Arthur revint à ses côtés en lorgnant les êtres ténébreux de ses pupilles ovales. Dails sauta alors sur l’épaule du jeune garçon, un de ses bras en coton décousu.
- On va pas y arriver…, murmura le jeune homme.
- Donf… Est-ce qu’on va mourir… ? Demanda Arthur d’une voix tremblotante tout en fixant la horde d’ennemi qui se rapprochait.
Le cuistot serra son arme sans répondre. Saïko jeta un regard circulaire, l’esprit embrumé par la fatigue et la panique.
- Fox, fais quelque chose…
- Je suis ton esprit protecteur, Saïko, pas celui des autres…- Sauve-la, je t’en supplie…, implora le goupil en reposant ses yeux bleus sur le corps de la jeune femme, qui respirait par à-coups brefs et souffrants.
- Je ne peux pas, Saïko…- SAUVE-LA ! Hurla alors le renard en tapant du poing sur le sol.
Millie commença à sangloter discrètement, ses grands yeux violets fixant Myosotis qui s’en allait pour toujours. Donf contracta sa mâchoire de colère. Arthur se serra contre la jambe du cuistot, paniqué face aux ennemis qui continuaient de s’avancer inexorablement. Dails tenta de lever son couteau en avant, mais son bras pelucheux trembla violemment et retomba aussitôt en se ballotant dans le vide. Millie vint alors se serrer contre le dos de son jeune ami. Celui-ci se retourna lentement pour la prendre contre lui. Donf se plaça juste devant eux en grognant de désespoir. Saïko tremblait de rage et de tristesse. Il se releva alors tant bien que mal, bancal sur ses appuis, et toisa ses innombrables ennemis, une lueur folle au fond de ses pupilles, la mâchoire tremblante.
- Approchez si vous l’osez, venez, cracha-t-il rageusement.
- Si les gosses ont la moindre égratignure, je vais finir en statue pour ce foutu chalet. Ramenez-vous, prononça à son tour le cuistot en levant son fusil comme une batte.
Un des petits êtres, le plus proche du jeune homme, le toisa en levant ses bras-lames vers lui. Au moment où la créature s’élança, Donf fit de même en hurlant son désespoir.
*****
***
La mort, si proche, si palpable, qu'on la touche sans la voir quand vient l'heure de partir... *****
***
Le cuistot abattit la crosse de son fusil dans le vide. Alors qu’il s’attendait à ce que tous les autres ne se jettent sur lui pour le taillader ouvertement, rien ne se produisit. Il balaya les alentours des yeux, n’y croyant pas. Mais force était d’admettre que les êtres ténébreux venaient de disparaître, là, sous leurs yeux. Le jeune homme soupira longuement en riant nerveusement, rejetant sa tête en arrière, puis remonta sa paire de lunettes sur son nez avant de se retourner. Les deux enfants, se tenant par la main, jetaient des coups d’œil étonnés tout autour d’eux. Saïko quant à lui s’était effondré sur Myosotis. Une douce lumière les entourait. Mais Donf était bien trop fatigué pour tenter de comprendre. Il regarda à sa gauche pour apercevoir Zalosta, qui regardait elle aussi sur sa propre gauche… Quand soudain elle hurla un prénom déformé par la panique avant de se jeter en avant. Donf aperçut alors un corps par terre. Celui de Sephyra. Lena se tenait un peu plus loin, à quelques mètres, et restait immobile.
Le cuistot s’avança alors vers la lueur à la chaleur rassurante, et s’agenouilla près de Saïko. Il n’était pas sûr de ce qu’il faisait, mais il devait essayer.
- Euh Fox ? Ou Monsieur FireFox ? Si j’ai bien compris, tu peux guérir les blessures, ou un truc dans le genre ?
Il attendit quelques secondes, mais aucune réponse ne vint.
- Ecoutez, il faut que vous les sauviez. Saïko, Myosotis, mais aussi Sephyra, la roussette de notre groupe. Sauvez-la, s’il vous plaît ! …
Seul le silence lui répondit. Donf releva les yeux. Zalosta se tenait près du corps de Sephyra, agenouillée à ses côtés, et semblait lui caresser le museau en murmurant quelque chose qu’il ne pouvait entendre distinctement à cette distance. Pris de colère, le jeune homme retourna le corps de Saïko et prit le médaillon qui brillait chaleureusement dans sa main avant de le porter face à lui.
