos au couloir, il entendit les pas caractéristiques de la jeune fille se rapprocher. Mais que faisait-elle là, et à une heure pareille ? Le hérisson noir l'entendit s´arrêter devant sa cellule puis poser quelque chose au sol dans un grincement de métal. Il devina qu'elle restait à genoux, le fixant comme d´habitude, et guettant sa réaction. Comme celle-ci - bien entendu - ne venait pas, la jeune fille baissa les yeux. Puis Shadow entendit sa voix douce et féminine, presque aussi belle que celle de sa mère :
- Je t´ai apporté à manger, fit-elle.
Shadow eut un moment envie de se retourner, mais il se ravisa. Il se contenta de marmonner :
- S´i shès yiv.
La jeune fille fut étonnée :
- Comment ? Oh, tu ne parles pas ma langue, soupira-t-elle. C´est bien dommage. J´aurais tant aimé avoir quelqu´un à qui parler, un ami.
Shadow fut étonné :
- ( Un ami ? Quelqu'un à qui parler ? C´est étrange, cette humaine ne ressemble vraiment pas aux autres ) pensa-t-il.
Puis finalement, il dit sans se retourner :
- Ca veut dire que je n´ai pas faim.
Le coeur de la jeune fille fit un bond :
- Tu comprends ma langue ! s´exclama-t-elle, les yeux brillants. Dis, on peut être amis ? Comment t´appelles-tu ?
Le hérisson noir se dit que de ne pas lui répondre lui ferait de la peine :
- Shadow, répondit-il.
- Shadow ? C'est un beau prénom. Moi, c´est Maria !
Pour la première fois, le hérisson noir risqua un oeil vers elle. Il en resta penaud : elle était vraiment ravissante. Il ne prêta pas garde un instant au plateau plein de nourriture qu´elle avait posé devant sa cellule, puis il s´assit contre le mur à sa gauche. Ainsi, il ne lui tournerait plus le dos.
- Je suis si contente d´avoir quelqu´un à qui parler ! Mais dis-moi, quelle était cette langue que tu as parlée tout à l´heure ?
- La première que j´ai parlée, c´est une langue ancienne qu´on parle encore dans certaines cités de Mobius. Cela s´appelle l´Akurah.
- Je n´en ait jamais entendu parler.
- C´est normal, elle était seulement parlée sur Mobius. Et on la parle de moins en moins.
- Je vois !
Pour la première fois, Shadow éprouvait de la sympathie envers un humain.
- Sauf que je ne m'attendait pas à une telle fin.
- Ne dis pas ça, Shadow ! Mon grand-père ne veut pas te tuer !
- Il m´a arraché à ma mère et à mes proches, rétorqua le hérisson noir. C´en est assez pour que je me laisse mourir. Sur ma planète, tu sais, j'étais quelqu'un d'important.
Maria baissa les yeux.
- Je suis désolée, dit-elle. Mais tu sais, je ne voulais pas qu´il t´enferme ! J'aurais aimé qu´il te laisse tranquille... Je n'aime pas que les humains vous fassent la guerre.
- Quand j´étais encore avec mes proches, sur Mobius, ils me disaient beaucoup de mal des humains.
- ( Quoi de plus normal... ) songea Maria en soupirant.
- Mais toi, tu sembles différente de ce que m'ont décrit mes proches.
Maria décocha un maigre sourire :
- Peut-être... que je sais lire en les coeurs...
- On dirait bien.
Maria vit son sourire s'agrandir. Shadow ne détachait pas ses yeux de son visage : même sans ailes ou auréole, elle avait tout d'un ange.
- Il est très tard, fit remarquer Maria, je devrais déjà être au lit. Et toi, Shadow, tu es sûr que tu n'as pas faim ?
- Un mobien peut rester longtemps sans manger.
- Très bien. À demain, alors !
- Oui, à demain.
Maria se releva alors en emportant le plateau. Ce que Shadow ne voyait pas, c'est que ses yeux commencaient à s'embuer de larmes. Puis le hérisson noir deumera pensif.
Trois longs jours s´écoulèrent, puis un matin, alors que Shadow dormait encore, un humain s´approcha de sa cellule, tenant dans ses mains un long fusil à fléchettes qu'il brandissait. Il passa le canon entre les barreaux en même temps que le hérisson noir, oreilles dressées, ouvrait les yeux. Il se passa alors une suite d´action qu´il ne comprit qu´à moitié : il y eut la poussière de sa cellule, un humain, une fléchette, une vive douleur dans la hanche qui le paralysa, les barreaux de sa cellule, une autre douleur intense dans l'autre hanche qui lui riva les yeux au plafond et qui lui balaya la vue de noir. À son réveil, Shadow entendait des voix :
- Non ! Je t'en supplie grand-père, ne fais pas ça !!
- C´est pour ça qu'on l'a amené ici ! Désolé, Maria !
- Non ! Shadow !!
Ledit hérisson noir se sentait solidement attaché. Il parvint à entrouvrir les yeux, puis à articuler :
- Ma... Maria...
Puis il y eut un cri, un éclair, et plus rien. Ce fut le vide total, le néant, tandis que dans sa tête résonnait encore le cri de détresse de son amie, qui marquait le début d'une bien triste histoire : celle de Shadow le hérisson.
Fin du Vingt-deuxième chapitre.