- Eh, tu m’écoutes enfoiré ?! Explosa-t-il en vociférant sur le bijou. J’ai besoin que tu la sauves ! T’es le protecteur de Saïko, non ? Ben on est ses amis, si t’avais pas pigé ! Et ce qu’il voudrait, c’est nous protéger, alors respecte ses putains de volontés, espèce de radin d’esprit de médeux !
- Ramène-la ici, mais c’est déjà difficile de s’occuper de deux personnes en même temps. Je ne promets rien.Donf soupira de soulagement, lui qui commençait à paniquer de ne pas avoir de réponses. Il laissa retomber le médaillon sur le corps du goupil qui semblait dormir profondément, et accouru en direction de Zalosta et de la blessée.
- Zalosta, l’esprit de Saïko, il peut peut-être aider Sephyra ! Aide-moi, il faut la déplacer là-bas, vite !
Sans chercher à comprendre, la hérissonne prit la roussette contre elle, et la soulevant comme s’il s’agissait d’une enfant, l’amena là où reposaient déjà Myosotis et Saïko. Elle déposa délicatement son amie près d’eux, retirant ses bras déjà tachés de sang en à peine quelques secondes. La lumière qui enveloppait la jeune femme et le goupil entoura alors Sephyra de la même manière.
Zalosta resta un moment à regarder son amie, les yeux éteints. Puis ses bras se mirent à trembler. Légèrement au début, puis de manière de plus en plus forte. C’est son corps tout entier qui finit par trembler violemment, son museau s’étirant en un affreux rictus de rage, et elle se retourna avec une lenteur infinie vers Lena qui restait immobile à quelques mètres de là, les bras croisés.
Rika tendit l’oreille, au moment où elle para un coup de pied d’Hunter. Le jeune homme recula de quelques centimètres en gardant ses poings resserrés en avant.
- Attend.
Le jeune homme regarda curieusement son ennemie.
- Quoi ?
- Ecoute.
Hunter obéit sans pour autant relâcher sa défense. Mais en effet, il ne tarda pas à comprendre où la tigresse voulait en venir.
- Le combat s’est arrêté dehors, on dirait, murmura-t-il simplement.
Ils se dévisagèrent mutuellement, puis relâchèrent au même moment leur attitude agressive. Rika le regarda bizarrement.
- Je ne sais pas ce qui nous attend dehors, qui a gagné, comme se sont passés les combats, mais…
Elle regarda son ennemi, puis lui décocha un petit sourire en coin.
- J’ai aimé me battre contre toi. Tu es… Différent.
- Je sais pas comment je dois le prendre, mais pour moi c’était un combat comme un autre, rétorqua Hunter, impassible.
L’hybride rit brièvement. Puis, reprenant son sérieux, elle leva le museau en hauteur et huma l’air avec attention.
- L’odeur du sang…, murmura-t-elle.
Hunter fronça les sourcils. Il se détourna de son ennemie pour rejoindre la porte d’entrée à sa droite, et descendit lentement les marches du perron en analysant la situation du regard. Sephyra, Saïko et Myosotis, à terre ; Donf et les enfants agenouillés près des corps qui étaient enveloppés d’une douce lumière ; Zalosta, tremblante, tournée en direction d’une Lena à quelques mètres du petit groupe, immobile, les bras croisés ; un corps à terre, plus loin sur la gauche, inerte. Hunter s’approcha de ses amis en fixant les corps des deux hybrides et de la jeune femme.
- Ils sont… ? Demanda-t-il discrètement en arrivant à hauteur de Donf, qui leva ses yeux marron soulignés de cernes pour le regarder.
- Ne les enterre pas trop vite, répliqua-t-il en souriant tristement. L’esprit de Saïko est en train de les guérir. Enfin, j’espère qu’il y arrive, en tout cas…
Le FireFox ne leur répondit pas, occupé dans sa tâche. Hunter jeta un regard en coin sur Zalosta, à sa droite.
- Tu as osée…, murmura la hérissonne dans un souffle, de dos à Hunter et Donf.
Rika descendait à son tour les marches au moment où Zalosta se jetait en direction de Lena en hurlant sa rage.
- TU AS OSEE T’EN PRENDRE A ELLE !!
A mesure que ses pieds touchaient brutalement le sol dans sa course, la terre se gelait à une vitesse stupéfiante en direction de Lena. La jeune femme restait immobile, le regard perdu dans le vague, alors que Zalosta levait son poing en courant vers elle à toute allure. Donf se releva subitement en criant. Hunter s’apprêtait déjà à lui courir après. Arthur et Myosotis, mains l’un dans l’autre, restaient figés de peur en voyant la hérissonne se jeter ainsi de rage.
C’est alors que tout se coupa. Le poing de Zalosta, tout près du visage de Lena, s’arrêta en plein mouvement. Donf avait la bouche grande ouverte, le prénom de son amie qu’il criait retenu de force dans le creux de sa gorge. Hunter était figé dans son mouvement de course.
Le temps se figea l’espace d’un instant. Puis, au moment où le poing de Zalosta sembla reprendre son mouvement au ralenti, la hérissonne se sentit projeter violemment en arrière. Elle percuta Hunter en plein vol, et ils s’étalèrent l’un sur l’autre non loin des corps de leurs amis. Donf resta un moment immobile, son regard passant de Lena à ses acolytes qui se relevaient lentement. Zalosta se massa l’arrière de la tête en grognant, les yeux plissés dans la douleur. Mais un cri la fit se relever aussitôt. Deux cris, pour être exacte. Ceux de Millie et d’Arthur. Donf se retourna. Hunter se releva en contemplant avec stupeur ce qui était à l’origine des cris des deux enfants.
Deux longues chaines métalliques les entouraient et les tiraient en arrière. Elles provenaient d’une masse noire, ténébreuse, semblable à une longue fumée opaque, et amenaient de force les gamins en sa direction.
- Arthur, Millie ! S’écria Zalosta en courant vers eux.
Les chaînes métalliques gelèrent, mais cela ne les arrêta pas. Les deux enfants tendirent leurs mains en avant, horrifiés, les maillons les étouffant. Millie perdit son chapeau qui tomba mollement à terre. Dails leva son couteau pour essayer de cisailler le métal, mais une troisième chaîne sortit à vive allure de la masse ténébreuse et le percuta violemment en l’envoyant balader. La petite tête pelucheuse se décrocha de son corps dans un déchirement de tissu. Une de ses billes noires tomba à terre en roulant discrètement, alors que Zalosta la dépassait déjà au pas de course, jetant son bras droit en avant pour essayer de rejoindre les mains de Millie et Arthur, inexorablement tirés en arrière. Les enfants pleuraient en criant le nom de la hérissonne. Au moment où leurs doigts se touchèrent, Zalosta se percuta de plein fouet contre une barrière invisible. Oubliant la douleur, elle palpa le kekkai qui la bloquait alors que Millie et Arthur n’étaient plus qu’à quelques mètres de la fumée opaque qui semblait vivante. La hérissonne frappa de toutes ses forces contre la barrière.
- Arthur ! Millie !
Elle abattit ses poings en avant au risque de se casser les phalanges, puis se jeta elle-même contre le mur qui ne cédait pas. Son désespoir, sa rage et sa panique brisaient ses cris, que les enfants n’entendaient pas à l’extérieur du cercle magique. Un corps féminin jaillit alors de la masse sombre. Un corps féminin recouvert de bandelettes grisées par le temps. Ses pieds nus lévitaient à quelques centimètres du sol. Les chaînes qui entravaient Millie et Arthur levèrent alors les deux enfants à ses côtés, comme pour exhiber fièrement leurs trophées face à leur propriétaire. Malgré le fait que ses yeux étaient recouverts par les bandelettes, la jeune femme sourit perceptiblement. Zalosta hurla de rage dans sa zone confinée alors que les maillons métalliques enserraient les cous des deux enfants, dont les larmes recouvraient leurs bourreaux impassibles et inhumains. Apparurent alors dans deux colonnes de fumée noire, semblables à celle par laquelle la jeune inconnue était sortie, leur Patron hybride et un autre homme enveloppé d’une cape en soie rouge. Ils apparurent au même moment, se faisant face, l’homme à la gauche de la femme, le Patron à la droite. Ils se dévisageaient réciproquement. Puis l’homme se détourna et avança à grands pas en direction de Lena, contournant le cercle magique qui emprisonnait les employés du Patron. Arrivé près d’elle, il la gifla violemment. Celle-ci garda la tête baissée sur le côté, la joue gauche rouge et meurtrie, ses cheveux cachant son visage.
- Il ne me semble pas t’avoir donné l’autorisation d’attaquer ces personnes-là maintenant ! Vociféra l’homme avec colère.
Lena resta silencieuse, immobile.
- Za… los…
Millie, dont le bras était emprisonné contre elle sous la chaîne, essaya de lever sa main vers la hérissonne qui se trouvait à quelques mètres, bloquée par le kekkai. L’enfant la regarda d’un air implorant, pleurant chaudement. Soudain, Arthur réussit à retirer son bras de l’emprise des maillons, et tendit celui-ci vers la hérissonne.
- Zalost… !
Son cri de désespoir resta à jamais coincé dans sa gorge. Un craquement sonore le remplaça. Les chaînes, vivantes, venaient de se saisir de la tête des deux enfants pour leur briser sèchement les cervicales. Elles se retirèrent lentement pour laisser les têtes d’Arthur et Millie retomber mollement sur le côté, et reprendre leur emprise pour garder leurs victimes entre leurs maillons. Kane, à côté, resta immobile, le visage impassible.
Zalosta resta tétanisée devant ce qui venait de se passer. Hunter et Donf, qui l’avaient rejoint entre-temps, gardèrent le silence, les yeux écarquillés devant la violence de la mort de deux enfants. La hérissonne sembla suffoquer alors que ses yeux rougeoyaient de larmes, puis soudain un hurlement affreux tomba dans leur zone confinée. Donf recula même de quelques pas sous le coup de l’émotion.
Zalosta hurlait, d’un cri qui rassemblait en une seule note tous ses sentiments contradictoires. La tristesse, les remords, mais aussi la colère et la haine. Le sol se gela sous ses pieds, tandis que les souvenirs affleuraient sa mémoire. Des images, où ils mangeaient tous ensemble, où ils parlaient ; des rires, avec Donf qui était aussi gamin qu’eux et Hunter dont le caractère grognon les amusait. Quand elle frappa la barrière invisible de ses poings, une buée givrante recouvrit le kekkai, le rendant visible à cet endroit précis. Et Zalosta continuait de hurler sa rage et sa tristesse. Au fond de ses yeux, un rose inquiétant semblait luire de manière perverse alors que la vérité, la réalité de la mort des deux enfants s’insinuait lentement en elle.
Puis soudain, elle s’arrêta. Son cri retomba lentement dans le silence, et elle fit quelques pas en arrière, le museau baissé, les yeux perdus dans le vague. Un vent froid, anormal dans un espace confiné comme celui-ci, entoura alors la hérissonne. La température chutait de seconde en seconde dans le kekkai. Quand Hunter et Donf respirèrent, leur souffle se changea en buée. Ils se regardèrent du coin de l’œil. Mais ils ne savaient que faire, ni que dire. La mort des enfants venaient d’arriver sans prévenir, brutale, imprévisible. Et ils savaient autant l’un que l’autre combien Arthur et Millie comptaient pour la hérissonne.
Le froid se fit de plus en plus agressif, jouant avec les fins pics de Zalosta. Le vent semblait tourner autour d’elle comme une aura glaciale alors qu’elle restait immobile. Une larme qui coula de son museau se gela au cours de sa tombée et se brisa à terre sans bruit.
- Zalosta, essaye de te contrôler…, tenta d’intervenir Donf sans croire lui-même à ses paroles.
Et pour seule réponse, la rage de Zalosta ne fit que commencer.